Tunisie : Labib fera son retour dans l’espace public, angélisé par les uns, diabolisé par les autres !

24-06-2022

Crée en 1992, la mascotte de Labib a marqué les esprits de tous les Tunisiens face aux enjeux environnementaux, notamment la propreté. Un ancrage qui a été possible grâce à l’omniprésence de ce personnage dans toutes les villes de la Tunisie par le biais de statuts à son effigie et de spots publicitaires retransmis régulièrement à la télévision.

Mais la révolution de 2010 est venu balayer cette mascotte, qui a été associée  à l’ère Ben Ali et à la dictature. Officiellement abandonné en 2012, par le ministère de l’Environnement de l’époque, Labib fait aujourd’hui sont « comme back » en Tunisie… Son apparence de fennec du désert demeure, mais ses habits et sa mission ont, quelque peu, évolué.

Au vu de l’ampleur des enjeux environnementaux auxquels fait face la Tunisie, Labib sera-t-il à la hauteur ? Suffira-t-il à conscientiser les citoyens à l’importance de la préservation de l’environnement ?

De Labib à Super Labib…

Afin de comprendre les réelles intentions et objectifs du retour de Labib, nous avons obtenu un entretien exclusif avec la ministre de l’Environnement, Leïla Chikhaoui. La décision de remettre Labib au goût du jour fait partie d’une stratégie qui permet de rétablir la sensibilisation au cœur des politiques environnementales. « Il s’agit de reprendre le flambeau de cette mascotte qui a le mérite d’exister. Pourquoi changer une équipe qui gagne ? Il a été pris au sérieux pendant des années, et ce encore aujourd’hui malgré son absence », nous dit la ministre.

La ministre de l'Environnement, Leïla Chikhaoui
La ministre de l’Environnement, Leïla Chikhaoui

Pour rappel, Labib représente un fennec, connu aussi sous le nom de « renard des sables du Sahara », un animal présent dans le Sud tunisien. Il avait été choisi en 1992 car il était inscrit sur la liste du CITES, qui recense les espèces animales en voie de disparition. De plus, il a la qualité de s’adapter à son milieu, ce qui rappelle la notion d’adaptation dans le cadre des changements climatiques.

« On ne peut pas faire abstraction de Labib dans notre démarche globale de rétablissement du bon état de l’environnement de notre pays. En 2012, le ministère de l’Environnement de l’époque avait lui même décidé de qualifier Labib comme étant un vestige ou une relique de l’ancien régime. Il avait été fustigé alors qu’il n’a pas à avoir une connotation puisque ce n’est pas une mascotte politique. Elle représente un sujet qui doit supplanter les aspects partisans et politiques », souligne Leïla Chikhaoui.

Cette fois, le ministère de l’Environnement a souhaité donner un nouvel aspect à Labib afin d’être en accord avec la jeunesse d’aujourd’hui. A cet égard, un concours de dessin et de rédaction a été lancé avec des enfants pour qu’ils donnent leur représentation de cette mascotte. Il en a découlé un Labib masqué et muni d’une cape, à l’image d’un super-héros. Il a ainsi été rebaptisé « Super-Labib ».

« Après cela, nous avons demandé à une société  de communication de nous imaginer plusieurs versions du Labib à partir des idées des enfants avec des codes couleurs qui représentent tous les aspects de l’environnement », explique Mme Chikhaoui.

Ainsi, la ministre nous apprend que le beige et le marron symbolisent la terre, le vert la verdure, les yeux bleus pour le ciel et la mer et enfin le rouge pour l’amour de la nature et les fleurs.

Quatre versions de la mascotte ont été dévoilées il y a quelques jours sur la page Facebook du Ministère de l’Environnement afin de laisser les internautes choisir laquelle d’entre elles, ils souhaiterai voir revivre. Les voici :

« Malgré quelques critiques via les commentaires, pour le moment c’est la troisième version avec le costume bleu et la cape vert qui a été la plus plébiscitée», dévoile Mme Chikhaoui.

Les services du département de l’Environnement travaillent en ce moment à la création d’une histoire relative à Labib. Il s’agit notamment d’expliquer, de la manière la plus ludique possible, les raisons de son absence et de son retour. Voici un extrait (non définitif) qui nous a été transmis par le ministère:

« Labib, animal gentil et sensible, à été tellement triste d’avoir été injustement accusé d’être un valet (« Zelm ») de l’ancien régime dictatorial qu’il est tombé dans une profonde mélancolie, puis dans le coma. Pendant son sommeil, il a beaucoup rêvé et visité la Tunisie et le monde où il a assisté aux dégradations de l’environnement liées aux changements climatiques (inondations, sécheresses, incendies, tremblements de terre, pollutions de toutes sortes, pandémies ….).

Mais petit à petit, notamment depuis la pandémie de COVID 19, qui a fait prendre conscience à l’Homme de la nécessité de revoir sa relation à la Nature, les forces de la Terre, des Eaux, du Ciel et des Océans, ont convergé vers Labib et lui ont donné la force suffisante pour sortir de son coma et réapparaître sous la forme d’un Superhéro pour sauver notre environnement (…)».

