Tunisie : Lâché par la BCT, quelle sera l’alternative du gouvernement pour boucler le budget

02-11-2020

La Tunisie vit une crise sanitaire doublée d’une crise économique sans précédent, dans un contexte de récession mondiale généralisée. Les finances publiques qui étaient loin d’être à l’équilibre cette dernière décennie, se sont dégradées davantage. Le gap entre recettes et dépenses n’a jamais été aussi large, avec un déficit de 14 % du PIB en 2020. La dette publique qui a frôlé des sommets jamais atteints au cours de ces dernières années, a carrément explosé pour avoisiner les 90 %…

C’est dans cette conjoncture tendue, où la pandémie du Coronavirus a démenti toutes prévisions initialement prévues dans le budget de 2020, que le gouvernement Mechichi a présenté son projet de loi des finances complémentaire. Ce PLF rectificatif a prévu le recours aux banques locales pour boucler le budget de 2020. Ce à quoi l’Institut d’émission a opposé une fin de non-recevoir, signifiant au gouvernement que l’accès au marché intérieur ne devra pas dépasser certaines limites.

Compression de dépenses, ou austérité !

Auditionné la semaine dernière par la Commission des finances à l’Assemblée, le gouverneur de la banque centrale, Marouane Abassi, est monté au créneau, désapprouvant ouvertement le projet du gouvernement : « Le financement monétaire du déficit tel qu’il se présente au niveau de la LFC 2020 est interdit par le présent cadre juridique de la BCT », a-t-il lancé, affirmant que la banque des banques a beaucoup soutenu le gouvernement dans la mobilisation des ressources intérieures et extérieures, et se vantant de ses résultats en matière de maîtrise de l’inflation et de la préservation de la stabilité des prix.

Sans vraiment prononcer le mot, Abassi a recommandé l’austérité au gouvernement, l’appelant à comprimer ses dépenses et à améliorer ses recettes, à travers l’intensification des recouvrements.

Le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investissement, Ali Koôli, ne l’entend pas de cette oreille. Tout en admettant la difficulté de la situation, et les pressions qui pèsent sur le gouvernement, cet ancien banquier demeure convaincu qu’il y a l’argent qui dort dans les banques, et que cette liquidité qui sera prêtée par les banques à l’Etat, par l’achat de ses obligations, va finir par leur revenir, et par être injecté dans le circuit financier et économique intérieur.

Une position qu’il a défendue dans ses dernières sorties médiatiques, et qu’il applique au même titre aux marché intérieur et extérieur. Ali Koôli dont les orientations libérales sont claires et sans équivoque, affirme que la solution pour boucler le budget serait d’opter tant pour les modes conventionnels, que non-conventionnels.

Où trouver les 11 milliards de dinars ?

Le gouvernement a fini par retirer le PLF complémentaire, pour le réexaminer, et trouver une alternative permettant de dénicher les 11 milliards nécessaires pour boucler le budget de l’année 2020. Maintenant que l’espoir de les mobiliser sur le marché intérieur s’est évaporé, le seul recours reste le marché financier international, difficile d’accès, et là où l’emprunt coûte cher.

Pour mobiliser ces fonds, le ministre des Finances préconise de vendre l’image de la Tunisie, en tant que pays sûr, crédible et qui a une volonté de réforme et de réalisation. « Ce discours rassurant permettra à ceux qui nous ont fait confiance par le passé de continuer à nous faire confiance et nous emprunter de l’argent », assure-t-il.

Dans la révision en cours du PLF 2020, le gouvernement devra tenir  compte de trois postulats de départ : ne pas augmenter les impôts étant donné que particuliers et entreprises sont déjà éreintés par une forte imposition ; venir en aide aux personnes physiques et morales lourdement affectées par le Covid-19, un soutien estimé à 2,5 milliards de dinars ; et instaurer l’idée d’un Etat exemplaire, celui qui paie ses dettes auprès de ses créanciers, fournisseurs, entreprises publiques…un engagement qui équivaut l’enveloppe de 4,5 milliards de dinars. Des fonds qui seront refinancés dans le circuit économique, ne cesse de marteler le ministre des Finances.

Tant dans la révision du PLF complémentaire, que dans l’élaboration du projet de loi des finances de 2021, la tâche du gouvernement est loin d’être sinécure.

La Tunisie semble atteindre le point de non-retour face à des problèmes cumulatifs doublés d’une pandémie planétaire inédite. Il en résulte une récession jamais connue avec un Taux de croissance entre -12 et -14 % au premier semestre 2020, et une année qui se terminera avec – 8 % de croissance.

L’année 2021 ne sera pas moins périlleuse, d’autant que le gouvernement est tenu de rembourser des crédits qui arrivent à échéance : celui d’un milliard de dinars obtenu avec la garantie des Etats-Unis, et une bonne partie d’euro-bonds contractés sur le marché européen. Les recettes, elles, se contractent et la manne de l’huile d’olives ne sera pas cette saison au rendez-vous, avec la baisse annoncée de la récolte.

Une crise des plus aigües que l’absence d’un modus vivendi avec les bailleurs de fonds rend encore plus inextricable. En effet, la Tunisie n’est pas encore parvenue à un accord avec le FMI, après la suspension des revues dans le cadre du mécanisme Elargi de crédit. Un pari qui s’annonce là aussi hypothétique, à plus forte raison que le gouvernement est à court d’arguments pour défendre le bien-fondé de sa politique auprès de l’institution financière, ne serait-ce qu’avec une masse salariale dans le secteur public de 17 % du PIB ; un seuil anormalement élevé..le FMI a déjà admonesté la Tunisie pour moins que ça. 

H.J.