Tunisie : L’infertilité, une véritable souffrance accentuée par le regard de l’entourage, des couples racontent

16-05-2022

L’infertilité demeure un sujet tabou dans nos sociétés. Les conjoints souffrant de difficultés de procréation, vivent souvent cette épreuve intime en silence. Pourtant, il s’agit d’un problème répandu à travers le monde, qui touche à égalité, un tiers des hommes et des femmes. Mais avec l’absence d’une éventuelle grossesse, les couples sans enfants sont souvent confrontés aux jugements et à l’incompréhension de l’entourage… Car le fait d’associer l’accomplissement, ainsi que l’épanouissement dans le mariage à la parentalité, déclenche le sentiment d’échec, voire d’injustice, en cas de stérilité.

Ainsi, l’incapacité de donner naissance à un enfant, d’une façon naturelle, peut créer des tensions. Entre frustration, culpabilité, deuil de la maternité, et acceptation, des couples ont accepté de lever le voile sur leurs expériences.

L’incompréhension de l’entourage

Dans une société où fonder une famille est synonyme d’avoir des enfants et d’accéder à la parentalité, ces couples « infertiles », sont mis à l’écart au cours de leurs vies. N’ayant pas d’enfants, ils ont désormais de moins en moins des points en commun avec leur entourage.

D’après Manel 56 ans, maman de Zakaria âgé de 7 ans, elle a vécu des années de réclusion et de retrait social avant d’avoir son premier enfant.

« Je me suis mariée à l’âge de 45 ans, j’avais donc peu de chance de tomber enceinte. Je n’étais pas ménopausée, mais mes ovaires commençaient à lâcher, et mon mari avait un faible taux de fertilité. A cet âge, les enfants de nos amis passaient le bac…Nous étions en déphasage avec notre entourage. Nos amis programmaient les vacances suivant les calendriers scolaires. Ils se réunissaient pour que leurs enfants puissent jouer ensemble…Et petit à petit, les points en commun que nous partagions se sont dissipés, et le retrait social nous a gagnés », nous raconte cette dame.

Manel a souligné que cette épreuve se transforme au cours du temps en une détresse invisible. Le parcours de PMA, cette lutte ayant pour objectif de réaliser une évolution normative du couple, est difficile à partager avec ses proches. L’incompréhension s’installe, les nouvelles des autres sur leurs dernières sorties ou voyages, nous semblent désormais futiles par rapport à la souffrance qu’on éprouve  au quotidien. L’échange avec l’entourage devient fade. Et cette vie différente menée secrètement, dans l’ombre, crée une distance sociale. La tristesse devient cependant double, d’une part il y a la détresse causée par ce désir inassouvi d’avoir un enfant. Et d’autre part, l’impression que nous sommes différents des autres, nous confie-t-elle.

Des espoirs brisés

Cinq ans depuis leur mariage, Salma et son mari ne parviennent pas à devenir parents, à  cause d’une azoospermie aiguë de son conjoint (déformation des spermatozoïdes), et donc absence d’ovulation. « Ni les traitements hormonaux, ou encore les fécondations in vitro (FIV), ou l’injection cytoplasmique des spermatozoïdes (ICSI), ont abouti », nous indique-t-elle.

 « Nous avons fait 4 essais moyennant chacune une technique de Procréation médicalement assistée (PMA), mais en vain. Nous avons vécu le deuil de chaque ovule non fécondée. A chaque fois, nos espoirs s’étaient brisés », nous raconte-t-elle amèrement.

Ayant subi de lourds traitements pour avoir un enfant, Salma s’est sentie en colère contre le destin, et en voulait également à son mari. «  A chaque fois, j’ai eu de pénibles douleurs abdominales à cause des injections d’hormones qui stimulent la maturation ovocytaire, avant la FIV, pourtant dans ma tête, je me disais que je pouvais tomber enceinte naturellement, confie-t-elle.

«  Il y avait aussi les ponctions ovocytaires qui se faisaient sous anesthésie, ce qui me faisait sentir comme une machine à reproduction…Et puis l’attente interminable, les échographies que je faisais lors de chaque étape en attentant les résultats de cette fécondation In vitro. Mon corps est devenu soudainement, un lieu d’expérimentation…», souligne Salma.

