Tunisie : La société civile appelle le gouvernement à déclarer l’Etat d’urgence hydrique

04-05-2023

La Tunisie vit actuellement une crise hydrique sans précédent. Depuis 10 ans, le pays n’a été épargné de la sécheresse, que deux années seulement, le menant aujourd’hui dans une situation de pénurie d’eau absolue, et qui ne fera que s’intensifier aux vues des changements climatiques qui sévissent.

Au 25 avril 2023, les taux de remplissage des grands barrages était de 30%, le déficit des apports en eau au niveau des sols continue de se creuser, accélérant inexorablement la surexploitation des nappes souterraines et la prolifération des pompages illicites (220.000 recensés en 2022).

Des chiffres alarmants qui ont poussé les autorités à avoir recours à la rationalisation de l’eau dans certaines régions…  Insuffisant par rapport à l’ampleur de la situation.

Ainsi, le Réseau Tunisie Verte a décidé de prendre ce sujet à bras le corps afin d’exhorter le gouvernement tunisien à déclarer l’Etat d’urgence hydrique et à mettre en place un plan d’urgence de gestion de la crise de l’eau.

C’est lors d’une conférence de presse organisée ce jeudi 4 mai à Tunis que cette association a dévoilé les propositions pour un plan de sauvetage, qui sera transmis au gouvernement à travers une note politique.

Houssem Eddine Chebbi / Raoudha Gafrej / Nidhal Attia (de g. à d.)

Invitée de cette conférence, Mme Raoudha Gafrej, Docteur Ingénieur, elle est experte en ressources en eau et en adaptation au changement climatique. Cela fait plusieurs années qu’elle tire la sonnette d’alarme sur la question de l’eau. « Il faut déclarer l’Etat d’urgence de catastrophe naturelle, comme c’est le cas pour des séismes ou des Tsunamis car la sécheresse est une véritable catastrophe naturelle », lance-t-elle. 

Elle explique dans ce sens que l’Etat d’urgence permettra de prendre des mesures exceptionnelles. Mme Gafrej appelle à l’élaboration d’un plan d’action d’urgence de gestion de la crise hydrique et le rendre public et accessible à tous. Pour cela elle ajoute que cela doit se faire en précisant le rôle de chacun des acteurs: décideurs, administration, GDA, secteur privé, agriculteurs et citoyens.

Raoudha Gafrej demande également la convocation du Conseil National de l’eau qui est en place mais qui n’a jusqu’à présent pas été appelé à travailler sur la crise actuelle.

« Ce conseil doit intégrer la société civile dans ses rangs. Il doit aussi sortir de la tutelle du ministère de l’Agriculture pour être transféré à la présidence de la république et coordonner les actions avec le Conseil de Sécurité Nationale », relate l’experte.

En ce qui concerne le plan de rationnement cette dernière explique qu’il devra être plus large, accompagné d’une large compagne de communication, et qui précise les usages en alimentation en eau potable, en eau d’irrigation ainsi que tous les usage interdits avec des objectifs chiffrés.

« Le gouvernement doit mettre en place des lignes de financement en faveur de  l’économie d’eau. Il s’agit de gestes simples, comme la réparation des chasses d’eau, la subvention d’équipements domestiques pour l’économie d’eau », explique-t-elle. Raoudha Gafrej insiste sur le fait que ce plan d’action devra faire partie d’une stratégie à long terme, rappelant que la rationalisation en tant que telle n’est pas une solution qui pourra perdurer.

De son côté, Houssem Eddine Chebbi, expert en économie agricole et environnement s’est penché sur le lien entre les pénuries et le secteur agricole, qui sont intimement liés. « Ces recommandations sont un appel au sauvetage de l’économie agricole », relève-t-il, appelant à un « Plan Marshall pour l’agriculture ».

Pour appuyer son propos, il rappelle qu’aujourd’hui le taux d’investissement n’a jamais été aussi bas. « En 2018, ce taux était de 18%, aujourd’hui nous sommes à 10%. Si on continue comme cela il n’y aura plus d’agriculteurs et plus d’agriculture ».

Houssem Eddine Chebbi, indque par ailleurs que le système de subvention, au consommateur a atteint ses limites au détriment de l’agriculteur qui souffre depuis plus d’une dizaine d’années. « Le plan d’action des mesures de lutte contre le stress hydrique n’aura une chance de réussir que si le gouvernement consacre un budget conséquent au secteur agricole, qui est le plus gros consommateur d’eau en Tunisie. Ainsi, nous proposons que l’Etat alloue une enveloppe de 1 milliard de dinars au profit de l’agriculture », ajoute l’expert.

Cette enveloppe servirait notamment à réviser le plan de développement 2023_2025 afin de prendre en compte la disponibilité en eau et les actions d’adaptation locales, de rendre opérationnel le fonds d’indemnisation de dommages agricole causés par les calamités naturelles mis en place depuis 2018, et qui couvre entre autres les cas de sécheresse.

Il s’agit également de renforcer les incitations et les mécanismes d’aide directe notamment pour l’amélioration de l’efficacité de l’utilisation de l’eau disponible. Housse Eddine Chebbi indique également que cette ligne de financement doit servir à réorienter les mécanismes d’aide indirect en augmentant les prix à la production et à la collecte des céréales et les prix à la production pour le lait.

« Nous devons pouvoir réduire la facture d’importation des céréales en boostant la production et la collecte locale », assure-t-il.

Par ailleurs, les deux expertes s’accordent à dire qu’aujourd’hui les pénuries d’eau sont accentuées par une surconsommation de produits céréaliers notamment. Ainsi, ils conseillent à cet égard par exemple d’augmenter les prix du pain, largement gaspillé par les Tunisien en raison de son prix bas.

Autre recommandation, celle de la révision des tarifs de l’eau qui figurent parmi les plus bas au monde, vendus à perte par l’Etat et qui ne permettent pas à la SONEDE d’investir dans l’entretien de ses réseau qui sont à l’origine de pertes en eau énormes. A noter que dans le secteur agricole, dans le meilleur des cas, le réseau de distribution de l’eau est à 40% d’efficience dans les périmètres irrigués. Cela veut dire que 60% de l’eau distribuée est perdue.

« La réduction des pertes doit être la première solution à l’économie d’eau », conclut Raoudha Gafrej.

Gnetnews