Marina de Bizerte : Le point sur l’état d’avancement d’un mégaprojet, freiné par les conflits et les procès (Enquête)

02-03-2021

Bizerte à la pointe nord de la Tunisie…. cette petite ville côtière constitue le point le plus septentrional de l’Afrique. Sa proximité avec le continent européen et les autres pays du bassin méditerranéen, font d’elle un emplacement géostratégique exceptionnel. Plages vierges à perte de vue, paysages à couper le souffle et son fameux Vieux Port surnommé la Venise Africaine à cause du canal qui traverse la médina au fort millénaire.

Mais Bizerte n’a jamais eu de vocation touristique… Malgré tous ces atouts, elle demeure encore, aujourd’hui, une ville paisible où il fait bon vivre.

Pourtant depuis une dizaine d’années, la ville a été secouée par un projet immobilier et touristique de grande ampleur : la Marina de Bizerte. C’est en 2009, que les travaux ont commencé dans le quartier de « La Plage ». Sont prévus un port de plaisance, un immeuble de 300 appartements au standing luxueux et une « Croisette », à l’image de la ville française de Cannes.

Douze ans plus tard, ce méga-projet n’est toujours pas achevé, soulevant de nombreuses interrogations. Nous avons tenté d’enquêter sur ce programme qui pourra complètement changer le visage de la ville.

La Marina

Le quartier de la plage se situe à l’entrée de la ville de Bizerte, juste après le célèbre pont mobile et en face du Vieux Port. Il s’agit d’un grand boulevard bordé par la mer. Les anciens de la ville se souviennent de cet endroit où petits et grands venaient pour profiter d’une balade et se baigner. Certains nous ont même raconté qu’à l’époque de la colonisation, les Français y organisaient un bal dansant tous les samedis soirs.

C’est là bas que la société Bizerte Cap 3000 a décidé de créer le projet de la « Marina de Bizerte ». Si aujourd’hui le port est achevé et accueille des bateaux, le Nautilus (nom donné au bâtiment) et la Croisette sont encore incomplets.

Construite sur une superficie de 35 hectares, la marina constitue le plus grand port de plaisance de Tunisie. Il offre plus de 720 anneaux pour des bateaux allant de 6 mètres à 110 mètres. Grâce à sa capacité, Bizerte a pu accueillir des méga yachts mondialement connus appartenant, à de riches hommes d’affaires ou à des familles princières. La somme de 120 millions de dinars été déboursée pour sa construction.

Le Port de plaisance

Chaque saison (de mai à octobre), des centaines de bateaux transitent par ce port car c’est là bas que les formalités administratives se font pour l’entrée en Tunisie. Si certains décident de s’orienter vers d’autres endroits (Gammarth, Hammamet, El Kantaoui), d’autres restent à Bizerte favorisant  l’activité touristique. En effet, le tourisme de plaisance est un secteur qui peut générer des recettes, puisque en moyenne un plaisancier dépensera entre 150 et 200 euros par jour.

Pour autant, le tourisme de plaisance reste encore régi par des lois archaïques qui empêchent son développement. « Il faut que l’Etat autorise ce qu’on appelle le charter. C’est à dire des sociétés de plaisance étrangères qui mettent à disposition des vacanciers des bateau à la location pour des balades en mer », nous explique Mohamed Ali Ben Ammar, directeur du port. 

Aujourd’hui seules les sociétés Tunisiennes sont dans la capacité de le faire.

La Croisette

Autre facette du projet, la Croisette. Il s’agit de la création d’un boulevard qui juxtapose la marina qui abritera plusieurs commerces (restaurants et boutiques), ainsi qu’un mall.

La Croisette

Pour le directeur commercial de la Marina, Mr Wahib Hbaieb, il s’agit là de dynamiser l’économie de la ville et d’une opportunité de création d’environ 1500 emplois directs et indirects.

Le Nautilus

Depuis maintenant 12 ans, les habitants de Bizerte ont dû s’habituer à la présence d’un imposant bâtiment en amont du port de plaisance. Il s’agit sans doute du plus grand programme immobilier de la ville.

