Tunisie : Les pharmaciens unis contre une nouvelle taxe et en quête de réformes structurantes

21-12-2023

Le Conseil de l’Ordre des Pharmaciens de Tunisie (CNOPT) et le Syndicat des Pharmaciens de Tunisie (SPOT) ont émis récemment des communiqués exprimant leur vive désapprobation face à l’article 15 de la nouvelle Loi de Finances 2024. Cette disposition instaure une taxe sur le revenu des pharmaciens, les plaçant au même niveau que des entités telles que les sociétés pétrolières, les compagnies d’assurances, les banques, et les grands espaces commerciaux.

Par ailleurs, le secteur souffre de problèmes structurel, mettant en péril l’accès aux soins pour tous.

Une taxe injuste

Dans un récent communiqué, le CNOPT a exprimé son étonnement face à la catégorisation du secteur des pharmacies d’officine, principalement composé de petites et moyennes entreprises (PME), au même titre que des grandes sociétés ciblées par cet article. Le Conseil a critiqué la nature discriminatoire de cette mesure, soulignant qu’elle cible un secteur d’intérêt public jouant un rôle essentiel dans la préservation de la santé des citoyens à travers le déploiement de pharmacies sur l’ensemble du territoire national.

Par ailleurs, le CNOPT a appelé les députés à les associer avant de proposer des législations pouvant nuire au secteur des pharmacies d’officine, demandant la suspension immédiate de l’application de l’article 15 et sa révision lors de la prochaine Loi de Finances complémentaire.

De son côté, le SPOT a vivement critiqué les députés à l’origine de cet article, soulignant qu’il a été élaboré à la dernière minute, voté précipitamment, et sans aucune concertation préalable. Le syndicat a également exigé la suspension immédiate de cette mesure, en attendant sa révision lors de la prochaine Loi de Finances complémentaire.

De nombreux pharmaciens, à travers les réseaux sociaux, ont également dénoncé le caractère discriminatoire de cette mesure, la jugeant anticonstitutionnelle et contraire à l’article 15 de la constitution, qui prône la justice et l’équité dans l’accomplissement des devoirs fiscaux, interdisant toute forme de ségrégation.

Les pharmaciens sont déjà soumis à une forte pression fiscale

Les pharmaciens sont soumis à une forte pression fiscale répartie de la sorte : 35% sur les revenus, 21% de charges patronales auxquelles s’ajoutent la TCL et d’autres taxes variables aux grés des lois fiscales annuelles.

Les prix des médicaments sont fixés par l’état avec une marge brute moyenne d’environ 30% à la vente.

Sallem Ghrairi, pharmacien dans la ville de Enfidha témoigne. « Dans notre pays ou la pression fiscale moyenne est de 25%, nous sommes la profession libérale la plus transparente et la plus contributrice en matière de fiscalité, un fait reconnu même par les autorités fiscales », nous dit-il.

Préoccupations principales des pharmaciens

Au niveau législatif et réglementaire, les pharmaciens appellent à la révision de la loi 73/55 régissant la profession, la mise à jour de l’exercice officinal pour inclure de nouvelles missions en tant qu’acteurs de santé de première ligne, et la clarification des exceptions autorisant la pratique de la pro-pharmacie vétérinaire.

Ils demandent également un cadre règlementaire pour les produits pharmaceutiques, dispositifs médicaux, et compléments alimentaires. Les pharmaciens insistent sur la compétence exclusive du pharmacien dans le domaine du médicament, de la fabrication à la distribution, garantissant ainsi la qualité et la sécurité pour la santé publique.

Les praticiens souhaitent changer le statut juridique de l’officine, permettre l’installation sous forme de SUARL ou SARL, et améliorer les conditions de travail en allégeant les tâches administratives. Ils recommandent l’adoption de l’ordonnance électronique pour éviter les erreurs et faciliter l’accès aux médicaments.

Le renouvellement de la convention avec la CNAM toujours en attente

Les pharmaciens soulèvent également des préoccupations liées à la CNAM, appelant à régler les problèmes de financement des caisses, respecter les obligations conventionnelles pour les délais de paiement, et éviter des mesures unilatérales telles que la migration vers la carte électronique sans un avenant définissant les modalités de travail.

La Convention sectorielle entre les pharmaciens et la CNAM arrive à échéance à la fin de décembre 2023 et doit être renouvelée. A cet égard, selon un communiqué diffusé ce mardi 19 décembre 2023, le syndicat souligne l’absence, jusqu’à cette date, d’un accord de renouvellement de la convention tout en se montrant ouvert au dialogue avec la CNAM pour trouver une solution garantissant le droit des citoyens aux soins et préservant les droits des pharmaciens dans les meilleures conditions.

Manquants et pénuries de médicaments

Sallem Ghrairi affirme que le cycle des pénuries en médicaments n’a pas cessé depuis 2018. Selon lui on compte actuellement environ 270 produits manquants.

« Les médicaments sont en partie fabriqués en Tunisie ou importé par la Pharmacie centrale de Tunisie (PCT) qui en a le monopole. Il y a environ 35 industriels pharmaceutiques qu’il s’agisse de laboratoires nationaux ou d’entreprises internationales ayant des unités de production en Tunisie », précise-t-il.

Par ailleurs, la couverture des besoins en médicaments par la production locale est d’environ 60% (elle n’était que de 14% en 1990). « Mais les difficultés financières que traverse le pays ces dernières années ont eu des conséquences néfastes sur le secteur. Ainsi, certains laboratoires étrangers se sont désinvestis du pays et d’autres locaux sont actuellement en difficulté », poursuit le pharmacien.

Les pharmaciens jouent également un rôle social

Le secteur officinal comprend plus de 2400 pharmacies, judicieusement réparties à travers tout le territoire, fournissant un service continu, tant de jour que de nuit, tout au long de l’année. L’obtention du diplôme de pharmacien, accompagné d’un doctorat, nécessite une formation universitaire d’au moins 6 années.

« Bien que notre rôle principal consiste à délivrer les médicaments prescrits en veillant à l’absence d’anomalies, à expliquer au patient la bonne utilisation de son traitement et à prodiguer des conseils hygiéno-diététiques adaptés, nous sommes également investis d’une mission de santé publique plus étendue en tant qu’éducateurs sanitaires et promoteurs de la prévention de la santé », explique Sallem Ghrairi.

De ce fait, la structure territoriale étendue et l’accès libre et continu caractérisant ce secteur en font le principal service de santé de première ligne. « Les pharmaciens représentent ainsi la première ressource de proximité pour les patients, les écoutant attentivement, les rassurant, les soignant, ou les orientant vers un médecin en fonction de la gravité de leur maladie. Dans le contexte de santé actuel et le faible pouvoir d’achat des citoyens, le rôle du pharmacien est d’autant plus crucial », ajoute le pharmacien.

« En plus de leur rôle professionnel, le pharmacien joue un rôle actif sur le plan social, contribuant régulièrement à des actions de solidarité et de soutien à l’échelle locale et nationale », conclu-t-il.

La profession des pharmaciens en Tunisie, bien qu’ancrée dans la tradition, fait face à des défis complexes qui nécessitent une réponse législative et réglementaire adéquate pour garantir la santé et le bien-être des citoyens. Les appels à la révision de la législation et à la résolution des problèmes structurels révèlent la volonté de la profession de contribuer de manière engagée à la santé publique.

Wissal Ayadi