Tunisie : Des experts appellent à préserver les Stocks stratégiques pour éviter un arrêt de l’économie !

03-11-2022

Les différentes pénuries qui se succèdent depuis plusieurs mois en Tunisie, dues à des facteurs internes mais aussi à une flambée, sans précédent, des cours mondiaux, ont remis sur la table la question des stocks stratégiques.

Qu’est ce qu’un stock stratégique ? A quoi sert-t-il ? Et à quel moment devrait-on y avoir recours ? Pour répondre à ces questions nous nous sommes adressés à plusieurs économistes.

Définition

Ces derniers temps, tout le monde s’emballe ! On parle de stock stratégique et du danger de puiser dedans. Afin de comprendre les mécanismes qui régissent ces réserves, il est important de comprendre ce que c’est.

Une réserve stratégique est le stockage d’un produit par un gouvernement, une organisation ou une entreprise, dans le cadre d’une stratégie particulière ou pour faire face à des événements inattendus. Dans le cas du pétrole, la réserve stratégique donne à un pays importateur de pétrole une certaine marge de manÅ“uvre en cas d’interruption de ses approvisionnements. La Tunisie est en train de reconstituer son stock d’hydrocarbures, après avoir chuté à son plus bas niveau, il y a quelques semaines, une baisse que le gouvernement avait imputé à une forte demande et une affluence record vers les stations services.

Yassine Annabi, analyste économique et professeur à l’Université de Tunis, explique qu’un un stock stratégique permet d’équilibrer l’offre et la demande. Il s’agit d’un outil d’action public qui permet d’agir sur l’offre et la demande pour éviter les chocs par rapport aux prix.

Annabi donne l’exemple du lait. « La production de lait augmente et baisse selon les saisons. Donc quand la production augmente, on vend pour répondre à la demande (interne et externe). Sauf qu’il ne faut pas vendre tout l’excédent pour pouvoir couvrir la demande interne quand la production n’arrive pas à couvrir l’ensemble de la demande interne. C’est là que l’Etat intervient et donne des avantages en espèces aux industriels pour conserver ce stock. Il s’agit du stock stratégique. On met en place cette stratégie pour l’ensemble des biens de première nécessité y compris les carburants Â», explique-t-il.

Penser sur le long terme

Par ailleurs, le professeur d’économie, indique qu’un stock stratégique devrait pouvoir être utilisé lorsque la demande est supérieure à la production. « Quand on prend un produit comme les pommes de terre. Celles-ci sont produites par saison, mais nous la consommons toute l’année. Il nous faut donc un stock pour réguler l’équilibre entre la production et la quantité demandée. Il ne se sert a rien d’avoir un stock stratégique supérieur à la moyenne de notre consommation, ce serait des coûts supplémentaires, d’autant qu’il s’agit d’un produit périssable ».

Enfin, l’avantage du stock stratégique c’est qu’il permet d’éviter les chocs au niveau des prix. « Une population devrait connaitre sa demande moyenne par année, par mois et par semaine en faisant très attention aux périodes de haute consommation comme le mois de Ramadan par exemple ou l’été. Si on constitue un stock pour ces périodes là, les prix n’augmentent pas de manière exponentielle. Ainsi, le stock stratégique est inévitable pour éviter la flambée des prix », a-t-il dit.

« La Tunisie n’a pas de vision pour les stocks stratégiques »

De son côté, l’économiste Ridha Chkoundali explique que la Tunisie a vécu une pénurie d’essence car le pays ne dispose pas vraiment de réserves stratégiques de pétrole. « Les demandes en carburants des différents acteurs économiques et des particuliers augmentent. La norme internationale veut que le stock soit d’au minimum un mois, voire deux mois. Or, l’Etat tunisien n’a pas de vision, ni de stratégie quant à la constitution d’un stock stratégique de pétrole, elle ne s’attendait pas à une telle augmentation sur les cours mondiaux Â», nous dit-il.

« Quand on a demandé à la ministre des Finances ce qu’on allait faire si les prix du pétrole continuaient d’augmenter… elle a répondu on verra à ce moment là. Ce qui montre le niveau de stratégie mis en place au sommet de l’Etat… », a-t-il ironisé.

Par ailleurs, Chkoundali impute la pénurie d’essence à l’incapacité de la Tunisie d’honorer ses fournisseurs. En effet, les difficultés financières au niveau mondial ont poussé les fournisseurs à demander plus de garanties aux Etats. « Les fournisseurs ont peur que la Tunisie ne soit pas solvable et demandent donc d’être payés avant la livraison. A part le prix du carburant, ils exigent également que les frais d’assurance et du transport soit réglés aussi à l’avance ».

Pour payer ces transactions, le pays n’a d’autres choix que de puiser dans ses réserves en devises qui fondent comme neige au soleil depuis quelques temps. Selon les dernières données publiées par la Banque Centrale, les avoirs nets en devises se sont encore contractés à 103 jours d’importation. Au 02 novembre 2022, les réserves de devises se sont établies à 22 680 MD.

Dans le même contexte, Ridha Chkoundali a rappelé l’importance du déficit de la balance commerciale qui n’a cessé de s’aggraver, ces derniers mois, pour avoisiner les 17 milliards de dinars, à fin août 2022, contre 10,4 milliards de dinars, à la même période de l’année dernière.

« Ce déficit commercial a obligé la Banque Centrale de Tunisie à puiser inexorablement dans ses réserves en devises et cela fait baisser la valeur du dinar », déplore-t-il. Ceci ajouté aux difficultés rencontrées pour le remboursement de la dette, notamment le service de la dette, qui a atteint 8 milliards de dinars, durant le premier semestre 2022, contre 6,8 milliards de dinars, à fin juin 2021».

A noter que l’encours de la dette publique représente aujourd’hui 77% du PIB.

Les risques de la fragilisation des stocks stratégiques

Chkoundali alerte également sur l’importance de préserver les stocks stratégiques. Il explique dans ce sens que la faiblesse des stocks stratégiques peut entrainer un arrêt complet de l’économie nationale.

« Sans stock énergétique par exemple, on ne pourra plus faire fonctionner les transports en commun ou les voitures et donc les gens ne pourront plus aller travailler. Ainsi il y aura un arrêt de la production industrielle. Pour ce qui est de l’alimentation, même si on peut importer des denrées alimentaires, on ne pourra plus les transporter ou les faire venir. Et donc il y a une menace pour la sécurité alimentaire et énergétique », affirme-t-il.

Aujourd’hui, la question est de savoir si la Tunisie est capable de reconstituer ses stocks stratégiques et dans quelles mesures ? Selon Ridha Chkoundali, il faut au minimum un mois pour reconstituer un stock. Mais au vu du niveau de réserves en devises, cela risque de prendre beaucoup plus de temps.

Wissal Ayadi