Tunisie : La transition énergétique mise à mal par des difficultés institutionnelles et financières (Expert)

02-05-2023

La Tunisie est un pays qui dépend largement des combustibles fossiles pour répondre à ses besoins en énergie. Cependant, dans un contexte de changement climatique et de pression croissante pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi avec la guerre en Ukraine et la raréfaction voire l’épuisement progressif des énergies fossiles, la transition énergétique est devenue une priorité pour le pays.

Les défis de la transition énergétique en Tunisie

La Tunisie est confrontée à plusieurs défis en matière de transition énergétique. Tout d’abord, le pays doit réduire sa dépendance aux combustibles fossiles importés, qui représentent actuellement plus de 97 % de son approvisionnement énergétique. Cette dépendance rend le pays vulnérable aux fluctuations des prix du pétrole et du gaz sur le marché international.

En 2022, la Tunisie a augmenté son objectif de production d’électricité à partir de sources renouvelables à 35%, par rapport à l’objectif précédent de 30% pour 2030. Selon l’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie, la majeure partie de ce pourcentage (90%) sera produite grâce à l’énergie éolienne et solaire photovoltaïque. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement prévoit d’investir 900 millions de dinars chaque année pour stimuler les projets d’énergie renouvelable dans ce secteur.

Pour le moment la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique n’est que de 3%, soit bien loin des objectifs, mentionnés ci-dessus.

De plus, le secteur de l’énergie en Tunisie est actuellement caractérisé par une production et une consommation d’énergie non durables, ce qui contribue aux émissions de gaz à effet de serre et à la pollution de l’air. La Tunisie doit donc investir massivement dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique pour réduire son empreinte carbone et améliorer la qualité de l’air.

Les opportunités de la transition énergétique en Tunisie

Malgré les défis, la Tunisie dispose également d’un certain nombre d’opportunités pour faire avancer sa transition énergétique. Tout d’abord, le pays dispose d’un potentiel important en termes de solaire et d’éolien. En exploitant ces ressources, la Tunisie peut réduire sa dépendance aux combustibles fossiles importés et diversifier son mix énergétique.

Le pays dispose d’un potentiel important en énergie solaire, avec une irradiation solaire moyenne de 5,5 kWh/m²/jour, soit environ 3000 heures par ans, l’un des taux les plus élevés de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord).

Le principal moyen de mettre en œuvre l’objectif d’augmenter la part des ressources renouvelables dans le mix de production d’électricité en Tunisie est le Plan solaire tunisien (PST). L’énergie solaire photovoltaïque est l’une des sources d’énergie renouvelable les plus avancées, avec des projets en cours de construction d’une capacité de 1000 MW. On estime que la production annuelle d’un kWc photovoltaïque est de 1650 kWh.

La Tunisie dispose également d’un potentiel important en énergie éolienne, estimé à 1 200 MW. Pour le moment, l’énergie totale produite par les centrales éoliennes en Tunisie est d’environ 3547 GWh permettant une économie d’énergie primaire de 811 ktep avec des émissions évitées estimées à 1940 ktCO2.

De plus, la Tunisie dispose d’un potentiel important en matière d’efficacité énergétique, notamment dans les secteurs du bâtiment, de l’industrie et des transports. Les améliorations de l’efficacité énergétique peuvent aider à réduire la consommation d’énergie et à améliorer la compétitivité économique du pays.

Les efforts pour améliorer l’efficacité énergétique ont été encouragés par le gouvernement tunisien, qui a mis en place plusieurs politiques et mesures pour encourager l’utilisation rationnelle de l’énergie.

En 2015, la Tunisie a adopté une loi sur l’efficacité énergétique. Cette loi impose des exigences d’efficacité énergétique pour les bâtiments neufs et rénovés, ainsi que pour les équipements électriques et les appareils ménagers.

En outre, les autorités compétentes ont mis en place un programme national pour la promotion de l’efficacité énergétique dans les bâtiments, qui comprend des mesures telles que l’installation de panneaux solaires, la mise en place de systèmes de chauffage et de climatisation plus efficaces, et l’utilisation de matériaux de construction à faible consommation d’énergie.

Quelques avancées, malgré certains problèmes qui persistent

La transition énergétique en Tunisie doit également faire face à des défis institutionnels et financiers. Les politiques et les cadres réglementaires actuels ne sont pas suffisamment adaptés aux besoins de la transition énergétique, et il existe un manque de financement pour les projets d’énergie propre et d’efficacité énergétique.

Pour nous parler de ce sujet, nous nous sommes adressés à Abdellatif Hammouda, président du Groupement professionnel des producteurs d’énergies renouvelables relevant du syndicat CONECT. 

Abdellatif Hammouda / Président du Groupement professionnel des producteurs d’énergies renouvelables (CONECT)

Pour arriver à l’objectif fixé pour 2030, il faut que le développement des concessions ( projets de 100 mégawatts et plus) avance de manière significative. Les grands projets de 1000 et 2000 mégas sont bloqués en raison du manque de financements.

