Tour d’horizon avec Dorra Milad sur le tourisme tunisien et les nouveautés de la saison 2024

05-04-2024

Les professionnels du tourisme sont confiants pour la réussite de la saison touristique estivale 2024. Après une belle reprise en 2023, la Tunisie semble ainsi continuer dans sa lancée. Les tour-opérateurs étrangers sont au rendez-vous notamment en ce qui concerne les marchés français, allemands, anglais mais aussi de la clientèle d’Europe de l’Est qui prévoit d’être nombreuse sur les plages tunisiennes cet été.

Dans une interview exclusive avec la présidente de la Fédération Tunisienne de l’Hôtellerie (FTH), Dorra Milad, les défis et les opportunités de la saison touristique 2024 en Tunisie sont mis en lumière.

Malgré une reprise prometteuse de l’activité touristique, des obstacles tels que le manque de capacité aérienne et d’infrastructures hôtelières modernes persistent. Milad souligne également l’importance de diversifier l’offre d’hébergement pour répondre aux besoins de la clientèle locale et internationale, ainsi que la nécessité d’une collaboration accrue entre le secteur public et privé pour assurer le succès de la saison. Entretien.

Quelles sont vos perspectives pour la saison touristique 2024 en Tunisie, en comparaison avec la saison précédente ?

La saison 2024 devrait suivre la dynamique positive de la saison précédente en termes de reprise de l’activité touristique. Nous espérons au moins réitérer nos performances de 2023 voire les surpasser.

Quels sont les principaux obstacles limitant la croissance du tourisme en Tunisie ?

« Nous sommes entravés par plusieurs éléments, notamment le manque de capacité aérienne sur certains marchés clés comme la France et l’Allemagne. Les compagnies nationales sont saturées et les capacités disponibles sont souvent monopolisées par de grandes compagnies aériennes nationales, ce qui les empêche de voler en dehors du pays d’origine ».

Comment percevez-vous le concept de l’Open Sky dans ce contexte ?

« L’absence de l’Open Sky restreint notre potentiel de croissance. Si le gouvernement souhaite protéger les compagnies nationales, des investissements doivent être réalisés pour renforcer leur compétitivité. Actuellement, ce choix entrave le développement du tourisme tunisien et compromet notre capacité à générer des revenus et à créer des emplois.

Le choix qui a été fait par la Tunisie en ce qui concerne l’Open Sky contraint de limiter l’essor du tourisme tunisien, les capacités à contribuer aux équilibre financiers et à ramener des ressources en devises étrangères. Ce sont également des opportunités de croissance et d’emploi qui sont perdues, et ce, malgré une forte demande et une très forte concurrence. Si nous n’arrivons pas à répondre à cette demande, d’autres répondront à notre place ».

Quels sont les principaux défis concernant les infrastructures hôtelières en Tunisie ?

« Outre le manque de capacité aérienne, nous sommes confrontés à des défis structurels dans la qualité et la modernisation des infrastructures hôtelières. De nombreux hôtels éprouvent des difficultés à obtenir des financements bancaires, malgré leur solvabilité. Le secteur bancaire est très réticent à investir ou à financer le secteur du tourisme et de l’hôtellerie en particulier. Ce manque de confiance est regrettable alors que parallèlement on sent un retour de confiance des opérateurs étrangers. Les agences de voyage, avec le « Early Booking », ont aidé à financer un certain nombre d’hôtels dans leur préparation à la saison estivale en ce qui concerne notamment la rénovation des infrastructures.

Il est important également de noter qu’il y a un certain nombre de chaînes internationales qui continuent à investir en Tunisie et à prendre des hôtels en gestion et malheureusement au niveau national on voit que la confiance n’est pas encore revenue. Il faut donc s’interroger sur les causes de cette situation. Est-ce que c’est l’Etat qui n’a toujours pas déclaré que ce secteur est un pilier de la stratégie de développement du pays ? C’est peut-être cela qui influe sur l’approche bancaire. Aujourd’hui nous sommes en train de condamner une grande partie de notre capacité hôtelière et les investissements qui ont été réalisés au fil des décennies ».

Quelles solutions proposez-vous pour diversifier l’offre d’hébergement et attirer la clientèle locale ?

« Il n’y aucune stratégie aujourd’hui pour créer un produit d’hébergement adapté aux clients tunisiens et correspondant à leur budget. La plupart des hôtels situés dans les stations balnéaires sont obligés de présenter un produit qui correspond aux normes internationales et à la concurrence et ce produit à un coût élevé et correspond à un niveau de revenu européen. Il ne faut pas oublier que nous sommes en concurrence direct avec d’autres destinations dont certaines se trouvent en Europe du Sud. Mais cela ne correspond pas au niveau de vie, ni au budget des familles moyennes tunisiennes.

Donc la solution est de réfléchir à d’autres types d’hébergements qui soient hors du circuit classique des hôtels étoilés. Cela peut être des résidences hôtelières qui comportent moins de services et qui privilégient la proximité avec la mer, une piscine à disposition, une bonne nourriture et des activités pour les enfants. Par exemple le concept d’hôtellerie de plein air est très répandue en Europe et marche très bien et pourrait correspondre au budget des familles tunisiennes. Il s’agit d’un bon compromis entre le camping classique et l’hôtel. C’est confortable, plus facile à mettre en place et moins couteux ».

Comment envisagez-vous d’autres formes de tourisme pour promouvoir une activité touristique durable tout au long de l’année ?

« Il est crucial d’investir dans diverses formes d’hébergement, notamment dans les régions moins touristiques afin de faire vivre l’activité toute l’année. Par exemple, nous observons un intérêt croissant pour la Tunisie en tant que destination de long séjour pour les seniors étrangers, ce qui témoigne du potentiel inexploité du pays. Il y a de plus en d’italiens, de belges ou de français qui viennent faire de longs séjours en Tunisie en basse saison, qui vont à l’hôtel et qui sont même prêts à y vivre à l’année. Les atouts sont la proximité avec leur pays d’origine, un taux d’ensoleillement important, le coût de la vie qui est intéressant et enfin un système médical fiable ».

Quels sont les défis en termes d’emploi dans le secteur touristique tunisien ?

« Le secteur souffre d’un exode de compétences vers l’étranger et d’un désintérêt croissant des jeunes pour les métiers du tourisme. Il n’est pas évident de former rapidement et de faire face aux défections. Il y a une désaffection des jeunes tunisiens pour les métiers manuels en raison d’une politique d’encouragement des cols blancs au détriment des cols bleus.  Il est impératif de revaloriser ces métiers et d’offrir des opportunités de carrière attractives pour attirer et retenir les talents locaux.

Nous demandons un peu plus de pragmatisme et plus de fluidité dans la réglementation qui encadre nos métiers et qui n’a pas évolué depuis 50 ans, devenant des freins au développement de l’investissement et de l’emploi ».

Quel est votre point de vue sur la collaboration entre le secteur public et privé dans le tourisme ?

Nous constatons un manque de partenariat public-privé dans la planification de la saison touristique, ce qui est regrettable. Toutes les réunions de préparation de la saison se font entre ministères sans inviter les professionnels qui sont pourtant le cœur de l’activité. C’est la première fois que je vois que la préparation de la saison se fait sans les professionnels.

C’est fort dommage, mais nous travaillons d’arrache-pied pour que la saison soit un succès. Il faut savoir que la destination Tunisie se vend naturellement grâce aux relations entre l’hôtellerie et les agences de voyage locales et internationales ».

Propos recueillis par Wissal Ayadi