Après le cumul de 4 échecs, Salma nous a révélé qu’ils ont cessé d’essayer. « Au final, j’ai constaté que je me sacrifiais âme et corps pour une chose qui n’arrivera probablement pas. Mon mari a passé des années à culpabiliser. Je voyais la tristesse dans ses yeux, ce qui me donnait la force de continuer le protocole de la PMA, pour le rendre heureux. Maintenant, nous avons choisi l’acceptation, au lieu de lutter contre le destin. Nous nous contentons de notre bonheur à deux. Cette affaire est classée, et c’est mieux ainsi », conclut Salma, paisiblement.

Pour Amina 33 ans, mariée aussi depuis 2 ans, les années passent et pas d’enfant. Le verdict a été annoncé par sa gynécologue, spécialiste de la fertilité. « Les examens médicaux ont constaté des ovaires poly-kystiques, et une sécrétion élevée de la prolactine (hormone qui favorise la production du lait), et donc anovulation, lui lance le médecin froidement.

Accompagnée de son mari, elle nous a dévoilés qu’il l’a soutenu sans hésitation. Pour lui, leur couple doit rester solide, quoi qu’il arrive. « Quant à moi, j’étais face à deux choix : accepter cette froide réalité en faisant le deuil de la maternité, ou se condamner à vie et s’auto-flageller à cause d’une vérité irréversible, celle de l’impossibilité d’avoir un enfant ».

 Malgré leur décision de s’en passer des enfants, Amina nous a confié que sa culpabilité ressurgit à chaque fois, elle voit son mari prendre dans ses bras ses neveux, et tous les bambins qu’ils croisent dans les réunions de famille, et les fêtes de fin d’année. « Ceci me procure un sentiment de honte et d’impuissance…Sans oublier la pression de ma belle-famille, qui n’hésite pas à nous faire des remarques indélicates. Pourvu que mon mari ne changera pas d’avis dans l’avenir, à cause du jugement de la société… », réplique-t-elle incertaine…

L’importance de l’accompagnement psychologique

D’après Dr. Jalila Riabi, psychiatre, l’incapacité de concevoir une grossesse a plusieurs conséquences sur le couple, et son interaction avec les autres. Cela est dû au nouvel état d’esprit qui atteint les partenaires, et qui prend le dessus sur leur vie quotidienne.

Par ailleurs, les deux sexes perçoivent cette expérience différemment. Plusieurs hommes se sentent atteints dans leur virilité, ils confondent vie sexuelle et procréation, ce qui affaiblit leur confiance en eux.

Par conséquent, le conjoint peut devenir irritable et se sentir inférieur. Des sentiments de honte et de culpabilité, apparaissent également, chez le partenaire qui souffre de problème de stérilité. Le fait de savoir qu’il n’aura pas de progéniture, voire de successeur, affaiblit selon lui, sa position dans la famille et dans la société en général. Chez la femme, la stérilité qu’elle provienne de son mari ou d’elle-même, est suivie d’un sentiment de deuil de la maternité, et d’un enfant qui ne sera jamais née…Ce qui pourrait les plonger dans une dépression.

D’après la psy, les couples qui sont passés par là, doivent repenser leur relation et apprendre à vivre épanouie, sans enfant. « Ils doivent savoir que devenir parent n’est pas l’unique source de bonheur, c’est un évènement  facultatif,  non essentiel pour leur accomplissement. L’entente, la communication, l’acceptation, représentent la base pour une vie à deux, stable et satisfaisante. Ainsi que, sans cette acception, le parcours de PMA pourrait avoir un impact irréversible sur le couple, surtout en cas d’échec. Sachant aussi que ce protocole médical, exige de la patience et de la préparation physique et psychologique, de la part de la femme qui va subir de lourds examens médicaux, il faut qu’elle soit soutenue profondément par son conjoint. »

Le médecin a aussi insisté sur l’importance du suivi psychologique, des couples infertiles. « Certaines personnes sombrent dans la dépression à cause de ce vide créé par l’absence d’enfant. D’autres hommes deviennent agressifs et violents vis-à-vis de leurs conjointes, car ils ont l’impression de perdre le contrôle, se sentent inférieurs et ont tendance à rabaisser l’autre. Par manque d’éducation, ou tout simplement vu l’intensité des émotions négatives qu’on cumule, en ayant honte quand on envie les femmes enceintes, ou en ne se réjouissant plus d’une grossesse d’une proche, en se rappelant de ce manque à chaque fois on voit une poussette…Bien que ces sentiments s’avèrent entièrement légitimes, il faut tout de même éviter les ravages de cet état d’esprit toxique. Il est conseillé de suivre une psychothérapie en cas d’infertilité, pour sauver son couple, et préserver sa santé mentale également ».

E.B