L’alcoolisme en Tunisie : Un fléau en constante expansion
La consommation d’alcool en Tunisie continue de grimper, un phénomène qui prend des proportions inquiétantes, comme le montre une étude récente de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En effet, la Tunisie se classe première parmi les pays arabes et neuvième au niveau mondial pour la consommation d’alcool, avec une moyenne de 12,92 litres par personne chaque année. Un chiffre alarmant qui s’accompagne d’une série de conséquences dramatiques, allant des accidents de la route aux violences domestiques, en passant par des problèmes de santé graves.
Un phénomène qui touche toutes les catégories sociales
Les répercussions de l’alcoolisme sont vastes et concernent de plus en plus de jeunes. Selon Dr Faten Driss, addictologue à l’hôpital Razi à Tunis, environ 30 % des hommes adultes en Tunisie sont des « grands buveurs », un phénomène particulièrement préoccupant parmi les jeunes. En effet, environ 28 % de ces grands buveurs sont des jeunes âgés de 15 à 19 ans. Mais l’alcoolisme ne se limite pas à une question de quantité : l’addiction survient lorsque la consommation devient un besoin, souvent insidieux.
L’addiction à l’alcool se définit scientifiquement comme une perte de contrôle. Pour le Dr Driss, la consommation à risque est souvent sous-estimée : « Boire même occasionnellement plus de 4 verres par session est dangereux », prévient-elle. Ce qui rend l’alcool particulièrement insidieux, c’est qu’il est possible de consommer des quantités potentiellement dangereuses sans en ressentir immédiatement les effets. En effet, de nombreux buveurs ne ressentent pas de symptômes de dépendance tant qu’ils ne sont pas ivres, même après avoir ingéré une quantité d’alcool considérable.
Les causes profondes de l’alcoolisme
L’alcoolisme, comme toute dépendance, est souvent lié à des facteurs psychologiques et sociaux. Selon le Dr Driss, plusieurs facteurs contribuent à l’alcoolisme en Tunisie :
1. Le besoin de désinhibition: L’alcool est souvent utilisé par les personnes socialement timides, notamment les jeunes, qui s’en servent comme un moyen de s’intégrer dans des environnements sociaux, tels que les boîtes de nuit ou les fêtes. Le besoin d’évasion sociale devient alors un facteur déclencheur.
2. L’évasion des problèmes: L’alcool est également perçu par certains comme un moyen d’échapper aux difficultés personnelles ou professionnelles. Cette recherche d’une solution rapide et temporaire masque souvent des problèmes plus profonds.
3. Le soulagement temporaire des troubles psychologiques: Pour ceux souffrant de dépression ou d’anxiété, l’alcool devient un outil pour fuir la réalité. Cependant, l’effet de soulagement est de courte durée et conduit souvent à une exacerbation des symptômes psychologiques.
Les conséquences sur la santé
Les dangers de l’alcool sur la santé sont bien documentés et sont d’autant plus graves lorsqu’il est consommé de manière excessive et prolongée.
Les effets sur le cerveau sont multiples, notamment l’altération du raisonnement, la perte de mémoire et des troubles moteurs. La législation tunisienne, qui a révisé en 2019 le taux d’alcoolémie autorisé au volant, a mis en place une tolérance zéro pour les conducteurs débutants et professionnels du transport. Cela s’explique par le fait que même une faible quantité d’alcool peut altérer le temps de réaction, ce qui augmente considérablement le risque d’accidents.
Mais les effets de l’alcool sur la santé vont bien au-delà des accidents de la route. L’alcool peut causer des maladies cardiovasculaires graves, des troubles du foie, ainsi que des cancers, notamment ceux du foie et du pancréas. En outre, l’alcoolisme chronique peut entraîner des lésions neurologiques irréversibles, notamment des tremblements et des troubles cognitifs.
L’alcool a également un impact direct sur la sexualité : baisse de la libido, troubles de l’érection et impuissance.
Un accompagnement nécessaire pour la guérison
Le chemin vers la guérison est souvent semé d’embûches. Le Dr Driss souligne que dans la plupart des cas, ce sont les proches de la personne dépendante qui poussent cette dernière à consulter. L’alcoolisme est un « tueur silencieux » qui, même en cas de consommation excessive, ne présente pas toujours de symptômes physiques immédiats. Beaucoup de patients ne prennent conscience de leur dépendance qu’à un stade avancé, lorsque des symptômes graves apparaissent, comme des maladies du foie, des cancers ou des troubles digestifs.
Le traitement de l’alcoolisme repose sur une approche en deux étapes : d’abord, l’évaluation des raisons qui ont conduit à la consommation excessive, puis la prescription de médicaments pour traiter les symptômes de sevrage et les troubles psychologiques. Cependant, le Dr Driss insiste sur le fait que les médicaments seuls ne suffisent pas à guérir l’addiction. Le soutien psychologique est essentiel pour remplacer les comportements addictifs par des activités saines, comme le sport ou des sorties familiales, afin de combler le vide laissé par l’alcool.
Prévention et sensibilisation : Un enjeu majeur
Enfin, la prévention reste un axe primordial pour limiter la propagation de ce fléau. Le Dr Driss insiste sur l’importance de sensibiliser dès le plus jeune âge aux dangers de l’alcool, notamment à travers des campagnes d’information et la mise en place de dispositifs de prévention. Par exemple, la distribution d’éthylotests dans les lieux publics et leur obligation dans les véhicules seraient des mesures efficaces pour limiter les risques d’accidents liés à l’alcool.
« Il ne s’agit pas d’éliminer complètement l’alcool de la société, mais de prévenir les comportements à risque et d’éviter que l’alcool ne devienne une béquille pour ceux qui cherchent à fuir leurs problèmes », conclut le Dr Driss.
L’alcoolisme en Tunisie demeure donc un défi de santé publique, et sa gestion passe par une prise de conscience collective et une politique de prévention renforcée pour protéger les générations futures.
Wissal Ayadi