Tunisie/ Dialogue national : Avis mitigés autour de la conception de Kaïs Saïed

25-10-2021

En attendant le décret présidentiel expliquant le déroulement du dialogue national dans les prochains jours, le président de la République, Kaïs Saïed, a ordonné la création de plateformes virtuelles, dans toutes les délégations du pays, pour permettre aux Tunisiens, notamment aux jeunes, d’y participer.

Ce dialogue dont les contours et les modalités ne sont pas encore clairs,  suscite chez un bon nombre de citoyens, plusieurs interrogations concernant sa faisabilité.  Une chose est sûre, c’est qu’il sera différent de celui, mené sous l’égide du quartet ayant permis une sortie de crise en 2013…

Gnetnews a tenté de recueillir l’avis des Tunisiens notamment les jeunes, concernant la manière dont ils perçoivent leur contribution à ce débat national, ses priorités, leurs attentes et aspirations…

Nous avons contacté, Yassine Fathalli, fondateur du mouvement l’Alliance civile des jeunes pour soutenir la démocratie en Tunisie (Youth For Democracy).

Dans un entretien accordé à Gnetnews, il a souligné que l’initiative de Saied, d’inclure les jeunes comme intervenants principaux au dialogue national, permettra à cette tranche sociale de s’impliquer plus dans la vie politique en Tunisie. «Après des décennies où elle a été écartée du paysage politique, les jeunes vont enfin pouvoir être écoutés, et participer à la construction de leur avenir… », Souligne-t-il.

Yassine Fathalli a, par ailleurs, ajouté que les jeunes restent tout de même, méfiants. «Notre plus grande crainte est d’instrumentaliser notre participation, sans pour autant  prendre en compte d’une manière effective, nos recommandations et propositions. D’ailleurs, nous implorons un échange basé sur l’écoute active entre la présidence de la République et les différents intervenants, afin de pouvoir débattre de nos idées.  Mais avant cela,  Saïed doit nous garantir qu’il va prendre en considération nos propositions et recommandations, notamment sur le plan socio-économique ».

Concernant le choix des différentes parties qui participeront au débat national,  ce jeune actif dans la société civile a souligné que le flou plane sur cette annonce du président de la République. « Est-ce que les coordinations ayant soutenu Kais Saied durant sa campagne électorale, seront les uniques parties prenantes ? Selon quels critères, choisira-t-il les jeunes intervenants. Optera-t-il seulement pour les organisations et les partis qui le soutiennent, ou ira-t-il vers la diversité des opinions, et l’ouverture sur la critique… Toutes ces interrogations demeurent sans réponse, peu avant le démarrage du débat national, a souligné Fathalli.

 Par ailleurs, le fondateur de Youth For Democracy, a déclaré que son mouvement s’oppose à toute forme d’exclusion.

  « Les syndicats, la société civile, les différentes institutions de l’Etat, ainsi que les personnalités nationales, doivent  contribuer par leurs idées à la mise en place d’une feuille de route. En revanche, afin d’éviter un retour aux querelles politiques et pour rassurer les Tunisiens, les figures emblématiques, du blocage entre les deux pouvoirs exécutif et législatif ne doivent pas y participer. Leur présence ne sera pas approuvée par la majorité des Tunisiens, qui les accusent d’avoir mis le pays au bord du gouffre.

L’idée serait donc de ne faire appel qu’aux intervenants qui sont prêts à rétablir le pays et le sauver, sans exclure personne de la scène politique Â», analyse-t-il.

Sur un autre sujet, la membre de la campagne explicative du processus du président de la République, Boutheina Ben Kridis, a rassuré que Saied ne souhaite pas imposer  un projet pré-élaboré. Sinon à quoi bon, réaliser un dialogue national », a-t-elle ajouté.

Outre les décisions qui émaneront d’une commission de réformes politiques, ou encore suite à un referendum concernant l’amendement de la loi électorale, les citoyens n’ont à rien à craindre. «Le peuple est convaincu aussi que les décisions de Saïed, sont les conséquences d’un échec de la démocratie représentative en Tunisie. Les députés ont servi pendant deux ans leurs programmes et intérêts personnels au lieu de transmettre la voix de leurs électeurs. Faut-il peut être opté pour une constitution qui ne soit pas inspirée d’autres modèles démocratiques, mais d’une démocratie tunisienne, propre à  nous», a-t-elle expliqué.

Gnetnews a aussi recueilli les avis des citoyens de différentes tranches d’âges. Comme, Saida, fonctionnaire de l’Etat, qui a critiqué l’implication des jeunes dans ce dialogue national.

« Le chef de l’Etat se contredit lorsqu’il appelle les jeunes à débattre de l’avenir du pays. S’il avait confiance en eux, il l’aurait nommé dans des postes clés dans le nouveau gouvernement. Alors que l’équipe de Bouden, est en majorité composée des plus de 45 ans, sachant que ses coordinations régionales de soutien est composée principalement d’étudiants en droit, et des actifs dans la société civile. Par ailleurs, il doit préciser de quel genre de jeunes il parle, car si on va avoir recours à des coordinations comme celles du Kamour, on se retrouvera de nouveau dans une spirale de conflits sans fin, dont les conséquences seront lourdes sur l’économie du pays».

Notre interlocutrice a évoqué la mise à l’écart des partis politiques. « Ces derniers sont appelés à faire une trêve afin qu’on puisse réussir cette phase transitoire. Comme Saied l’a prôné, les partis soupçonnés de corruption ne seront pas les bienvenus pour débattre de l’avenir de la Tunisie, quelle que soit leur popularité. « Le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, a contribué à la crise en instaurant l’impunité contre la violence au sein de l’ARP. Le président d’Al Karama, Seif Eddine Mkhalouf est incarcéré. Les chefs de Qalb Tounes Nabil et Ghazi Karoui, sont aussi en état d’arrestation. Le président a tout à fait le droit de les boycotter. Sinon, pour le parti destourien libre, il serait injuste de l’exclure. Sans doute, Saied a peur pour sa base électorale et considère la présidente du PDL, Abir Moussi, comme sa nouvelle rivale », a analysé notre intervenante.

Dans ce sens, Chedly .A, professeur universitaire à la Faculté de Mannouba, a souligné que le dialogue national doit  inclure toutes les parties prenantes, sans la moindre exclusion. « Sans cela, cette initiative de la présidence de la république sera rejetée par la communauté internationale, qui appelle à la reprise du processus démocratique en Tunisie. Saied est donc appelé à accepter la différence des opinions venant de ses opposants, notamment dans ce contexte particulier, où tous les regards sont posés sur ses mesures exceptionnelles et leur impact sur le climat d’investissement, ainsi que sur la stabilité dans le pays et dans la région ».

Emna Bhira