Tunisie : La préparation de la saison agricole mise à mal, face à un automne sec et un déficit pluviométrique persistant !

03-10-2023

Voilà maintenant 5 ans que la Tunisie se bat contre la sécheresse. En ce début du mois d’octobre, aucune pluie à l’horizon. Les barrage atteignent des niveau inédit et les agriculteurs s’inquiètent pour la saison agricole à venir.

Les autorités prolongent les restrictions d’utilisation de l’eau potable, mais malgré cela la situation devient réellement intenable.

Imed Ouadhour, agriculteur céréalier dans la région de Bizerte fait un point sur la situation.

Les sols sont trop durs pour commencer à préparer la saison

Selon le dernier rapport de l’ONAGRI sur la situation des barrages, le taux général de remplissage des barrages s’est situé à 25,9 % au 29 septembre 2023, avec des taux de l’ordre de 30,4% dans le nord, 10,8% dans le centre et 6% au Cap Bon (6 barrages).

Pour Imed Ouadhour, céréalier dans la région de Bizerte, une chose est sûre, aucun agriculteur n’a commencé à préparer ses terres. « Le démarrage de la préparation des terres en vue de la saison agricole, appelée le grand labour, sera décalé. Le sol est très dur et solide et presque impraticable », nous dit-il.

Les agriculteurs aujourd’hui sont tous à l’arrêt en attendant la pluie. « Normalement à Bizerte, nous devons commencer à semer pour le fourrage animal le 15 octobre et pour les grandes cultures le 10 novembre. Or, personne n’a encore commencé à labourer », souligne amèrement l’agriculteur.

Les conséquences sur la saison agricole

Les pluies d’automne ont un rôle très important pour l’agriculture. A cet égard, Imed Ourdou nous explique que ces précipitations permettent l’apparition de plantes herbicides naturelles qui permettent de diminuer l’utilisation de pesticides. « Ainsi, même si la situation s’améliore en termes de pluie par la suite, nous aurons à gérer les mauvaises herbes », poursuit-il. 

Par ailleurs, la sécheresse a détérioré la qualité des terres. En effet, les nappes desséchées ont accru la salinité de la terre. « Au niveau des grandes cultures, le sel étouffe le grain de blé et ralentit sa croissance. C’est également un problème pour les cultures maraîchères, car le sel a un impact sur les rendements », ajoute Ouadhour.

La baisse inquiétante du niveau de l’eau des barrages a forcé les autorités à stopper le distribution de l’eau au niveau des périmètres irrigués, nous a-t-il indiqué. En effet, le   30 septembre dernier, les autorités tunisiennes ont annoncé que les restrictions étaient prolongées « jusqu’à nouvel ordre ». Instaurées au mois de mars dernier, elles étaient initialement censées être levées à la fin du mois de septembre. La Tunisie prolonge ainsi les restrictions à l’utilisation de l’eau potable dans l’agriculture. Une situation extrêmement délicate pour cette activité, principale ressource économique du pays, qui représente environ 10 % du produit intérieur brut PIB du pays.

« Cela va provoquer une baisse de la productivité des cultures maraîchères et bien sur une hausse de leurs prix cet hiver ». Imed Ouadhour évoque notamment les carottes, le fenouil ou encore l’artichaut dont les prix risquent de flamber dans les mois à venir.

« Il y a des étapes qu’il est difficile de ne pas respecter si l’on veut espérer une bonne récolte. Il faut d’abord labourer deux fois, puis ajouter le phosphate et ensuite vient la temps de l’ensemencement. Avant, nous avions une marge de manœuvre en termes de temps, aujourd’hui ça n’est plus le cas. L’agriculteur devra donc, en quelque sorte, bâcler certaines étapes pour réussir à récolter quelque chose », déplore le céréalier.

En ce qui concerne les semences, Imed Ouadhour affirme qu’il existe des variétés qui s’adaptent mieux au climat actuel mais qui sont en quantités limitées. Il évoque notamment les semences appelées « Maâli » ou encore « Karim ». « Il y a d’autres variétés mais qui sont gourmandes en eau. Il faudrait  que l’Etat mette à notre disposition des semences mieux adaptées à ces changements climatiques ».

L’Etat aurait du anticiper les changements climatiques

Si les conditions météorologiques ne s’améliorent pas, la récolte de la saison prochaine risque d’être compromise pouvant être pire que saison dernière, selon le céréalier.

« L’Etat a pris beaucoup de retard dans l’adaptation aux changements climatiques. Il y a 7 ans en arrière, les experts avaient déjà averti contre cette situation, pour autant rien n’a été fait. On nous a longtemps parlé de stations de déssalement d’eau de mer ou des lacs collinaires, sans concrétisation. Ce ne sont que des paroles en l’air ».

Selon Imed Ouadhour, la Tunisie doit également revoir ses habitudes alimentaires en vue de faire baisser la consommation d’aliments issus des céréales comme le pain ou les pâtes.

Il exhorte aussi l’Etat à mettre en place une politique agricole claire afin d’encourager les agriculteurs à changer la nature des cultures afin de planter des aliments, pouvant entrer dans l’alimentation mais qui sont moins gourmands en eau.

« Guérir une maladie, après avoir grandi et s’être propagée est souvent trop tard », conclu Ouadhour.

Wissal Ayadi