« Par ailleurs, nous allons également organiser un concours d’idées afin de demander aux jeunes et aux professionnels d’imaginer un dessin animé autour du personnage de Labib, ainsi que des spots publicitaires. Nous souhaiterions aussi le décliner en peluche et en figurine de collection », affirme la ministre.

Tous ces éléments devraient être rendus public dans les médias et dans la rue d’ici l’automne.

Cette dernière nous explique que Labib doit retrouver la place qu’il avait à l’époque et qui a laissé un souvenir indélébile chez de nombreux Tunisiens, qui est celle de sensibiliser et de conscientiser la population à la protection de l’environnement.

« Finalement, le fait que Labib ait été vilipendé et accusé d’être un vestige de l’ancien régime, a politisé la question environnementale et crée un décalage chez les citoyens. De plus, le vent de liberté apporté avec la révolution a propagé également la licence, c’est à dire l’anarchie. Aujourd’hui, il y a quelque chose qui manque, qui est la responsabilité. Ce sens du respect de soi et de l’autre manquent et on doit essayer de le rétablir dans le cadre de la sensibilisation environnementale car cela permet de le faire de manière ludique, conviviale, y compris à l’école ».

Dans ce sens, le ministère de l’Environnement a signé le 5 juin dernier, un partenariat avec le ministère de l’Education relatif à l’éducation environnemental à l’école. « Depuis plus de 20 ans, des changements sont intervenus et les enjeux environnementaux ne sont plus vraiment les mêmes et cela sera intégré dans les programmes scolaires », précise-t-elle.

La société civile et les maires réagissent…

Si le retour de Labib peut constituer une des lignes de la stratégie du ministère de l’Environnement afin d’améliorer le cadre de vie des Tunisiens, cette nouvelle a également suscité de nombreuses critiques.

Nous nous sommes entretenus avec le militant écologiste et président de l’association Tunisie Recyclage, Houssem Hamdi. Selon lui, la question environnementale dépasse le fait d’avoir une mascotte ou non. Selon lui, Labib n’est qu’un support de communication. « Quitte à avoir une mascotte, il aurait peut-être été mieux d’avoir un autre personnage qui pourrait plus parler aux enfants de la génération actuelle, surtout que Labib est sujet à controverse à cause de sa connotation liée à l’ancien régime », nous dit-il.

Houssem Hamdi / Président de l’Association Tunisie Recyclage

Il ajoute que Labib ne peut pas être considéré comme un objet de stratégie environnementale. « Le sort environnemental de la Tunisie n’est pas entre les main du super-héros Labib mais entre les mains des Tunisiens. C’est pour cela que en tant que société civile nous demandons au ministère de l’environnement que les nombreuses réunions qui ont lieu entre ses services et les associations se transforment en atelier de sensibilisation concrets sur le terrain », conclue Houssem Hamdi.

Contacté également à ce sujet, le maire de Raoued et président de la Fédération nationale des communes tunisiennes (FNCT), Adnen Bouassida critique lui aussi le manque de vision sur les politiques environnementales à mener.

« Avant de penser à l’apparence de Labib, il faudrait plutôt que le ministère de l’Environnement s’attache à avoir une politique claire en terme d’environnement et notamment de propreté et de gestion des déchets. De plus, Labib est une porte ouverte à la corruption aux vues des antécédents de ce personnage du temps de l’ancien régime et qui avait fait l’objet de nombreux actes de corruption », déplore-t-il.

« Pour moi, les représentations de Labib proposées par le ministère l’ont fait ressembler à un voleur plus qu’à un super héros avec son masque et sa cape. Cela montre que le ministère est vraiment limité dans ses idées. La ministre n’a rien apporté de nouveau malheureusement », a-t-il ajouté.

Dans ce sens, Adnen Bouassida a fustigé l’absence d’une feuille de route claire. Il explique qu’avec ou sans Labib, le ministère a, dans tous les cas, échoué sur tous les plans. « Nous avons des problèmes beaucoup plus urgents à traiter, comme les deux catastrophes des déchetteries de Borj Chakir et Sfax. Nous avons également des difficultés avec l’ONAS qui encore aujourd’hui déverse les eaux usées en pleine nature et qui provoque de véritables désastres environnementaux. Nous passons notre temps dans des réunions avec le ministère de l’environnement sans aucun résultat concret sur le terrain. Tout cela va bien au delà de l’apparence de Labib ! », lance-t-il désespérément.

Adnen Bouassida / Maire de Raoued et Président de la fédération nationale des communes tunisiennes

Dans ce sens, le Maire de Raoued, explique qu’avant de penser au retour de Labib, il faudrait faciliter l’accès aux investisseurs privés étrangers pour créer des usines de recyclage et arrêter les opération d’enfouissement. Il faudrait, aussi selon lui,T privatiser totalement ou partiellement l’ONAS afin d’améliorer les services. Et enfin, mettre en place de manière concrète le tri sélectif à la source et donner les moyens aux municipalités de gérer ces opérations.

Wissal Ayadi