Née il y a 20 ans en Tunisie, la télémédecine séduit pour ses multiples avantages !
Consulter un médecin sans avoir à se déplacer. A première vue cela semble difficile à croire pourtant cela est rendu possible grâce à la télémédecine. Si cette pratique est de plus en plus fréquente dans de nombreux pays développés, en Tunisie son impulsion a été donnée pendant le confinement du à la crise du Covid-19. Pourtant, depuis 2018, une loi permet la médecine à distance, mais encore aujourd’hui elle n’est pas encore appliquée suite à la non publication des textes qui doivent la régir.
Qu’est ce que la télémédecine ? Où en est-on en Tunisie ? Quel est l’avis des professionnels de santé ? La télémédecine est-elle la médecine de demain ? Enquête sur un phénomène devenu presque inéluctable.
En 2019, la télémédecine mondiale a fêté son 100ème anniversaire. En Tunisie par contre, elle a célébré cette année ses 20 ans. En effet, la Société tunisienne de télémédecine a été créée il y a 20 ans. Parmi ses fondateurs, il y a le Docteur Mohamed Aziz El Matri. Il nous explique que les premières consultations à distance se faisaient par téléphone pour les personnes qui se trouvaient dans des zones reculées. « La première initiative a été la mise en place d’un scanner dans la ville de Gafsa dont les résultats étaient communiqués par téléphone au médecin spécialiste qui était à Tunis », nous dit-il.
Mais depuis les moyens de communication se sont développés et le marché de la télémédecine est devenu un business.
E-Santé, quand la médecine devient digitale
Ce n’est qu’avec le confinement que la télémédecine s’est vraiment développée en Tunisie. En effet, les cabinets médicaux étant fermés et les gens interdits de sortir sauf pour une urgence, les personnes atteintes de maladies chroniques notamment ont souffert. Dans beaucoup de situations, leurs ordonnances n’ont pas pu être renouvelées. Pour palier à ce problème, le gouvernement de l’époque dirigé par Elyes Fakhfakh, a alors mis en place un décret-loi ayant permis la délivrance d’ordonnance dites « numériques ». Ainsi les malades atteints de diabètes ou d’hypertension par exemple ont pu renouveler leur ordonnance de médicaments sans se déplacer.
Ils s’appellent med.tn ou encore tobba.tn. C’est aussi pendant la période d’isolement que des start-up dédiées à la consultation médicale à distance ont vu le jour et ce avec le soutien du Ministère de la santé. Nous avons rencontré Mohamed Ben Hmida, CEO de la plateforme doqtoor.com. Son site Internet est en service depuis le début du confinement. Pendant les deux mois d’isolement, il a délivré du téléconseil médical en ligne et ce gratuitement. « Cela a permis notamment d’alléger la pression sur le 190. Nous avions également mis en ligne le test Covid numérique fait par le ministère de la santé », souligne-t-il.
Mais pour le moment, la plateforme ne permet que le téléconseil médical. C’est à dire qu’il est possible de poser une question en ligne et un médecin répondra à cette question dans les meilleurs délais, toujours par écrit. En effet, les consultations vidéos ne sont pas encore disponible car si la loi a été votée, les textes qui la régissent n’ont pas encore été rédigés, ce qui pose le problème de la mise en activité de ce genre de site.
Téléconseil & télécoaching
La télémédecine offre de nombreux avantages, à l’heure où la communication digitale est devenue une pratique plus que courante, notamment avec l’avènement des réseaux sociaux.
Elle contient plusieurs volets. D’abord, comme indiqué ci-dessus, le téléconseil, c’est à dire poser des questions par écrit auxquelles des médecins spécialisés répondront.
Elle permet également le télécoaching. Cette discipline implique des nutritionnistes, des psychologues ou encore des kinésithérapeute afin de prodiguer des conseils pour une meilleure hygiène de vie.
Mais, surtout, le meilleur avantage est la disponibilité d’un professionnel de la santé 24h/24h et 7j/7j.
Autre avantage de la télémédecine, la télé-expertise. il s’agit de la communication entre deux médecins spécialistes. Elle permet un diagnostic coordonné sans avoir à transmettre un courrier via le patient comme c’est le cas traditionnellement aujourd’hui.
Pour ce qui est du paiement, lui aussi il se fait en ligne par carte bancaire.
Une solution pour les déserts médicaux
La télémédecine permet la consultation et le diagnostic à distance entre les patients et des spécialistes situés dans de grands hôpitaux à plusieurs centaines de kilomètres. Une solution qui pourrait être la bienvenue dans des zones qualifiés de « déserts médicaux ». Ces endroits où les médecins spécialistes sont rares voire même inexistants. « Nous pouvons mettre en place des stations de télémédecine au sein des dispensaires par exemple, pour les personnes n’ayant pas accès à Internet », explique Mohamed Ben Hmida.
Pour Le Dr El Matri, un des pionniers de la télémédecine, cela permet également de réduire les coûts que peuvent engendrer une maladie. « La CNAM a tout intérêt à avoir recours à cette pratique car cela peut réduire les coûts jusqu’à 50% », nous dit-il. Il ajoute par ailleurs que la médecine à distance est efficace notamment dans les domaines de la cardiologie, l’obstétrique, la radiologie ou encore la dermatologie.
Tourisme médical
La Tunisie est connue pour le secteur du tourisme médical, notamment en ce qui concerne la chirurgie esthétique, mais pas seulement. En effet, depuis plusieurs années l’afflux de patients venus d’Afrique subsaharienne ne cesse d’augmenter.
La télémédecine pourrait alors jouer un rôle de taille pour attirer d’autre clients. « Nous voulons proposer des partenariats avec des compagnies d’assurance internationales et incluant des offres de télémédecine. Cela pourrait réduire de nombreux frais, de transport notamment, pour le suivi des patients après une opération par exemple », affirme Ben Hmida.
Autre cible visée par les opérateurs, les Tunisiens résidant à l’étranger. En effet, ils sont encore nombreux, au sein de la diaspora, à vouloir se faire suivre par des médecins tunisiens. C’est ce que nous explique Anas Laouini, psychologue et sexologue à Tunis. « J’ai de nombreux patients qui consultent depuis l’Europe, d’une part pour la langue et d’autre part pour des questions intimes notamment que ne peuvent pas comprendre les cultures occidentales ».
Là aussi, le paiement en ligne est possible puisque les plateformes de télémédecine ayant le label de Start-up, peuvent bénéficier d’un compte en devise qui permet le paiement en monnaie étrangère, ce qui ouvre un grand champs de possibilités à travers des patients du monde entier.
De plus, chaque année ils sont de nombreux médecins à vouloir émigrer à l’étranger pour de meilleures conditions salariales… ainsi la télémédecine pourrait être une solution pour les convaincre de rester en Tunisie.
La digitalisation du secteur de la santé pourrait constituer un des piliers majeurs à même de réformer le système de santé du pays, réaliser la démocratie sanitaire, lutter contre les inégalités régionales et sociales, et améliorer la qualité des services de soins. Elle pourrait aussi renforcer le positionnement déjà important de la Tunisie en tant que destination incontournable du tourisme médical, et pourquoi pas prendre la première place au Maghreb, voire même en Afrique.
Mais pour cela, il faut que les autorités poursuivent leur ambition en termes de E-Santé. En effet, le piétinement de la rédaction des textes qui régissent la loi sur la télémédecine freinent ce qui pourrait être un levier de croissance non négligeable.
Wissal Ayadi