« Les bailleurs de fonds exigent certaines garanties de l’Etat qui n’ont pas été données car il n’a pas les moyens financiers de le faire. Il faut savoir que quand on parle de projets de 1000 mégas on parle de 1000 millions d’euros », relève Hammouda.

« Si on ne travaille pas sur le problème des concessions, nous n’arriverons pas à réaliser la transition énergétique. Aujourd’hui si tous les projets de concessions étaient menés, selon les objectifs fixés, nous aurions du atteindre déjà les 25%, mais nous n’avons toujours pas dépassé les 3% à cause du problème de financement de premier degré, sans parler des difficultés au niveau foncier », ajoute-t-il. 

Pour ce qui est des projets sous régimes d’autorisation, il demeure des difficultés notamment dans les projets éoliens, et qui sont en suspens depuis de nombreuses années. La raison principale émane cette fois-ci du ministère de la Défense, qui a refusé de délivrer les autorisations nécessaires en raison, selon ce même département, de risques de « perturbations de leur réseau de sécurité ». « Ces problèmes traînent depuis 3 ans malgré le fait que, techniquement, nous leur avons prouvé qu’il n’y avait aucun risque. Plusieurs sites sur Bizerte ou Zaghouan sont actuellement en suspend », nous explique Hammouda.

En ce qui concerne les projets solaires, Abdellatif Hammouda assure que les choses commencent à bouger, grâce notamment au déblocage syndical de la STEG. Pour rappel, la direction du syndicat avait dénoncé la loi transversale pour l’amélioration du climat des affaires promulguée par le gouvernement Chahed en 2019, qui stipule « qu’il est possible de constituer une société d’autoproduction dont l’objet se limite à la production et à la vente de l’électricité à partir des énergies renouvelables ». Les syndicats y avaient alors  perçu une concurrence déloyale, des surcoûts énormes au niveau du transport sur son réseau et un début de privatisation du secteur de l’électricité, refusant ainsi de raccorder les installation. D’après notre expert, depuis, 3 centrales de 1 mégawatt ont pu être mises en service.

L’autre problème émane également du financement des projets d’énergies renouvelables. Selon Abdellatif Hammouda, les banques sont encore frileuses pour accorder des prêts aux entreprises en raison du manque de garanties réelles, mais aussi de formation et de conscientisation sur la question de la transition énergétiques et de ses opportunités. « Certains entrepreneurs ont du abandonner, ayant dépassé les délais accordés par le ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, qui est d’ailleurs en train de plancher sur la manière de pouvoir assouplir les conditions », ajoute Hammouda.

Par ailleurs, l’expert préconise de mettre en place un ministère dédié à l’énergie afin de pouvoir régler les problèmes de lenteurs bureaucratique qui sont un réel frein à l’investissement dans les énergies renouvelables.

Notre interlocuteur se félicite également de l’obligation d’obtention du certificat vert pour les industries qui permettra d’inciter au développement de projets dits d’autoconsommation. Ce type de projets permet à l’autoconsommateur (collectivité locale et établissement public ou privé, raccordé au réseau électrique national en Moyenne ou Haute Tension) d’installer son unité de production d’électricité directement sur les lieux de son activité. Il s’agit d’un circuit fermé puisque l’électricité produite sera consommée sur place, sans passer par le réseau national. Néanmoins, l’excédent de production est injecté sur le réseau.

Ainsi, à partir de 2025, le certificat vert sera obligatoire pour toute entreprises qui souhaitera exporter ses produits.

Abdellatif Hammouda, rappelle enfin l’extrême urgence dans laquelle se trouve la Tunisie. Il rappelle à cet égard, que l’Algérie, qui est notre principal fournisseur d’énergie, se prépare depuis plusieurs année à sa transition énergétique puisque le pays  prédit que dans 5 ans elle n’aura plus de gaz naturel. L’Etat se prépare ainsi à un plan solaire énorme, sans commune mesure, et a déjà inauguré il y a un an une centrale qui produit 120 mégawatt.

Pour résumer, la transition énergétique pourrait répondre aux attentes de la population tunisienne cherchant à affirmer sa souveraineté politique et économique, et être considérée comme une opportunité pour consolider l’indépendance énergétique et promouvoir le développement économique et humain.

Pour réussir la transition énergétique, il est essentiel d’impliquer les citoyens et de simplifier le discours communiqué auprès des populations pour créer une communauté d’intérêts autour des projets d’énergies renouvelables.

Or aujourd’hui, le débat dans la société tunisienne est quasi inexistant, là où dans le monde entier, la jeune génération notamment, se mobilise afin d’impulser les actions gouvernementales en faveur de la transition énergétique, qui s’impose comme l’un des plus grand défis de notre siècle.  

Wissal Ayadi