Mariages mixtes, des Tunisiennes mariées à des étrangers racontent

03-03-2022

Les mariages mixtes sont de plus en plus fréquents en Tunisie ; l’annulation de tous les textes de loi interdisant le mariage des Tunisiennes à un non musulman, et de l’obligation de conversion à l’Islam de l’époux, a visiblement encouragé ces unions. Une décision qui a été prise par le défunt président Beji Caïd Essebsi, en aout 2017.

Mais, bien que ces considérations religieuses et procédures administratives aient été supprimées, les couples mixtes sont souvent confrontés à des conflits liés à leurs héritages socio-culturels, divergents et parfois opposés.

Qu’en pensent les familles tunisiennes, encore traditionalistes, de ces liens peu conventionnels à leur gout…Qu’ils soient occidentaux, maghrébins, ou encore orientaux, comment ces conjoints, s’adaptent-ils au quotidien, avec tant de différences linguistiques, culinaires, religieuses et de mentalité ?

Des couples mixtes s’expriment sur ces différents points dans des entretiens accordés à Gnetnews.

« Notre principal frein est la différence des mentalités »

Pour Maha, 34 ans, mariée depuis 5ans à Fabricio, un italien résident en Tunisie, cette nouvelle loi a beaucoup facilité son mariage, puisque son conjoint, de confession chrétienne, refuse de changer sa religion par amour…

« Élevé dans une famille chrétienne de Rome, mon mari allait juste se convertir formellement à l’Islam, dans le but de faciliter la procédure du contrat de mariage civil », nous confirme Maha.

Mais l’enjeu n’était pas essentiellement religieux, nous dit-elle.

En parlant de son union avec cet entrepreneur d’origine italienne, la jeune tunisienne a expliqué que les italiens ont beaucoup de points communs avec les Tunisiens. « Ils sont attachés à leurs familles, bons vivants, parlent fort et adorent cuisiner et manger…Sauf, comme tout homme occidental, leur liberté est plus importante que leur couple. Les soirées, les sorties entre amis, et les apéros, ainsi que le rythme effréné de la vie, ne changent jamais, même après le mariage et en fondant sa propre famille. Une chose dont je n’étais pas consciente », regrette-t-elle.

D’après cette jeune femme, le fait d’appartenir à une société traditionaliste et d’être issue d’une famille conservatrice, est leur principal frein. « Pour moi, la vie de couple est sacrée, et la parentalité doit être assumée à deux. Pour mon mari, le partage ne se fait pas à longueur de journée. Chacun doit chercher son bonheur hors du couple également. Une philosophie que j’ai du mal à saisir… », nous a-t-elle confié.

Un métissage religieux

Pour Sophie, une française de 28 ans mariée à un Tunisien (Hicham), il était dur de convaincre les parents de son époux, qui ont refusé cette union, sous prétexte que nous ne sommes pas de la même culture. Pour eux, une chrétienne élèvera autrement les enfants et ne comprendra pas les règles rigoureuses des familles musulmanes, et l’importance de la religion dans leur vie quotidienne… », nous dévoile-t-elle.

Mais, afin d’éviter les conflits,  Sophie et Hicham ont discuté avant de signer leur contrat de mariage, des détails sur leurs pratiques religieuses, manger Halal, boire de l’alcool, faire le ramadan, la prière, la circoncision des enfants etc. Ils ont ainsi constaté qu’épouser la personne n’équivaut pas épouser sa religion.

« Nous avons décidé de laisser chacun de nous, exercer sa religion dans son temple, sans imposer à l’autre sa confession, ses habitudes et ses interdits, toujours dans le cadre du respect. Il est parfois compliqué d’appliquer ces règles, notamment pendant le ramadan. En ce mois, je suis le rythme de mon mari et j’adapte mes heures de repas avec la rupture du jeune. Quant à Hicham, il célèbre avec moi Noël, et prépare lui-même le sapin. Une chose qui a beaucoup plu à ma famille. J’ai découvert ainsi, que l’Islam est une religion de tolérance, d’acceptation et de sérénité… ».

Sophie se demande aussi si cette période paisible persistera, avec la naissance de leur futur enfant. Pour elle, la circoncision est un acte barbare, alors que pour son mari il s’agit d’un acte médical et religieux nécessaire, selon l’Islam. Ce couple a également discuté, de la langue qu’ils vont adopter à la maison, de la nourriture Halal que leur enfant va manger… « Nous n’avons pas encore tranché, mais au final, il faudra trouver un terrain d’entente, qui n’écarte en aucun cas les identités des deux parents », indique-t-elle.

Les couples mixtes, une source de richesse culturelle pour l’enfant

Nous avons contacté Salima, mariée depuis 7 ans à Ali, d’origine turque. Au début de leur mariage, tout était simple pour le couple, puisqu’ils sont tous les deux musulmans. Mais petit à petit c’était l’influence turque qui a pris le dessus, notamment sur leur fille.

« Nous ne parlons que turc à la maison, et avec la naissance de Line, j’ai envie qu’elle soit entièrement bilingue, pour pouvoir lui transmettre clairement, sa double origine/nationalité. Mais puisque nous mangeons turc aussi, nous passons les vacances en Turquie, et regardons que des chaines stambouliote, en présence du père, ma fille est plus influencée par la culture de son père. C’est certes un enrichissement pour notre fille, d’être issue de deux parents différents. Il faut juste s’assurer qu’il y aura une transmission égale, pour que l’enfant puisse assimiler l’importance de la tolérance et le  respect de la différence… », conclut Salima.  

Méfiance envers la culture occidentale  

D’après le sociologue Pr.Habib Riahi, ces mariages sont fréquents car l’Islam ne les a jamais interdits, contrairement à ce que croient beaucoup de Tunisiens.  La religion musulmane permet ces unions pour les hommes comme pour les femmes, à condition que le partenaire/conjoint soit croyant, et appartienne à l’une des trois religions monothéistes, Islam, Christianisme et judaïsme. D’ailleurs, aucun verset dans le Coran, ne s’oppose à ce type de mariages, pour les deux sexes. C’est le manque de précision dans le texte coranique qui a créé ces amalgames…

En effet, l’opposition aux mariages mixtes, provient de la société en Tunisie, qui demeure méfiante de la culture occidentale qualifiée d’ouverte et qui promeut les libertés, nous explique-t-il.

Par ailleurs, en choisissant son conjoint dans nos sociétés, toute la famille avec les différences de ses membres et générations, intervient et se permet de donner son avis. Même les voisins s’immiscent parfois dans cette décision, sans oublier la loi.  » Malgré l’entrée en vigueur depuis 2017, de l’initiative de feu Beji Caid Essebsi, annulant l’interdiction du mariage mixte pour les femmes, et l’obligation de la conversion à l’Islam, certains notaires continuent à refuser de signer les contrats de mariage, sous prétexte que l’époux est non musulman… », nous informe le sociologue. 

Il existe aussi d’autres causes culturelles derrière ce refus, c’est l’assujettissement aux normes sévères de la société, qui rejette toute forme d’individualisme, au nom de la religion ou des traditions. Nous oublions souvent que le choix du conjoint quelque soit son appartenance géographique ou culturelle, est une décision personnelle ».

Emna Bhira