Tunisie : La société civile rejette l’annonce de Saïed d’adopter un décret-loi interdisant le financement étranger des associations

02-03-2022

La société civile a exprimé, aujourd’hui, en grande partie, son refus d’une éventuelle promulgation du décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011, portant sur l’organisation des associations,  lors d’une conférence de presse organisée ce mardi 02 mars 2022, par l’Union tunisienne des indépendants pour la liberté (UTIL).

En effet, cet évènement intervient en réponse à l’annonce du président de la République, Kaïs Saïed, lors du  conseil des ministres tenu jeudi dernier, concernant la nécessité d’adopter un décret-loi amendant celui régissant les associations, afin d’interdire  le financement étranger des associations.

Les associations, financées par l’étranger sont un prolongement de partis politiques et traduisent une ingérence dans les affaires intérieures du pays que la Tunisie ne peut accepter, a indiqué Kaïs Saïed.

Réagissant à ces propos visant la société civile, le président de l’association « UTIL »  Moez Ali, a exprimé sa crainte quant aux tentatives du pouvoir exécutif, de s’emparer de la société civile, et de la contrôler. « Au début c’était le gel des activités des partis et maintenant c’est au tour de la société civile », déplore-t-il.

Il a rappelé dans ce sens, que les financements des associations se font en toute transparence, à travers la banque centrale, notamment ceux des organisations non orientées politiquement.

« Certes, il existe des associations qui adoptent des circuits de financement opaques, pour servir des agendas politiques, ou sont impliquées dans des affaires de terrorisme et de blanchiment d’argent, comme la facilitation d’envoi des djihadistes en Syrie, etc. « Mais, il ne faut pas mettre toute la société civile dans le même sac », a-t-il averti.

Le président de l’UTIL, a  rappelé aussi que la société civile n’est pas une vitrine pour les partis politiques.

« Au contraire, elle représente une autre alternative, pour les jeunes au chômage qui se sont engagés dans des projets sociaux ou de développement régional, au lieu d’immigrer clandestinement pour fuir leurs conditions sociales déplorables… Les associations sont aussi en train d’aider l’Etat, en prenant en charge une bonne partie des tranches fragiles de la société. Sans oublier, que ces établissements ont aussi contribué à l’organisation des élections… ».

Dans le même contexte, Sabrine Goubantini Chef exécutif de la fondation IFM, a indiqué qu’il n’y a aucune honte de recevoir de financement de l’étranger. « Les bailleurs de fonds que nous contactons, financent des projets d’intérêt public. Ils ne sont pas utilisés pour des intérêts personnels, comme l’a insinué Kais Saied », martèle-t-elle.

Goubantini a expliqué qu’à travers la promulgation du décret-loi n°88, le pouvoir exécutif souhaite renforcer les prérogatives de la commission d’investigation financière, créée selon l’article n°107 de la loi organique de lutte contre le terrorisme.

« Cette commission qui étudie les déclarations de soupçon, aura le droit de traiter comme suspectes, toutes les associations, jusqu’à ce que leur financement s’avère légale. Un fait qui va frapper la crédibilité de la société civile devant les bailleurs de fond, qu’on peine déjà à convaincre…En effet, la décision de cette commission nous servira désormais comme une présomption d’innocence… », souligne-t-elle.

 

Sur le même sujet, Neila Zoghlami, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), a rappelé que le président de la République, a eu recours à la société civile après le 25 juillet, pour se rassurer qu’il n’y aura pas un bain de sang en Tunisie, après les mesures exceptionnelles. 

Frapper une telle force sociale, aura un impact négatif sur les jeunes notamment, qui sont les plus actifs dans les projets de développement. Face au chômage ambiant, la pauvreté, et la montée de la violence, ce sont les associations qui absorbent ces phénomènes grâces aux aides étrangères également…Le discours de Kais Saied, est capable désormais de remettre en question nos missions, notre crédibilité auprès des citoyens, ainsi qu’il rendra dorénavant plus difficile l’obtention d’aides… », a conclu la présidente de l’ATFD.

Neila Zoghlami a appelé les associations qui s’opposent à ce projet de loi, à exprimer leur position dans un communiqué commun. Elle a appelé aussi à l’organisation d’un Sit-In  ce samedi 05 février 2022, devant le théâtre municipal.

Par ailleurs, Houssem Hammi, le coordinateur général de la coordination Soumoud, a recommandé aux associations les plus représentatives de la société civile, d’élaborer un argumentaire qui explique les raisons derrière le rejet de la promulgation du décret-loi n°88, pour éclairer l’opinion publique.

Emna Bhira