Suspension des relations avec Israël : Fermeté de l’Amérique Latine, position arabe timorée
Depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas contre Israël, l’entité sioniste a mené des bombardements massifs dans la bande de Gaza, entraînant la mort de milliers de civils. En signe de condamnation, certains pays ont suspendu leurs relations diplomatiques avec Israël, d’autres ont rappelé leurs ambassadeurs ou gelé leur coopération économique.
Adnan Limam, professeur universitaire en relations internationales, nous livre son analyse sur la question.
Amérique latine et Afrique du Sud : Des positions de principe sincères et louables
Les nations d’Amérique latine ont été parmi les premières à prendre des mesures. À la mi-octobre, la Colombie a annoncé la suspension de ses relations avec Israël et le rappel de son envoyé à Tel Aviv en raison de son refus de soutenir ce qu’elle qualifie de génocide. La Colombie a également appelé les autres pays d’Amérique latine à suivre cet exemple en signe de solidarité.
Répondant rapidement à cet appel, la Bolivie a annoncé le 31 octobre rompre ses relations diplomatiques avec Israël, rappelant son ambassadeur et accusant l’entité sioniste de crimes de guerre.
Le Chili a emboîté le pas un jour plus tard, condamnant l’offensive israélienne dans la bande de Gaza. Le pays a rappelé son ambassadeur en Israël pour des consultations, citant des violations du droit humanitaire international.
Le Honduras a également pris une décision similaire. Le 3 novembre, le ministère des Affaires étrangères a annoncé le rappel de son envoyé à Tel Aviv, condamnant les nombreuses violations du droit international commises par Israël dans le contexte de la guerre à Gaza.
Dans la même logique, il faut ajouter l’Afrique du Sud, qui a apporté son soutien à une motion parlementaire sur la fermeture de l’ambassade d’Israël et la suspension de toute relation diplomatique avec Israël jusqu’à ce que ce pays accepte un cessez-le-feu. Par ailleurs, le président Sud-africain, Cyril Ramaphosa, n’a pas hésité à porter plainte auprès de la Cour Pénale Internationale face aux crimes de guerre commis à Gaza par les offensives israéliennes.
Selon Adnan Limam, ces pays ont adopté des positions de principe aussi sincères que louables. « Ils ont tiré les conséquences des crimes de guerre. À travers ces actions, ils expriment leur condamnation totale et absolue des crimes commis par l’entité sioniste », nous dit-il.
Limam rappelle également que ces États, majoritairement de gauche, ont toujours soutenu les peuples en lutte pour leur libération de toute forme de colonisation.
« Pour l’Afrique du Sud, c’est le passif de l’Apartheid qui est dans les têtes. Le président colombien est carrément d’origine arabe. La Bolivie a aussi le cÅ“ur à gauche, et la rue arabe se rappellera du Belize, pays que personne ne connaît et qui a rompu ses relations diplomatiques. Ces pays sont beaucoup moins empreints de calculs sordides et d’intérêts que ceux affichés par certains pays arabes », souligne le professeur en relations internationales.
« Ces pays ont pris ces décisions par rapport aux valeurs dont ils se réclament. Si l’on prend le Brésil, le président Lula est connu pour être de gauche, disposant de sympathies prononcées pour la cause des peuples en lutte contre l’oppression étrangère et toute forme de colonisation, et donc en faveur de la libération du peuple palestinien », ajoute-t-il.
Les timides actions des États arabes
Le deuxième groupe d’États ayant consenti à des actions à l’encontre de l’entité sioniste concerne les États arabes, dont certains ont suspendu leurs relations diplomatiques, d’autres ont gelé les relations économiques. Toutefois, le monde arabe demeure majoritairement inactif, à l’exception de la Jordanie et du Bahreïn. Ces deux royaumes ont choisi de rappeler leurs ambassadeurs. La Jordanie a été la première à prendre cette mesure le 1er novembre, informant également Israël de ne pas renvoyer son ambassadeur. Au sujet des demandes populaires d’abroger le traité de paix avec Tel-Aviv, le ministre des Affaires étrangères jordanien, Aymen Safdi, avait affirmé qu’à la lumière des crimes perpétrés par Israël contre le peuple palestinien, le traité de paix était devenu une simple feuille couverte de poussière.
Le Parlement bahreïni a décidé de rappeler l’ambassadeur du pays en Israël et de suspendre les relations économiques du Royaume avec l’État hébreu. Cette décision réaffirme la position historique du Bahreïn et son soutien au peuple palestinien. Il convient de rappeler que le Bahreïn fait partie des pays ayant signé les accords d’Abraham. En octobre 2020, un mois après la signature de ces accords de normalisation à la Maison Blanche, le Bahreïn et Israël ont officialisé leurs relations diplomatiques. Les accords d’Abraham sont deux traités de paix, l’un entre le Bahreïn et Israël, et l’autre entre les Émirats arabes unis et Israël, sous l’égide des États-Unis dirigés à l’époque par Donald Trump.
Selon Adnan Limam, pour les États arabes, la grille de lecture est toute autre. « Ces pays ne sont pas prêts à sacrifier leurs relations avec l’entité sioniste, mais sont contraints de composer avec la rage de leur propre peuple pour donner le change. Ne souhaitant pas faire face à la colère populaire, ils prennent des mesures symboliques et attendent que l’orage passe. Certains États souhaitent même une victoire israélienne et une éradication du Hamas, c’est le cas notamment des pays du Golfe par exemple », déplore Limam.
« Les pays d’Amérique latine ou l’Afrique du Sud ont pris des positions tranchées qui sont bien plus fortes que celles prises par les pays arabes, alors que leur opinion publique n’est pas aussi attachée à la cause palestinienne », poursuit-il.
Le professeur évoque également une certaine forme de démission totale vis-à -vis de la Palestine. « Elle les dérange beaucoup plus qu’elle ne les interpelle. Pour eux, les intérêts économiques et la prospérité économique passent avant tout. Ils sont prêts à renier tous leurs principes. Nous sommes loin de l’héritage politique du Roi Fayçal ben Abdelaziz Al Saoud, qui avait décrété un embargo pétrolier contre les pays occidentaux qui soutiennent Israël et ce au moment de la guerre du Kippour », relève-t-il.
Égypte : Le conflit est devenu une question d’intégrité nationale
Pour ce qui est de l’Égypte, l’expert en relations internationales indique que la question palestinienne est redevenue une question d’intérêt national majeur entrant dans les intérêts vitaux de l’État égyptien.
Dans ce sens, il fait allusion au projet de transfert et de déportation de la population gazaouie vers le Sinaï qui a été déclaré et dit publiquement par les officiels israéliens. « Sur le conflit entre la Palestine et Israël, l’Égypte joue ses propres intérêts nationaux. Elle n’a pas rompu ses relations pour garder le contact avec Israël car elle n’acceptera pas le déplacement des populations gazaouies vers le Sinaï », affirme-t-il.
La rupture des relations diplomatiques ou économiques avec Israël pourrait-elle avoir un impact sur le conflit en cours ? Pour Adnan Limam, ces mesures impactent les opinions publiques mais n’affectent aucunement la politique israélienne. « Nous avons affaire à un gouvernement extrémiste dont certaines composantes sont à l’extrême de l’extrême, dont le chef de file n’est autre que Itmar Ben Gvir, qui est le ministre de la sécurité nationale d’Israël. Cela ne les fera, en aucun cas, réagir. Le seul État qui a les moyens d’amener Israël à moduler sa politique sont les États-Unis », conclut le Pr Limam.
Wissal Ayadi