Tunisie : L’enseignement supérieur privé a le vent en poupe (Entretien avec Abdellatif Khamassi)
Le paysage éducatif tunisien connaît actuellement une transformation significative, avec un nombre croissant de bacheliers faisant le choix de l’enseignement supérieur privé. Cette tendance émerge alors que les étudiants cherchent des opportunités d’études spécialisées et de qualité, parfois inaccessibles dans les institutions publiques. Parmi ces établissements de renom, plusieurs universités privées se distinguent en offrant des programmes adaptés aux aspirations individuelles de chacun.
Environ 90 universités privées en Tunisie
Les premières universités privées en Tunisie ont vu le jour au début des années 90. A cette époque, aucune loi ne régissait ce genre d’établissements. Mais petit à petit, au vu de l’engouement des étudiants, des dizaines d’autres ont été créés obligeant l’Etat a mettre en place un agrément.
Ainsi, ce n’est qu’en 2000 que les autorités ont permis à ces universités de se doter d’un agrément reconnaissant le parcours des étudiants dans ces structures. Après 2010, c’est un véritable boom qui a mis en avant ce secteur, aujourd’hui 90 universités privées sont présentes en Tunisie.
« Au départ, 90% des universités privées étaient spécialisées en science de la gestion, droit et informatique. Aujourd’hui les filières se sont largement diversifiées », nous dit Abdellatif Khamassi.
Pas besoin de « score »
L’un des principaux facteurs incitant les étudiants à préférer l’enseignement supérieur privé réside dans le fait qu’ils n’ont pas besoin d’atteindre un score précis au baccalauréat pour intégrer le cursus qu’ils ont choisi. En effet, pour se faire une place dans les universités de renom dans le public et espérer suivre les études choisies, il faut réussir l’épreuve du baccalauréat avec brio.
« Nous absorbons une grande partie des étudiants qui ont obtenu une moyenne située entre 11 et 13 au baccalauréat », ajoute le président de l’UTIPEF.
C’est le cas de Mehdi, étudiant en deuxième année de gestion dans une université privée de la capitale. « J’ai demandé à intégrer l’ISG mais mon score n’était pas assez important, alors je me suis dirigé vers le privé. Je n’avais pas envie de passer vers le concours de réorientation », nous dit-il.
Par ailleurs, Khamassi indique que plusieurs étudiants se dirigent aussi vers l’enseignement universitaire privé afin de ne pas de retrouver loin de leurs familles. En effet, les dépenses liées à la location d’un appartement et toutes les charges qui s’en suivent sont quasiment équivalentes aux frais de scolarité dans un établissement proche de de leur domicile.
Enfin le dernier attrait des étudiant vers ce choix demeure dans la diversité des cursus proposés. Ces institutions offrent une variété de programmes répondant aux besoins spécifiques de chaque étudiant, des sciences humaines aux sciences appliquées en passant par les domaines émergents tels que l’intelligence artificielle, la biotechnologie, ou encore la communication et le marketing.
Des classes de 20 élèves
Abdellatif Khamassi indique également que certains étudiants se retrouvent mieux intégrés dans les universités privées car les cours sont dispensés en petits groupes, à l’inverse des amphis de milliers d’étudiants. « Les cours en amphi sont impersonnels et il n’y a aucun contrôle sur la présence des étudiants… Dans le privé, les classes ne dépassent pas une vingtaine de personnes, permettant un suivi des cours presque personnalisé », relève Khamassi.
Pour ce qui est des professeurs, Khamassi assure qu’ils disposent tous au minimum d’un grade de maître de conférence, promettant un enseignement de qualité. « A l’université privé, il y a un plus qui n’existe pas dans le public. Nous faisons appel à des experts qui travaillent en entreprises afin de sortir un peu de la théorie et d’entrer dans la pratique. Et cela est très apprécié des recruteurs ».
Nour est étudiante en marketing dans le système universitaire privé, elle témoigne : « J’ai passé un an dans une université publique. Je ne me sentais pas du tout à l’aise. Les cours étaient ennuyeux car il y avait très peu de pratique et les amphis étaient bondés, il y avait trop de bruit et en plus c’était très sale. Ici c’est comme si j’étais encore au lycée. Si je ne comprends pas quelque chose je peux demander au professeur de réexpliquer juste en levant la main…chose impossible dans un amphi », nous dit-elle
Une passerelle pour l’étranger
La qualité de l’enseignement dispensé par ces institutions privées ne se limite pas à la diversité des programmes. Les infrastructures modernes, les partenariats avec des entreprises, les stages professionnels et les opportunités d’études à l’étranger contribuent à une expérience éducative complète. « Beaucoup d’universités privés ont obtenus des partenariats et des certifications qui permettent à nos étudiants de poursuivre leur cursus à l’étranger ou de prétendre à des stages en Tunisie ou ailleurs.
Cependant, il est essentiel de noter que cette tendance soulève également des questions sur l’accessibilité financière de l’enseignement supérieur privé. Il faut compter entre 5000 et 10.000DT, un budget conséquent compte-tenu de la crise économique subie par les Tunisiens depuis plusieurs années.
Bien que les avantages soient indéniables, il est impératif de travailler à rendre ces établissements plus accessibles pour tous les segments de la société.
Aujourd’hui près de 30.000 étudiants tunisiens ont choisi l’enseignement supérieur privé. L’engouement croissant des bacheliers pour l’enseignement supérieur privé en Tunisie témoigne de la recherche constante d’une éducation de qualité et spécialisée. Les institutions privées jouent un rôle crucial dans la diversification des parcours éducatifs et la préparation des étudiants à un avenir professionnel prometteur.
Wissal Ayadi