« La dépression est la pathologie psychiatrique la plus fréquente en Tunisie » (Dr.Anouar Jarraya)

29-03-2021

Avec l’augmentation du stress, dû à la crise économique qui sévit depuis des années, et avec l’apparition de la pandémie du Coronavirus, en plus des problématiques et défis  professionnels, que nous surmontons quotidiennement malgré les obstacles, et les épreuves… à chaque fois la vie s’endurcit…. Notre état psychologique ne sera sans doute pas épargné des effets de tous ces évènements sur notre humeur… En effet, ce surplus de sentiments négatifs peut engendrer un état d’anxiété permanent, et évoluer sous la forme de pathologies psychiatriques.

Lors d’une interview accordée à Gnetnews, le Docteur Anouar Jarraya, professeur en médecine psychiatrique à la Faculté de médecine (Tunis), nous a dévoilé que la dépression est la maladie la plus fréquente chez les patients qui affluent dans les cabinets de psychiatres, en Tunisie.

« Quant à la schizophrénie, selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), 1% de la population de chaque pays du monde en souffre. Ceci dit, en Tunisie, ce pourcentage représenterait 120 000 personnes sur une population de 12 millions de personnes. Ce chiffre reste toutefois estimatif puisque le nombre de lits dans les services psychiatriques hospitaliers ne dépasse pas les 1200 places », a précisé l’ancien chef de service psychiatrie au CHU Hédi Chaker-Sfax.

Les dépressions: définitions et causes

« Par rapport  à la schizophrénie,  la dépression demeure au top du palmarès des troubles psychiatriques en Tunisie… », a confirmé le médecin. Il a également précisé que seul un  psychiatre est en mesure de donner un diagnostic, en donner l’origine, et en préciser la cause réelle ».

En nous parlant de cette maladie, l’ancien chef de service psychiatrie au CHU Hedhi Cheker-Sfax, a indiqué que la dépression est vécue selon différents degrés  suivant le profil psychologique du patient. Elle se répartie également sur plusieurs catégories, dont les plus graves sont la « dépression nerveuse » et le «burnout ».

 Par ailleurs, en médecine clinique, il existe 4 types de dépressions nous précise-t-il ; la dépression réactionnelle qui se traduit par un état de tristesse suite à un choc émotionnel ou physique, une forte émotion négative, ou encore une déception de la vie ou des autres.

Il y a aussi la dépression passagère, dont la faiblesse psychologique en est souvent la cause. Elle atteint les personnes qui ne supportent pas le stress et les situations de pression.

« La dépression est aussi une maladie héréditaire qui peut être transmise d’une génération à une autre, à travers les gênes », ajoute Dr. Anouar Jarraya. Ce trouble psychiatrique est appelé « dépression profonde », et mène souvent au suicide ou encore au crime.

« A cause de la gravité de cette pathologie, il serait déconseillé de s’auto-diagnostiquer ou de juger l’autre par son état de tristesse ou ses sautes d’humeur qu’on confond également avec la bipolarité…Ce vocabulaire médical qu’on utilise à tort et à travers, concerne de vraies maladies psychologiques. Il s’agit de symptômes ayant de lourdes conséquences sur les malades et leur entourage, et non pas de qualificatifs à prendre à la légère », prévient-il.

En effet, avec la démocratisation du jargon médical grâce à internet et aux réseaux sociaux, les Tunisiens ne prennent plus au sérieux ces maladies qui menacent la santé mentale des citoyens. Ils lisent en ligne des informations générales au lieu de consulter et de se faire traiter par une thérapie ou par le biais de médicaments, a déploré le professeur.

L’enfance, source des troubles psychologiques à l’âge adulte

La santé mentale tient son équilibre de l’épanouissement psychologique, physique, sociale et économique. Le fait que l’un de ces facteurs soit perturbé, la faille psychologique se creuse, et s’installe pour favoriser un déséquilibre dans la régulation de l’humeur, nous dévoile le psychiatre.

« L’humain, est également une unité sociale qui doit avoir des liens positifs avec les autres et  interagir avec eux pour préserver son bien-être, et pour se sentir valorisé et construire son amour propre. Il a besoin aussi de reconnaissance, du sentiment d’appartenance à un milieu familiale, professionnel ou autre, pour se sentir en sécurité. En revanche, toutes ces ressources ne peuvent être satisfaites que par le biais de sa personnalité construite à l’enfance, au sein du noyau familial, à l’origine de tous les maux à l’âge adulte…».

D’après le Professeur Anouar Jarraya, il ne suffit pas d’atteindre cet épanouissement, mais c’est la manière de s’en apercevoir qui décide de la jouissance de la vie… « Cette vision se construit en premier lieu, à partir de la relation avec la mère. Ce lien est crucial dans la régulation de l’humeur de l’adulte et de sa perception du monde. »

« L’état psychologique défaillant nait à un âge très précoce »

 « Le nourrisson, à partir de l’âge de 8 mois, cumule les sentiments qu’il reçoit de la personne qui le materne. Le toucher nerveux et anxieux de ses doigts lorsqu’elle le tient, la manière froide de lui faire un câlin, les regards et le ton de sa voix disent long sur les relations futures de l’enfant qui les reçoit…Une telle interaction « sèche » s’en déduit, la méfiance, l’insécurité, le sentiment de solitude, le retrait et une baisse permanente du moral à l’âge adulte. Aussi, durant l’enfance, c’est la relation instaurée entre ses parents, qui va définir notre vision sur les autres et sur le monde. Le moindre détail défaillant pourrait perturber psychologiquement l’être humain, et préparer un terrain favorable à la tristesse, la mélancolie, et puis l’incapacité de pouvoir jouir de la vie et de surmonter ses épreuves. Le manque de tendresse, recevoir une éducation dure d’un parent, et très permissive d’un autre parent, pourrait également perturber l’enfant, et le noyer dans l’incertitude, l’incompréhension, l’ambiguïté et la perte des repères même en étant adulte ».

 S’y ajoute, la relation du père avec sa conjointe, qu’elle soit harmonieuse ou conflictuelle, partiellement ou entièrement équilibrée, elle définit également l’humeur futur de l’adulte…L’enfant observe généralement, les réactions provenant de ses parents, leur manière de communiquer et de se traiter mutuellement.

« L’enfant note, encaisse et puis évolue avec cet apprentissage qu’il applique plus tard d’une manière innée sur les autres. Ces facteurs environnementaux vécus à la petite enfance construisent un type de personnalité qui favorise son identité construite à un âge précoce, la  dépression, notamment avec les différentes épreuves de la vie qu’on pourrait confronter plus tard, avec tout ce lourd « bagage » de ressentiments, trainés au fil des années, » conclu le professeur en psychiatrie.

Emna Bhira