Un immeuble très haut standing de neuf étages à l’architecture moderne, reprenant la forme d’une vague et tout en transparence, développé par la filiale Cap 3000 Immobilière.

Il offrira 300 appartements avec différentes vues imprenables à la fois sur le port, la médina ou encore la mer. Allant du deux pièces de 70m2 au Penthouse de 400m2, l’édifice proposera des services dignes d’un hôtel de luxe avec conciergerie personnalisée, piscines chauffées, un fitness et un spa. Les prix oscillent entre 3800DT et 4200DT le m2.

Image 3D du Nautilus

La visite de l’appartement témoin nous confirme du standing haut de gamme des appartements. Matériaux importés, cuisines équipées en mobilier et électroménager… mais l’atout majeur réside sur les baies vitrée donnant sur un panorama exceptionnel.

D’après Wahib Hbaieb les travaux sont achevés à 65%. Aujourd’hui certaines fenêtres ont pu être installées, mais seuls 37% des appartements ont trouvé acquéreurs. « Nos clients sont au courant du retard de livraison. Ils sont compréhensifs », souligne le directeur commercial. En effet, pour la plupart il s’agit de personnes de classe sociale supérieure dont ce bien est la résidence secondaire, voire tertiaire.

Chantier du Nautilus

« Nous avons de plus en plus de clients issus des Tunisiens résidents à l’étranger qui sont intéressés par les appartements ». Ils sont attirés par les prix attractifs: 200.000 euros suffisent à acquérir un appartement qui surplombe la mer et de haut standing.

Douze ans de travaux et des blocages…

Douze ans… Depuis 2009, la Marina de Bizerte ne cesse d’être confrontée à des freins administratifs sans fin. Plaintes, procès, problèmes environnementaux, dettes… ce méga-projet qui pourrait transformer la ville de Bizerte semble être maudit.

Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec les deux parties impliquées…à savoir la société Bizerte Cap 3000 et la municipalité de Bizerte.

Pour information, la Marina de Bizerte est détenue par différents actionnaires. D’abord, la société CFE, une entreprise belge présente dans la construction, le dragage et l’ingénierie marine et filiale du groupe VINCI, détient 25% des parts, le restant appartenant à un groupement d’investisseurs privés qui ont cru  dans le projet. « Nos investisseurs sont confiants et croient dur comme fer à la Marina. D’ailleurs les deux dernières années, la société Cap 3000 Immobilière a procédé à deux augmentations de capital successives portant le capital de la société de 2 millions à 7 millions de dinars, ce qui prouve que nous avons bien l’intention d’achever le projet.», nous dit Wahib Hbaieb.

Maquette de la Marina de Bizerte

Pourtant l’énorme retard dans la livraison de ce programme laisse à croire que des problèmes subsistent. En effet, la mairie de Bizerte est en conflit avec le promoteur. Elle leur réclame une dette de 8 millions de dinars correspondant à des amendes qui concernent des dépassements.

La pénalité de 8 millions de dinars se répartit en :

*1 211.200.000 au titre d’une amende sur permis de construction, calculée sur la base de 400 dt pour le m².

*218.250.000 une redevance au titre du parking, vu l’écart entre les places devant être aménagées et les places disponibles.

*Occupation provisoire nécessitée par le chantier : 7.059.384.000, cette redevance a été calculée jusqu’au 20/03/2019, à raison d’un dinar, sur le seul m²/ jour. La municipalité précise que l’occupation provisoire se poursuit sur une superficie de 1515 m².

La société civile est aussi impliquée dans cette affaire. Elle dénonce le fait que le terrain qui servira à aménager La Croisette est à la base un domaine public maritime et que donc il n’est pas possible ni de le vendre ni de le céder. Pourtant il a été vendu, à l’époque, en 2009 pour la somme de 90DT le m2. Cette transaction a été réalisée sous l’ère du défunt président Zine EL Abidine Ben Ali. Selon M. Ben Gaid Hassine, élu et président de la commission des grands travaux, cette décision a été prise lors d’un conseil interministériel transformant cette parcelle en domaine privé de l’Etat. « C’est une chose qui n’existe nulle part dans le monde », nous dit-il.

