La Tunisie risque d’entamer 2021 sans budget : Les scénarios possibles

09-12-2020

La Tunisie risque-t-elle d’entamer la nouvelle année sans budget ? Une hypothèse plus que probable au vu des évolutions de la scène politique et parlementaire, à quelques heures de l’expiration des délais constitutionnels pour que le projet de loi des finances soit voté, soit demain, jeudi 10 décembre à minuit.

L’Assemblée continue à plancher sur le projet de budget de l’Etat et du projet de loi de finances de 2021, dans un climat tendu marqué par le retrait du bloc démocratique (mouvement du Peuple et Courant démocrate), et de ses quarante députés qui observent un sit-in, en signe de protestation contre la violence dont a été victime l’un des leurs et de la position du bureau de l’ARP, à ce sujet.

Déjà que le PLF est contesté à l’intérieur et en dehors du palais du Bardo, pour avoir inclus des prévisions notamment en matière de mobilisation des ressources, jugées irréalisables et intenables, et qu’il continue à susciter des grincements dents, même après la dernière révision du gouvernement, en comprimant les dépenses ; sa discussion et sa validation, article par article et puis dans son intégralité, par une partie de l’hémicycle, en font un projet peu viable, même s’il est voté.

Dans le cas où il n’est pas entériné, d’ici le 31 décembre, une fois achevée la période des recours, la Tunisie aura à naviguer à vue, avec un mode de gestion au jour le jour. Ce sera une première dans l’histoire du pays, jamais connue même dans les périodes les plus sombres. Une telle situation ne fera qu’aiguiser la crise de confiance entre les responsables politiques et l’opinion publique et des acteurs économiques nationaux, et en ternir l’image auprès de ses partenaires et investisseurs étrangers, des bailleurs de fonds, et des redoutables agences de notation. Celles-ci n’ont eu de cesse d’en dégrader la note souveraine, au cours de ces dernières années, rendant de plus en plus hasardeuse sa sortie sur le marché financier international, pour mobiliser des fonds indispensables pour la clôture du budget.

Cette menace budgétaire sans précédent, intervient-elle aussi, à l’heure où les rapports entre le gouvernement et le FMI, notre principal pourvoyeur de crédits depuis 2015, sont ambigus ; aucune entente en perspective à ce stade pour qu’un nouveau programme soit mis en place pour remplacer l’ancien, le mécanisme de crédit élargi (MEDC), suspendu dans la foulée de la crise du Coronavirus.

Des décrets présidentiels pour gérer les dépenses ?

Une situation inextricable, à laquelle la loi fondamentale apporte une réponse à travers son article 66.

Selon ledit article dont il est longuement question ces derniers jours dans le débat public, « le projet de loi de finances est présenté à l’Assemblée au plus tard le 15 octobre et adopté au plus tard le 10 décembre ».

Le même article prévoit des délais de recours pouvant être entamés par le chef de l’Etat : « Le président de la République peut renvoyer le projet à l’Assemblée pour une deuxième lecture, dans les deux jours qui suivent l’adoption de la loi. Si le projet est renvoyé, l’Assemblée se réunit pour un deuxième débat dans les trois jours ayant suivi ce renvoi ».

Un recours pour inconstitutionnalité de dispositions de la loi de finances pourrait aussi être mené notamment pour les députés dans un délai de 03 jours devant être tranchés par la Cour constitutionnelle dans un délai de 05 jours.

En l’absence de la Cour Constitutionnelle, c’est l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi qui est amenée à s’en saisir, et à statuer dessus.

Globalement, toutes ces procédures devront arriver à terme avant la fin de l’année, et le projet de loi de finances devrait être promulgué par le chef de l’Etat au plus tard le 31 décembre.

A défaut, « si le PLF n’a pas été adopté le 31 décembre, il peut être exécuté, en ce qui concerne les dépenses, par tranches trimestrielles renouvelables et ce, par décret présidentiel. Les recettes quant à elles sont perçues conformément aux dispositions des lois en vigueur », comme le stipule l’article 66 dans son dernier paragraphe.

Un scénario à éviter pour ne pas créer un précédent fâcheux en Tunisie, et compliquer un climat politique explosif, et une situation socioéconomique extrêmement difficile.

Le péril imminent, selon la constitution ?

Une telle situation pourrait ouvrir la voie au recours par le président de la république à l’article 80 de la Constitution, qui l’habilite à proclamer le péril imminent, et à concentrer certains pouvoirs ; cela ne signifie, néanmoins aucunement la dissolution de l’Assemblée, comme d’aucuns le soutiennent.

Selon les termes dudit article, « en cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la république peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle, après consultation du Chef du gouvernement et du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la cour constitutionnelle. Il annonce les mesures dans un communiqué au peuple ».

Ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir le retour dans les plus brefs délais à un fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Durant toute cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de réunion permanente. Dans ce cas, le Président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le gouvernement ».

L’état de la nation est déjà extrêmement critique pour ne pas en rajouter, répandre de fausses interprétations de la constitution et souffler sur les braises. Toutes les strates de la société sont éreintées, révoltés face à ce qui est advenu du pays et craintives envers cette incertitude et cette chronique d’un effondrement annoncé. Les réponses à leurs interrogations lancinantes et les mots pour apaiser leurs maux devront émaner de la classe politique et de nos représentants élus…mais hélas, le spectacle que ces derniers donnent à voir est désespérant, l’irresponsabilité atteint un point culminant, allant jusqu’à faire courir au pays le danger d’un exercice fiscal sans budget.

Les voix de la sagesse, de l’apaisement et du rassemblement qui devront prévaloir cèdent la place au langage des fulminations, des menaces et des invectives…c’est dans ce contexte affligeant que l’on s’apprête à célébrer le 10ème anniversaire de la révolution du 17 décembre – 14 janvier ; une décennie après, le cauchemar est en train de chasser le rêve.

La Rédaction