Tunisie/ Charançon Rouge : Enquête sur un parasite qui menace nos palmiers !

22-04-2019

La Tunisie est en guerre contre le charançon rouge. Cet insecte qui mesure seulement quelques centimètres fait des ravages dans nos palmiers. Depuis près de 10 ans, ce parasite attaque les palmiers, dits « d’ornement », du Grand Tunis. Les associations de protection de l’environnement s’inquiètent de ce phénomène pandémique. Le ministère de l’agriculture, de son côté, suit le dossier de près. Quelles sont les conséquences ? Y a-t-il un plan d’action pour éradiquer cette maladie mortelle pour nos palmiers ? Enquête sur ce qui pourrait devenir une véritable catastrophe environnementale et économique.

Tout a commencé en 2010 dans la banlieue nord de Tunis quand des palmiers d’ornement infestés ont été importés illégalement d’Europe. En effet, si l’apparition du charançon rouge s’est déclarée il y a seulement 10 ans en Tunisie, il est présent en Europe et dans les pays du Golfe depuis les années 80.

Pour se faire une idée des dégâts, il suffit de lever la tête sur l’avenue Mohamed V ou encore dans le Parc du Belvédère, dans le centre-ville de Tunis. Une grande partie des palmiers n’ont plus ou presque plus de palmes. Voici quelques symptômes pouvant alerter sur la présence du coléoptère :
– L’affaissement du palmier
– Des palmes qui virent au marron mais qui ne tombent pas
– Des palmes dits en « dents de scie »
– Des palmiers moins fournis

Au ministère de l’Agriculture, le charançon rouge est une vraie préoccupation. Déjà, en octobre 2012, un décret a été signé afin de placer la lutte contre ce fléau, comme obligation nationale.

Mais l’instabilité politique et sociale de l’époque n’a pas permis la mise en place d’une stratégie efficiente. Ce n’est qu’en janvier 2016, que les premières opérations ont vu le jour via un programme de lutte d’une enveloppe qui a atteint aujourd’hui les 5 milliards de dinars. Un budget alloué par le Ministère de l’Agriculture et l’Organisation des Nations unis pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Ce temps de latence a permis au charançon rouge de proliférer et d’atteindre d’autres zones de la capitale.
Où en est la situation aujourd’hui ? Le phénomène a-t-il pu être maîtrisé, voire éradiqué ? Pour répondre à nos questions, GnetNews a rencontré celui qu’on appelle « M. charançon rouge ».

Mohamed Lahbib Ben Jamaa est le Directeur général de la protection et du contrôle de la qualité des produits agricoles. Il est en charge de ce dossier depuis début 2018. Premier constat « l’insecte est toujours là. Le charançon rouge est biologiquement difficile à traiter, étant invisible. C’est un parasite volatile qui attaque le palmier de l’intérieur », nous explique Ben Jamaa, spécialiste de la question.

La stratégie de lutte a deux objectifs : maîtriser la propagation, et œuvrer à l’éradication totale.

Trois méthodes existent afin de soigner les palmiers. Le traitement foliaire ou par aspersion, est un traitement curatif effectué sur les espèces infectées. L’endothérapie est de son côté un traitement préventif réalisé sur tous les plants d’une zone touchée. Et enfin la mise en place de pièges à phéromones (aujourd’hui 1800 pièges sont en activité).

M. Ben Jamaa affirme que « le périmètre d’infection a été identifié de manière précise ». La banlieue nord, Tunis centre, l’Ariana, la Mannouba, Bizerte, Nabeul et depuis peu Zaghouan. Un potentiel d’un peu plus de 37.000 arbres.

Le dernier bilan a montré de nombreuses réussites. Notamment dans le foyer d’apparition du charançon rouge, situé dans la banlieue nord. D’après les chiffres du ministère, en 2015, 1200 palmiers étaient malades, aujourd’hui ils ont tous été traités et la propagation maîtrisée. Selon Mohamed Lahbib Ben Jamaa, « cela est dû à la synergie entre les services municipaux et le service de contrôle sanitaire ».

Cependant, la situation reste critique dans le gouvernorat de Ben Arous… Seule zone où le nombre de plants infectés ne cesse de grandir.

Le rôle essentiel de la société civile
L’Association des Amis du Belvédère est très active dans la lutte contre le charançon rouge. GnetNews a rencontré Boubakar Houman, Vice-Président de l’AAB. « Nous travaillons sur la question depuis = 2012. Nous n’arrêtons pas de bousculer les autorités locales et centrales sur cette catastrophe. Nous faisons également des campagnes de sensibilisation. Mais nous voulons aller plus loin. Ainsi, nous avons publié un manifeste que l’on a appelé Plainte Contre X afin de constituer un collectif citoyen qui s’appellerai Sauvons nos Palmiers ».

L’implication de la société civile est un facteur essentiel dans la lutte contre le tueur de palmier. Ainsi, depuis 2016, le ministère de l’agriculture a mis en place un numéro vert qui permet à tout citoyen de signaler des cas de contamination. En effet, si les palmiers qui ornent les rues sont détectables facilement, ce n’est pas le cas pour les spécimens présents chez les particuliers. Les autorités compétentes travaillent même à l’élaboration d’une application qui permettrait de géo-localiser, en temps réel les cas.

De nouvelles méthodes de traitement sont en cours de test dans les laboratoires du ministère. Les scientifiques recherchent des produits biologiques plus respectueux de l’environnement. Le ministère a également prévu l’utilisation de nouvelles technologies comme les drones d’aspersion afin d’obtenir une efficacité de médication à plus grande échelle.

Le risque pour l’industrie des dattes
Si pour l’instant, la pandémie n’a touché que les palmiers d’ornement de la capitale, le risque d’atteindre les palmiers dattiers du sud de la Tunisie n’est pas négligeable.

Le secteur dattier représente 19% de la production agricole nationale, 40.000 hectares, 770 millions de dinars, 110.000 tonnes de dattes exportées l’an dernier. C’est dire l’importance de la bonne santé du fruit pour l’économie tunisienne.

L’apparition dans les pays du Golfe de l’insecte ravageur dans les années 80 a été une vraie catastrophe économique pour le secteur des dattes…une situation qui reste encore délicate aujourd’hui dans ces pays-là.

Anis Hassan est producteur de dattes dans la région de Tozeur. Contacté par GnetNews, il affirme « qu’aucun cas d’infection n’a été déclaré jusqu’à aujourd’hui ». Il a par ailleurs ajouté que « l’année 2018 a même été une année exceptionnelle en termes de récolte ».

C’est là toute l’importance accordée à la maîtrise de la propagation avant même l’éradication totale.

Le commerce mondial, le réchauffement climatique, l’utilisation de plus en plus importante de produits chimiques dans l’industrie agricole… Autant de facteurs qui encouragent la prolifération du charançon rouge. A noter que d’autres maladies du même genre sont aux portes de la Tunisie comme le « xilella fastidiosa » qui s’attaque aux oliviers et qui a déjà fait des ravages en Italie. La « chenille légionnaire de l’automne » qui s’en prend, elle, aux grandes cultures. Et enfin depuis peu, la « cochenille rose du cactus », qui tue les figuiers de barbarie comme au Maroc il y a peu.

Wissal Ayadi