Tunisie : La consultation sur la réforme de l’éducation, aux yeux de Moez Cherif et de Ridha Zahrouni

13-04-2023

La consultation nationale voulue par le président Kaïs Saïed sera le premier pas de la réforme de l’éducation et de l’enseignement. Entaché par de multiple crises, notamment ces dernières années, le projet éducatif, qui s’impose comme étant l’un des piliers les plus importants de l’Etat, nécessite une refonte totale de son modèle, devenu obsolète et source d’inégalités.

Ainsi, le chef de l’Etat a confié la préparation de cette consultation à une commission qui comprendra des représentants de différents ministères ainsi que des experts en sociologie.

Moez Cherif, Président de l’Association tunisienne des droits de l’enfant et Ridha Zahrouni, Président de l’Association tunisiennes des parents et des élèves (ATUPE) ont bien voulu nous donner leur point du vue sur cette commission ainsi que sur les objectifs de cette réforme.

L’école d’aujourd’hui ne répond plus aux besoins et des attentes actuelles

Moez Cherif et Ridha Zahrouni, s’accordent à dire que le secteur de l’éducation a besoin d’être réformé en profondeur car il ne répond plus ni à ses besoins, ni à ses attentes.

En effet, dans un monde en perpétuelle évolution, où le numérique s’impose comme étant non plus un outil, mais comme un mode de vie, force est de constater que le système éducatif public tunisien est à la traîne.

« Le ministère de l’Education et l’Etat en général n’ont plus de vision pour les enfants tunisiens. Nous n’avons pas de cap vers lequel se diriger. On se réfère toujours à la réussite scolaire de l’école post-coloniale, mais la réalité économique, sociale, et du marché de l’emploi est toute autre et l’école telle qu’elle est aujourd’hui ne répond plus aux besoins des enfants. Nous sommes en train de vivre une révolution numérique et si on ne commence pas à préparer les enfants pour s’intégrer d’ici 2030 ou 2050 à la nouvelle réalité numérique, nous allons approfondir la fracture existante », nous dit Moez Cherif.

Moez Cherif / Président de l’association tunisienne des droits de l’enfant

« Aujourd’hui nous sommes dans une situation ou les enfants qui quittent le système scolaire sont des enfants qui arrivent à trouver un emploi et ceux qui terminent leur scolarité se retrouvent chômeurs avec aucune compétence compatible avec les besoins du marché du travail », ajoute-t-il.

De son côté, Ridha Zahrouni déplore l’incapacité de l’Etat à résoudre les crises chroniques qui touchent le système éducatif et dont les enfants et leur parents paieront les conséquences

Malheureusement cette situation va accentuer le décrochage scolaire, déjà important dans notre pays,  mais aussi  les inégalités entre les élèves. L’école publique a perdu sa notion de gratuité, n’est plus une institution de justice sociale et ne constitue plus un ascenseur social», souligne-t-il.

Pour Moez Cherif, les raisons de cet échec se trouvent dans une gouvernance trop rigide et compliquée et également dans un recroquevillement du ministère de l’éducation qui a crée un conflit entre les partenaires sociaux et l’Etat qui fait que tout est bloqué à tous les niveaux.

La réforme de l’éducation est le projet de tout un Etat

Face à cette situation, la réforme de l’éducation semble inévitable et surtout urgente. « Il y a urgence extrême car les enfants souffrent à cause de la mauvaise gestion de l’école », nous dit Ridha Zahrouni.

Il explique dans ce sens que, aussi bonne soit-elle, cette consultation ne doit pas être un prétexte pour prolonger le temps de mise en oeuvre de la réforme. « La synthèse de cette consultation et la mise en place concrète de la réforme doivent se faire dans un temps raisonnable afin d’éviter de noyer le poisson et de voir finalement cette réforme tomber aux oubliettes », avertit le président de l’Association tunisiennes des parents et des élèves.

Ridha Zahrouni / Président de l’Association tunisienne des parents et des élèves

De son côté Moez Cherif, indique que cette consultation permettra d’élargir le débat. « Cela va et rompre cette tour d’ivoire dans laquelle on constate un monologue au sein du ministère de l’Education. Ce sont des discussions intra-muros qui font que le système se sclérose et ne répond plus aux besoins des enfants, des familles et de l’Etat », nous dit-il.

Pour autant, nos deux interlocuteurs émettent certaines réserves quant à l’organisation de cette consultation. Dans un premier temps, Moez Cherif déplore l’absence de certains ministères qui ont été appelés à élaborer cette consultation, comme celui de la Santé pour la santé mentale des enfants (plus de la moitié des consultations en pédopsychiatrie en Tunisie concernent des troubles qui sont provoqués par le système éducatif), de l’Agriculture afin de rapprocher les élèves aux problématiques environnementales ou encore de l’Intérieur afin de sécuriser le chemin des élèves vers l’école. « On ne sait pas qui sécurise les institutions éducatives de toutes forme de déviance ».

Ce dernier rappelle également que la réforme de l’éducation est le projet de tout un Etat, d’où la nécessité d’associer la société civile. « Il n’est pas suffisant de se référer uniquement à l’avis des sociologues pour réformer le système. Nous avons besoin de tout le monde allant de l’Etat aux familles en passant par les élèves,  la société civile et les partenaires sociaux ».

L’accaparement des problématiques liées à l’école par le ministère et les syndicats est la principale cause de l’échec du système éducatif tunisien d’après Ridha Zahrouni. « Il faut comprendre que le dossier de l’éducation ne concerne pas seulement la tutelle, les syndicats et les enseignants, ce qui a été le cas depuis des années ».

Il rappelle à cet égard que les parents sont, à travers la Constitution et l’article 52, co-gestionnaire de l’école et du projet de l’éducation, puisque cet article charge l’Etat et les parents de la réussite de l’éducaion et de l’enseignement. « Aujourd’hui force est de constater que les parents sont mis à l’écart et ignorés du projet de l’école en Tunisie ce qui les poussent à la démission. L’intégration des parents doit se faire à travers les associations de parents d’élèves et de la création de fédérations ».

Si la consultation devra se faire à travers le numérique, comme cela a été le cas pour celle concernant la Constitution en 2022, le risque est qu’une grande partie de la population qui n’a pas accès aux outils internet, se retrouve exclue. « Cette consultation va mettre de côté les populations les plus vulnérables qui n’ont pas accès à l’outil numérique. Or c’est cette population qui à le plus plus besoin de cette réforme », affirme Cherif.

« Dans la consultation il sera d’abord très important de demander aux Tunisiens quelle société ils souhaiteraient pour l’avenir. C’est comme cela que nous pourrons créer un système éducatif adapté », ajoute-t-il.

Pour sa part, le président de l’ATUPE préconise que cette consultation s’adresse en priorité aux acteurs du système éducatif.

Wissal Ayadi