Tunisie : Ni hystériser le débat, ni se réfugier dans une attitude victimaire, le discours du 21 février mériterait contre-discours et excuses

07-03-2023
Kaïs Saïed - Constitution

La polémique continue à enfler autour du discours du mardi 21 février du président de la république, au sein du Conseil de sécurité nationale, au sujet de l’immigration subsaharienne. La Tunisie s’est attirée les foudres de la communauté internationale, les médias internationaux braquent toute leur attention sur ces déclarations, les qualifiant d’étranges, et n’hésitant pas à faire le parallèle avec les thèses les plus honnies de l’extrême droite, des mesures de représailles ne se sont pas fait attendre, au niveau de certains pays africains, (voir poste du président du Conseil d’affaires tuniso-africain, TBAC, sur sa page officielle, Facebook, ci-dessous).

Fait encore plus grave, à l’heure où l’on s’attendait à un signal positif du FMI, à un déblocage du dossier tunisien, et une finalisation de l’accord signé en décembre dernier au niveau des experts ; une clef, de l’aveu de tous, permettant à la Tunisie de frapper à la porte des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, pour mobiliser les financements nécessaires à alimenter son budget, voilà qu’un signal négatif est envoyé de la banque mondiale, avec sa décision de suspendre, ses discussions sur le cadre de partenariat pays avec la Tunisie.

La Tunisie se serait passée volontiers de cette controverse, ce pavé dans la mare qui vient envenimer une situation déjà complexe et inextricable.

De là à dire que cette décision risque de faire boule de neige et faire tomber à l’eau les efforts que le gouvernement a fourni pour convaincre les institutions financières de la justesse de ses choix socio-économiques, et du bien-fondé de son programme de réforme, il n’y a qu’un pas que l’on n’hésite pas à franchir.

Les autorités essaient, néanmoins, d’arrondir les angles, de taire la polémique et de prévenir de nouvelles hostilités, mais c’est encore peine perdue.

Le chef de l’Etat et ses ministres se défendent, à juste raison, de toute connotation raciste de ce discours, affirmant leur attachement à une application stricte de la loi, notamment celui de « l’accueil et du séjour des étrangers », leur engagement en faveur de la lutte contre la migration irrégulière, et annonçant, au passage, une batterie de mesures pour améliorer les conditions de résidence des ressortissants africains, notamment les étudiants, sur nos terres.

Le gouvernement multiplie, donc, les explications, les mises au point, les clarifications pour lever les équivoques, condamnant, « une campagne injustifiée, sans précédent, préméditée contre la Tunisie », et qualifiant les accusations de racisme, « d’inadmissibles, et malvenues ».

Les autorités sont en train d’agir sur les conséquences et non sur les causes

Sauf, que cet effort n’a pas encore, suffisamment, de prise sur le terrain, n’a pas réussi à taire la colère qui gronde, le malaise, voire les critiques émises de l’ONU, aux Etats-Unis, en passant par les ONG, et les pays africains, vers ce qui a pu heurter la sensibilité de nos frères africains, ce qui a réveillé les démons de la question raciale, ethnique, identitaire, débattue à l’envi, mais jamais apaisée…

Le résultat est si peu modeste, car, dans leur tentative d’éteindre l’incendie, et de désamorcer la tension, les autorités tunisiennes sont en train d’agir sur les conséquences, et non sur la cause de cette crise. Or, ce qui semble être le plus judicieux et le plus approprié est de régler « le malentendu Â», pour utiliser un euphémisme, né du discours prononcé au sein du Conseil de sécurité national.

La Tunisie se doit aujourd’hui d’apporter un contre-discours, faisant oublier totalement celui du 21 février 2023, et tentant de l’effacer de la mémoire collective mondiale, où ne sont restés, hélas, que des messages négatifs.

Un discours ouvert, solidaire, humaniste, qui tend la main à l’Afrique, à sa jeunesse créative, dynamique, plein d’espoir et de projets. Un discours qui réitère l’africanité de la Tunisie, une appartenance géographique, privilégiée, et stratégique, laquelle est un facteur d’enrichissement de ses multiples profondeurs maghrébine, méditerranéenne, arabe, et musulmane.

Un discours qui célèbrera l’Afrique, sa grandeur, ses luttes, sa résistance, et surtout sa fierté ; celle qu’elle a héritée et intériorisée du combat et de l’aura des ses pères fondateurs, à l’instar de Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Léopold Sédar Senghor et bien d’autres.

L’Afrique est certes un continent martyr, de part la colonisation, les conflits armés, la misère, la mauvaise gouvernance, la corruption, le pillage…mais c’est un continent fier, où l’histoire n’es pas encore entièrement écrite.

L’Afrique est, aujourd’hui, le cœur battant de la planète, c’est le continent qui est au centre de toutes les convoitises, et est la destination de toutes les puissances mondiales. Son enjeu économique est crucial, c’est là où est en train de se livrer, la course vers le leadership économique mondial.

Pour sortir de cette crise, il ne faudrait ni hystériser encore plus le débat, ni se réfugier dans une attitude victimaire contreproductive. Il faudrait, tout  juste, avoir le courage et le mot juste pour dire que le discours du 21 février n’aurait pas dû être posé en ces termes, c’est une mauvaise appréciation, c’est la parole qui a devancé la pensée, c’est un dérapage verbal qui mériterait clarification et excuses, avec humilité et bienveillance.

H.J.