Par conséquent, les autorités locales ont porté cette affaire devant la juridiction spéciale, créée dans le cadre de la  justice transitionnelle, afin de faire revaloriser le terrain qui, selon la loi, aurait dû être vendu à 150DT le m2. Cette affaire suit encore son cours.

De son côté, le promoteur explique que toutes les démarches ont été faites dans la légalité et que toutes les procédures ont été respectées.

La Marina fait l’objet d’une autre discorde entre la société Bizerte Cap 3000 et la municipalité. Il s’agit de la digue qui a été construite aux alentours du port et qui a modifié la circulation des pêcheurs. A cet égard, la municipalité de Bizerte, par l’intermédiaire de Mr Ali Ben Gaid Hassine, nous explique que cette digue a provoqué des problèmes de circulation des courants au niveau du Vieux Port. « La digue empêche l’eau du Vieux Port de se renouveler, ce qui a provoqué la stagnation des eaux et donc un problème environnemental ».

Vue du Vieux Port depuis le Nautilus

Pour se défendre, les promoteurs précisent que cette digue leur a été imposée par le ministère de l’équipement afin de contrer les vents de secteur Nord-Est. De plus, ils affirment que cette digue est placée sur des piliers situés au fond de l’eau ce qui permet à la mer de circuler. « L’eau sale du Vieux Port est due au fait qu’il n’y a jamais eu de désensablement de cette partie », affirme M. Ben Ammar, Directeur du port. Ajouté à cela le déversement des eaux usées et pluviales qui se jettent dans les eaux du Vieux Port. A cet égard, le promoteur s’est engagé à réparer les pompes d’avidement en collaboration avec l’ONAS et les services municipaux.

Afin de poursuivre les travaux, un permis de construire doit de nouveau être délivré au promoteur… Mais la mairie, dirigée par M. Kamel Ben Amara, tient bon. « Nous suivons les procédures légales et nous attendons les décisions de justice concernant les plaintes que nous avons émises ».

D’après la société Bizerte Cap 3000, plusieurs procès ont eu lieu dans l’affaire de la Marina de Bizerte. Si certaines ont été réglés, d’autres restent encore en instruction et dans l’attente d’un verdict. « Nous avons l’impression que beaucoup de gens sont contre ce projet alors qu’il va dans l’intérêt du développement de la ville », déplore M. Habaieb.

Nous avons interrogé la municipalité quant à sa volonté que le projet s’achève. Elle dit vouloir trouver une solution rapide à cette situation. « Nous ne sommes pas contre ce projet de marina. Nous voulons juste que la loi soit appliquée, nous attendons donc les décisions de justice. Si le tribunal leur donne raison alors nous ferons en sorte que ce projet sorte vite de terre…mais si le verdict va dans le sens de la municipalité, alors nous n’hésiterons pas à faire appliquer la loi et à exiger les sommes dues », conclut l’élu municipal, Ali Ben Gaid Hassine.

Le directeur commercial de la Marina de Bizerte nous a annoncé que la première tranche du Nautilus sera prête d’ici la fin de l’année 2021, la deuxième au cours de l’année 2022 et enfin si les deux parties arrivent à trouver un terrain d’entente, la Marina de Bizerte pourra enfin être inaugurée dans son ensemble en 2023.

Wissal Ayadi

2 Auteurs du commentaire
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Anonyme

Bizerte une petite ville ????? c’est la 5ème ville du pays 1) Tunis (638 845) 2) Sfax (272 801) 3) Sousse (221 530) 4) Kairouan (139 070) 5) Bizerte (136 917). Bonne nouvelle pour le dynamisme de la ville si ce projet s’achève mais la réussite du projet du port de plaisance (qui rapporte beaucoup vu le prix des anneaux en Europe où d’ailleurs il n’y en a plus) est conditionné par deux facteurs l’open sky de Tunis Carthage pour les plaisanciers qui font le saut pour prendre le large et les travaux du nouveau pont (le plaisancier n’a pas… Lire la suite »

Omar zouari

Il y a une différence fondamentale entre la marina et le projet immobilier nautilus !.
Un marina,en bord de mer c normal et bénéfique pour toute la région.par contre un immeuble imposant en pleine façade maritime ,c parfaitement inacceptable et incompréhensible .