Tunisie : Demain jeudi, rentrée des enseignants : manque de moyens, infrastructure vieillissante, réforme… les taraudent encore et toujours !

13-09-2023

La rentrée scolaire en Tunisie est marquée par une ambiance mêlée d’appréhension et de préoccupations pour de nombreux enseignants. Ces derniers rejoindront demain, jeudi 14 septembre, un jour avant les élèves, leurs postes, dans un état d’esprit variable d’un enseignant à un autre. Nous avons eu l’opportunité de rencontrer M. Foued Laribi, professeur d’histoire dans un lycée de Hammamet, pour discuter des défis auxquels font face les enseignants dans le pays.

Une ambiance de rentrée morose…

D’emblée, M. Laribi souligne que l’appréhension de la rentrée varie en fonction du type d’enseignants. En effet, pour les enseignants vacataires, la situation est particulièrement complexe. Ces professionnels de l’éducation sont confrontés à des conditions de travail difficiles, en raison notamment des salaires dérisoires. « Ils sont payés au lance-pierre, n’ont pas de CNSS et ne perçoivent pas de rémunération pendant l’été, » déclare M. Laribi.

De plus, depuis plusieurs années le ministère de l’Edication encourage de nombreux enseignants à anticiper leur retraite, remplacés par ces vacataires.

De plus, de nombreux enseignants expriment leur inquiétude quant à leur capacité à gérer des élèves de plus en plus difficiles. Les modifications apportées au règlement disciplinaire ont, selon M. Laribi, affaibli l’autorité des enseignants, en particulier celle des femmes professeurs.

La rentrée des enseignants, qui se déroule seulement 24 heures avant celle des élèves, suscite également des préoccupations. Contrairement à de nombreux pays où les enseignants retournent à l’école plusieurs jours à l’avance pour préparer leurs emplois du temps et s’adapter aux changements de dernière minute, en Tunisie, cela se passe différemment. M. Laribi estime que cela peut être problématique, en particulier pour les nouveaux enseignants qui commencent leur carrière. « Si pour un professeur aguerri, cela ne pose pas de problème, cela l’est pour les nouveaux enseignants qui entament leur première années de cours. C’est la raison pour laquelle il faudrait que la rentrée des enseignants se fasse un peu plus tôt », nous dit Mr Laribi.

Des conditions de travail dégradées

L’état actuel des conditions de travail est un autre sujet de préoccupation. M. Laribi décrit comment, au début de sa carrière, il pouvait compter sur des équipements fournis par l’école, tels que des rétroprojecteurs. « Au début de ma carrière dans les années 90, quand je demandais un rétroprojecteur pour un cours, tout était installé avant même que je n’entre dans ma salle de classe. Aujourd’hui, le vidéo-projecteur est le mien, l’ordinateur aussi et même les feutres que j’utilise pour écrire au tableau. Il n’y a plus de fournitures à disposition des professeurs », nous confie-t-il.

« De plus, de nombreux établissements scolaires sont en mauvais état, avec des salles vétustes et des installations sanitaires insalubres, ce qui crée des problèmes d’hygiène pour les élèves, en particulier les filles ».

M. Laribi soulève également des préoccupations quant au budget alloué au ministère de l’Éducation, qui représente seulement 11% du budget de l’État. Ce sous-financement a des répercussions négatives sur le système éducatif et retarde son évolution. « Les techniques pédagogiques ont évolué dans le monde entier, mais la Tunisie reste à la traîne. Il ne faut pas s’étonner que le système éducatif soit en désuétude », ajoute Laribi.

Une autre problématique évoquée par M. Laribi concerne l’orientation des élèves. Il explique que de plus en plus d’élèves sont orientés vers le tronc commun au lycée, même si leur niveau ne le permet pas, en raison de l’abandon de la formation professionnelle par l’État. Cela conduit à des situations où des élèves se retrouvent dans des filières qui ne correspondent pas à leurs compétences de base.

Enfin, ce dernier évoque la question épineuse du salaire des enseignants. M. Laribi reconnaît les difficultés budgétaires auxquelles est confronté l’État, mais souligne que les enseignants méritent un salaire plus en adéquation avec leur mission.

Consultation nationale

Le ministre de l’Éducation, Mohamed Ali Boughdiri, a annoncé que la consultation nationale pour la réforme éducative serait ouverte au public à partir du 15 septembre 2023 via une plateforme électronique dédiée.

Ce dernier a précisé que cette consultation nationale, annoncée par le président de la République Kais Saied, se déroulerait sur une période de deux mois afin de permettre à tous les citoyens de participer et de faire part de leurs suggestions concernant le processus de réforme éducative.

La consultation nationale comportera 20 questions portant sur divers thèmes majeurs, notamment les orientations futures du système éducatif, la pédagogie, la durée des cours, l’évaluation, et d’autres sujets connexes.

Les résultats seront rendus publics sous forme d’un rapport de synthèse dès la fin de la période de consultation auprès des citoyens tunisiens. Ces résultats seront ensuite adoptés par le Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement, tel que stipulé dans la Constitution du 25 juillet 2022, en vue de mettre en œuvre la stratégie nationale de réforme éducative en Tunisie.

De son côté Foued Laribi, comme bon nombre de ses confrères ne croient pas vraiment dans l’efficacité de ce processus. En effet, selon lui, il ne sert à rien de réfléchir à la refonte du système éducatif sans argent. « A quoi sert le conseil supérieur de l’enseignement sans financement. Si le budget alloué au ministère de l’Education n’atteint pas les 25%, voire 30% du budget de l’Etat,  alors la réforme ne servira à rien. Ce n’est pas avec une consultation nationale que les problèmes de l’Education vont se régler », lance le professeur d’histoire.

« Si on veut faire entamer une réforme, le premier chantier sur lequel il faut travailler est l’infrastructure scolaire qui doit être humaine et non inhumaine comme c’est le cas maintenant », ajoute-t-il.

En ce qui concerne l’orientation et la pédagogie, Laribi insiste sur le fait qu’il faut à nouveau encourager le développement de la formation professionnelle à destination des élèves pour qui le système scolaire classique est difficile. « Et aussi il ne faut plus orienter les élèves qui n’aiment pas les maths, vers une filière scientifique, ou un élève qui n’aime pas littérature vers une filière littéraire. Cela n’a aucun sens! », déplore-t-il.

Pour cet enseignant, il faut également revoir la formation des professeurs et une hausse des contrôle de l’inspection pédagogique. « Aujourd’hui le pourcentage de professeur qui font correctement leur travail, qui font une mise à jour de leurs cours est très faible malheureusement. Aujourd’hui nous avons des enseignants en langue qui n’ont pas lu un livre depuis la fin de leur formation. ce n’est pas normal ». D’où l’importance de prendre en compte également les évolutions pédagogiques dans le monde.

Autre problématique de taille, le nombre d’élèves par classe. Selon la loi, il ne ne doit pas dépasser les 28, aujourd’hui il n’est pas rare de trouver des classes avec une quarantaine d’élèves. « Cela pose de gros soucis à l’enseignant pour faire passer l’information, mais également pour faire régner l’autorité », souligne Laribi.

Wissal Ayadi