Tunisie/ Prix plafonnés : Le marché mis au pas, mais cette décision risque d’être « contreproductive », selon Nafaa Ennaifer
Le chef de l’Etat Kaïs Saïed a fait de la baisse des prix des produits de base son cheval de bataille, depuis l’annonce des mesures exceptionnelles, le 25 juillet dernier.
Après les appels à la baisse des prix au niveau du gros et du détail, et les injonctions données au ministère du Commerce de sévir contre l’augmentation illicite des prix et la spéculation, ledit ministère s’exécute, en commençant par plafonner les prix de vente de la volaille et des pommes de terre à compter du mercredi 01er septembre 2021.
Si pour la présidence c’est une manière de lutter contre la spéculation afin d’améliorer lie pouvoir d’achat des Tunisiens, d’autres y voient une forme de populisme. Les professionnels fustigent, quant à eux, ces décisions et prévoient l’escalade.
Au lendemain des annonces du ministère du Commerce, nous nous sommes rendus dans un supermarché de Tunis, ainsi qu’au marché central afin de vérifier si cela a été appliqué dans les étals.
Pour rappel, le prix de vente de la pomme de terre au niveau des entrepôts a été fixé à 1DT le kilo, le prix de gros à 1,2DT le kilo et enfin, le prix de vente au public ne doit pas dépasser les 1,380DT par kilo.
Dans ce supermarché de l’Ariana, les pommes de terre sont vendues au prix de 1,265, soit en dessous du prix maximum imposé par le ministère.
Du côté de la volaille, le prix de vente au public du poulet prêt à cuire (PAC) a été fixé à 6,9DT/kg. Au supermarché, il est vendu à 8,690 le kilo. Un coût supérieur qui pourrait être imputé à l’emballage.
L’escalope de poulet est commercialisé au prix de 18,150DT le kilo, sachant que les marges bénéficiaires des dérivés des volailles (comme l’escalope) ont été fixées à 15 %.
L’escalope de dinde est vendue quant à elle à 13.500 dt/kg comme en a convenu le ministère du Commerce.
Direction, maintenant le marché central de Tunis. Au détour des allées, on note que les prix sont bien mis en avant, surtout en ce qui concerne la pomme de terre et la volaille. Nous rencontrons un marchand de légumes en plein contrôle avec un agent du ministère du Commerce, venu vérifier si les prix sont correctement appliqués. « Je vends la pomme de terre à 1,380DT le kilo comme en a décidé le ministère. Certes je ne gagne que 200 millimes par kilo mais je n’ai pas le choix », nous dit-il.
Depuis maintenant 2 ans, un bureau de contrôle économique est installé au cœur du marché central afin de faire respecter les lois économiques du marché. « Face à la spéculation de plusieurs commerçants, nous effectuons des contrôles quotidiens pour éviter les abus », nous explique l’agent.
Tenant un journal à la main, il déplore que certains médias écrivent que les contrôles n’existent pas. « Je ne comprends pas pourquoi la presse s’en prend à nous alors que nous faisons notre travail ». ce dernier nous invite à arpenter les allées de la halle afin de nous montrer le respect du nouveau plafonnement des prix. « Toutes les pommes de terre sont vendues à 1,380 le kilo et pour la volaille, le poulet PAC est bien au prix de 6,9DT le kilo et l’escalope de dinde n’est pas vendue à plus de 13,5DT », affirme-t-il. En effet, tous les commerçants se sont alignés.
Les contrevenants à la loi sont dans un premier temps rappelés à l’ordre. S’ils ne respectent pas la consigne lors d’un autre contrôle, ils se verront alors infligés une amende moyennant les 300DT… et si l’amende n’est pas payée, alors ils devront se justifier devant un juge, explique-t-il.
Il appelle également les citoyens à la vigilance et à dénoncer tout acte spéculatif. « Nous avons beaucoup de clients qui viennent nous voir pour nous indiquer les dysfonctionnements et autres arnaques », conclut-il.
Le plafonnement des prix na pas vraiment été reçu de manière favorable par le secteur avicole. Le représentant syndical de la filière volailles a exprimé ce jeudi matin sur Express FM, son mécontentement, et promet l’escalade, si un accord n’est pas trouvé avec le ministère du Commerce.
D’après la chambre syndicale, ce prix fixé n’est pas en adéquation avec les coûts de production.
Depuis le 25 juillet dernier, le président Kaïs Saïed s’est attaqué à plusieurs secteurs économiques qui selon lui pratiquent la spéculation et « affament le citoyen ».
A cet égard, Mr Nafaa Ennaifer, membre du bureau exécutif de l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises n’a pas hésité à donner son avis, dans un post Facebook, quant à ces décisions, qu’il considère comme hâtives.
Nous l’avons contacté par téléphone. Pour lui le plus important est d’abord de structurer la réflexion.
« Ces décisions ont été prises dans l’urgence et la précipitation et sous la pression politique. Cela ne peut pas permettre une prise de décision pragmatique en concertation avec les opérateurs économiques et les cadres de l’administration », nous dit-il, d’emblée.
Pour l’homme d’affaires, il faut de l’anticipation en matière de prise des décisions. « Le ministère doit tout d’abord faire des études poussées des secteurs afin d’être bien informé des tendances des marchés mondiaux ». En ce qui concerne par exemple le secteur avicole, il faut remarquer que les prix du maïs et du soja, éléments de l’alimentation des volailles, ont augmenté de 50% en un an sur les marchés mondiaux. « S’il y a une flambée, la Tunisie ne peut pas ramer à contre-courant », précise-t-il.
Nafaa Ennaifer craint que le plafonnement des prix ne soit contreproductif et conduise à une pénurie et donc à une envolée des prix.
Ce dernier a évoqué, par ailleurs, le lynchage subi par certains grands industriels dans les médias, accusés de spéculation sur le dos des Tunisiens. « Ce discours est repris par les Tunisiens. Il ne fait pas oublier que ce sont ces industriels qui créent la richesse en créant de l’emploi et en participant au PIB ».
« A force de fustiger les entreprises, un climat de défiance peut s’installer entre elles et les autorités.
Allons plutôt vers l’apaisement avec des échanges responsables en impliquant les opérateurs économiques afin de trouver des solutions durables pour le pouvoir d’achat et l’intérêt des filières conclut-il.
Wissal Ayadi