Tunisie : Décisions de Kaïs Saïed : LTDH, ATFD et SNJT livrent leurs inquiétudes et revendications (entretiens)
La Tunisie vit aujourd’hui un tournant politique historique. Le 25 juillet, le président de la république Kaïs Saïed a décidé de suspendre les travaux de l’Assemblée des représentants du peuple et de limoger le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, invoquant l’article 80 de la Constitution.
Une décision intervenue juste après que des milliers de Tunisiens ne soient descendus dans la rue, aux quatre coins du pays, afin de crier leur colère contre le gouvernement.
Si pour certains partis, comme Ennahda, il s’agit là d’un coup d’Etat, pour de nombreux Tunisiens, il s’agit plutôt d’une réponse à un raz-le-bol populaire.
Désormais Kaïs Saïed détient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ce qui favorise certaines craintes du côté des défenseurs des libertés.
Au lendemain de cette annonce, le Chef de l’Etat a multiplié les rencontres avec plusieurs associations et institutions relevant de la société civile. Parmi elles notamment, la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH).
Contacté par téléphone, son président M. Jamel M’Sallem a indiqué que cette rencontre avait permis de clarifier un certain nombre de choses concernant les craintes d’éventuelles dérives dictatoriales. « Il faut absolument que les libertés soient respectées pour ne pas tomber dans le pire des scénarios. Pour l’instant, il y a une centralisation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais il faut absolument que cela reste provisoire », nous dit M’Sallem. En effet, lors de cette réunion Kaïs Saïed les a rassurés, en affirmant qu’il ne dépasserait pas les 30 jours afin de nommer un nouveau chef du gouvernement.
Jamel M’Sallem voit en cette nouvelle ère politique un souffle nouveau pour la Tunisie. « Le bilan des 10 dernières années est catastrophique en raison d’un paysage politique déséquilibré. A travers cette décision, il faut qu’il y ait une relance d’un nouveau processus démocratique plus équilibré ».
Il a, cependant, fait part de son inquiétude vis à vis de l’affaire de la fermeture du bureau de la chaîne Al-Jazeera par des forces armées. « Il faut que la lumière soit faite sur cette affaire. Nous sommes pour le respect de toutes les libertés, parmi lesquelles la liberté de la presse », conclut-il.
Le président de la LTDH a confirmé la mise en place d’une cellule d’observation afin de contrôler la véracité des promesses de Kaïs Saïed quant au respect des droits et libertés.
Autre acteur de la société civile invité par le Président de la république, l’ATFD, l’Association Tunisienne des femmes démocrates. Nous avons posé quelques questions à la secrétaire générale de l’association, Mme Ahlem Boussarwel.
Cette dernière nous explique dans un premier temps que l’ATFD a recu les décisions de Kaïs Saïed comme un état de fait et qu’il est essentiel de garder un oeil sur le bon fonctionnement et à la légalité des futurs décisions qui seront prises par le chef de l’Etat.
« En rencontrant le chef de l’Etat, nous avons essayé d’avoir des garanties sur la continuité de l’Etat civile, car la situation n’est pas claire et c’est une situation en mouvement constant ce qui peut donner lieu à certaines dérives autoritaires, même si il nous a rassuré à ce sujet ». Ahlem Boussarwel nous indique aussi que le locataire de Carthage, avait insisté sur le caractère exceptionnel et historique de ces mesures.
Afin de garantir la continuité de l’Etat civile, l’ATFD a ainsi posé un certain nombre de conditions au chef de l’Etat :
- Le respect du délai de 30 jours afin de rétablir le bon fonctionnement de l’Etat
- La mise en place d’un feuille de route participative incluant tous les acteurs de la société civile
- La promesse d’aucune intervention militaire
- La lutte contre la corruption
- Une lutte plus efficace contre la pandémie de Covid-19.
Autre revendication de la part de l’ATFD, celle de la parité en politique.  » Nous avons insisté sur le fait que le prochain gouvernement soit composé d’hommes et de femmes, selon une parité parfaite », souligne-t-elle.
Enfin, cette dernière nous explique qu’elle est plutôt rassurée pour la suite de ce processus. « En invitant en premier lieu les acteurs de la société civile et les défenseurs des droits, cela prouve qu’ils ont un poids en Tunisie ». Ces institutions contribuent au maintien de la paix civile, ajoute-t-elle.
Tout comme la LTDH, l’Association tunisienne des femmes démocrates a mis en place une commission d’observation afin d’avoir un regard sur toutes les décisions prises par le chef de l’Etat.
Le syndicat national des journalistes tunisiens a également été invité à participer à la rencontre avec Kaïs Saïed. A travers un communiqué publié ce lundi, le SNJT a notamment dénoncé l’assaut mené par des forces sécuritaires contre le bureau de la chaine Al-Jazzera. « Forcer le personnel de la chaine Al-Jazeera à quitter leur lieu de travail et les priver d’exercer leur travail de journaliste est une violation flagrante des lois nationales et internationales », pouvait-on lire.
Contacté par nos soins, Ali Bouchoucha, le responsable de la communication du syndicat des journalistes, nous affirmé que des correspondances sont en train d’être faites entre la Fédération internationale des journalistes et la présidence de la république afin que les journalistes d’Al Jazeera puissent reprendre leur travail normalement et d’offrir à tout média étranger, quel qu’il soit, la possibilité de travailler sans entraves dans le respect du travail journalistique.
Wissal Ayadi