Les Tunisiens cultivent une sacralité des repas ramadanesques en famille, malgré la pandémie

20-04-2021

Depuis quelques semaines, les contaminations par le coronavirus  dépassent, en moyenne, la barre des 1500 cas/ jour, et pourtant plusieurs Tunisiens ont fait preuve d’un manque de vigilance accru, durant ce mois de ramadan, où les diners de familles se multiplient ainsi que les sorties nocturnes aux cafés…

Ces nouveaux tristes records de patients Covid-19 ont été annoncés, le secteur de la santé a tiré la sonnette d’alarme concernant la situation sanitaire en Tunisie qui s’aggrave de jour en jour.

La plupart des hôpitaux ne peuvent plus accueillir des malades supplémentaires, les services Covid-19 dans ces établissements sont quasi saturés dans plusieurs régions du pays, et le nombre de décès journaliers ne cesse de s’accroitre, avec en moyenne une cinquantaine de morts par jour, si ce n’est pas plus.

Même l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a averti contre une possible aggravation de la pandémie durant le mois sacré, célébrés en Afrique du Nord et au grand Moyen Orient.

Dans un communiqué publié le jeudi 15 avril, le Dr. Ahmed Al-Mandhari,  directeur du bureau régional de l’OMS pour la Méditerranée orientale a souligné que le nombre de cas a augmenté de 22% et le nombre de décès de 17% «la semaine dernière par rapport à la semaine précédente» dans la région.

Les musulmans sont ainsi appelés à respecter les moyens de prévention dans les mosquées, et à appliquer les mesures sanitaires de ventilation, distanciation et port du masque. Avec les doses limitées de vaccins reçues en Afrique du nord et au grand moyen orient, la vigilance est de mise, a souligné l’OMS, notamment durant ce mois, où les familles en profitent pour se réunir avec leurs proches autour d’un repas, à l’heure de la rupture du jeûne…

Les habitudes ramadanesques se perpétuent malgré les recommandations

Malgré les appels du ministère de la santé à respecter les consignes de prévention, outre les campagnes de sensibilisation concernant le danger sanitaire qui nous guette, plusieurs Tunisiens ont choisi de préserver leurs vies sociales, durant ce mois saint.

C’est ce que nous a confirmé une famille habitant à Tunis, classée zone à haut risque depuis quelques semaines. Pour la mère qui vient d’inviter son gendre au diner, il est impossible de se priver de ces « petites » réunions de famille, malgré ce que cela pourrait engendrer de risques de contamination par le virus.

« J’ai été déjà infectée par le Covid-19 au début de l’année, donc j’estime que dans mon cas, j’ai acquis un certain degré d’immunité, ce qui réduit les chances de mettre ma famille en danger », nous confie-t-elle. « Quant à mes enfants qui vivent à l’étranger, ils ne sont pas du même avis, ils considèrent que je suis tombée dans la banalisation de la pandémie, et me disent souvent que mes mauvaises décisions sont irresponsables…Mais je n’y peux rien, les temps sont durs avec ce couvre-feu, et j’ai besoin de ma famille près de moi», ajoute-elle.

Un autre intervenant d’une soixantaine d’années, Hédi, nous a confié qu’il ne peut pas s’en passer de Salat Tarawih, à la  mosquée. « Le jeûne est, certes, un acte de spiritualité profond, mais aussi la prière de groupe également. C’est un plaisir pour moi en tant que fidèle pratiquant de lire le Coran tous les jours, et de discuter après avec mes amis à la mosquée ».

En l’interrogeant sur l’application des mesures restrictives recommandées par le ministère des affaires religieuses dans les lieux de culte, Hédi nous a rassuré qu’il en était au courant, et qu’il est conscient des risques de la socialisation.

« Pour éviter de toucher les surfaces, source de contamination, je fais le Wudhu (ablution) chez moi. Ensuite, j’y vais tôt pour pouvoir placer mon tapis en retrait, là où il y a moins de va et vient. Moi aussi j’ai une famille, et je ne compte pas les mettre pas en danger surtout que ma femme souffre de maladies chroniques… », a-t-il indiqué.

Cet état de conscience n’est malheureusement pas atteint par tout le monde. C’est ce que nous avons constaté en abordant le sujet avec un jeune homme, marié, sans enfants.

Pour lui, c’est sacré d’aller au café dès la première heure après la rupture du jeûne. « Après avoir mangé, je me rends au café du coin, pour jouer aux cartes avec des amis et des voisins. Heureusement, d’ailleurs, que les heures du couvre-feu ont été raccourcies, sans cela je n’aurais aucun moyen de me divertir après une longue journée de travail, jeûne, embouteillages… ».

Concernant le port du masque à l’intérieur de l’espace, il nous a répondu que les clients, les serveurs et même le propriétaire ne le portent pas. « Quant à la distanciation sociale elle est inexistante. Les tables accueillent jusqu’à une douzaine de personnes, qui jouent aux cartes, chaque soir, sans la moindre peur ou inquiétude », nous confie-t-il.

 

L’insouciance et la banalisation de la pandémie sont en partie responsables de la prolifération du virus en Tunisie. Les jeunes comme les plus grands, privilégient leur bien-être et préservent leurs habitudes, en mettant en péril leur santé et celles de leurs proches et entourages. L’aggravation de la situation sanitaire ne semble pas inquiéter une grande partie de la population, et cela aura sans doute des conséquences irrémédiables, sans parler des effets du rétropédalage du gouvernement concernant les horaires du couvre-feu…

Emna Bhira