Tunisie : secoué par une crise sans précédent, l’Artisanat risque l’effondrement (Reportage)

05-02-2021

L’artisanat a été lourdement impacté par la crise liée au Covid-19. Intimement lié au tourisme, le secteur a perdu plus de la moitié de son chiffre d’affaire. Les artisans tirent la sonnette d’alarme, en mettant en avant le poids socio-économique d’un secteur qui fournit 7000 emplois directs et qui contribue à hauteur de 4,58% au PIB, avec le financement de 5045 projets.

Pour en savoir plus sur ce marasme, nous nous sommes rendus au cœur de la Médina de Tunis, l’emblème de la fabrication artisanale tunisienne…

A l’entrée, les ruelles de la Médina sont peuplées par des clients réticents, qui regardent, admirent les articles faits mains, en cuivre, laine, cuire, argent et encens, sans pour autant acheter…Les commerçants attendent, quant à eux, patiemment devant leurs boutiques, l’arrivée de client du jour, mais en vain. D’autres guettent les quelques passants, dans l’espoir d’attirer leur attention et les convaincre de céder à la tentation d’acheter. Malheureusement, les articles artisanaux ne figurent pas parmi les priorités  des Tunisiens. La détérioration de leur pouvoir d’achat ne leur permet que l’essentiel….

Ruelle du Souk

Pour comprendre cette réticence, nous nous sommes rendus à une adresse incontournable du vieux souk. La boutique de Borhene Ben Ghorbal est déserté par les clients… Sacs en cuir, poteries, tableaux et autres souvenirs sont rangés méticuleusement sur les étagères en attendant de potentiels acheteurs.

Borhene Ben Ghorbal n’est autre que le Président de la Chambre régionale du syndicat des commerçants de l’artisanat de Tunis. Il nous a accordé une interview.

« Cette crise est de loin la plus grave qu’a connue le secteur de l’artisanat », nous dit M. Ben Ghorbal. En effet si depuis la Révolution il y a 10 ans, la Tunisie a connu un certain nombre de troubles qui ont fragilisé le tourisme et donc l’artisanat, la pandémie du Covid-19, laissera, sans nul doute, des séquelles qui seront difficiles à panser.

Malgré l’instabilité politique et une vague de plusieurs attentats en 2015 notamment, la Tunisie a toujours réussi à se relever et à refaire repartir ce secteur. Mais, aujourd’hui, dans les ruelles du souk, les commerçants sont aux abois et souffrent.

Borhene Ben Ghorbal

Beaucoup de boutiques ont fermé faute de clients. C’est toute la chaîne qui a été touchée, du producteur (artisan) au vendeur », souligne-t-il. Ainsi, il nous explique que 60% des transactions se font avec les touristes étrangers, 30% avec les touristes venant d’Algérie et de Libye et enfin les 10% restant s’opèrent avec les Tunisiens.

Avec l’arrêt du tourisme, la fermeture des frontières avec nos voisins et le pouvoir d’achat en baisse des locaux, les artisans du souk peinent à trouver des solutions pour sortir de cette crise. Borhene Ben Ghorbal déplore le manque d’intérêt du gouvernement quant à cette situation.

En tant que chef d’entreprise, il a tenté de bénéficier des 200DT d’aide de l’Etat, mais sans succès. « Je suis entré sur le site pour inscrire ma société et aider mes employés pour qu’ils bénéficient de cette indemnité. Mais malheureusement la procédure est beaucoup trop fastidieuse, on nous demande beaucoup d’informations et de paperasse qui m’ont découragé à continuer », explique-t-il.

Selon lui, les entreprises doivent recevoir en priorité une aide de l’Etat car ce sont elles qui contribuent le plus aux richesses du pays. A cet égard, le commerçant rappelle qu’ils sont nombreux à avoir des crédits en cours, qu’ils ne sont plus en capacité de rembourser, se retrouvant sous la menace d’une faillite.

« L’Etat avait dit que les banques se devaient de trouver des solutions afin de soulager et de sauver les entrepreneurs. Mais en réalité, quand nous allons à la banque pour avoir de l’aide, nous nous retrouvons devant un mur », affirme-t-il. Borhene Ben Ghorbal assure que si cette crise tend à continuer, c’est l’artisanat tout entier qui est voué à disparaître. « L’artisanat c’est l’image de la Tunisie, c’est son passeport pour les pays étrangers… », conclue-t-il.

Le Président de la chambre syndicale des commerçants de l’artisanat de Tunis réclame d’abord l’accélération du processus d’obtention des vaccins et bien sur une aide de l’Etat à la hauteur de la crise que les artisans traversent.

Une situation alarmante qu’a bien voulu reconnaître le ministre du Tourisme, Habib Ammar. Ainsi, ce vendredi 4 février ce dernier a annoncé la signature d’un accord-cadre entre l’Office national de l’Artisanat et la BTS, afin de soutenir le secteur.

Il a déclaré qu’une enveloppe de 10 millions de dinars allait être débloquée par le gouvernement afin de consolider leurs fonds de roulement. Une solution à moyen terme pour éviter une éventuelle faillite du secteur… Mais en réalité, seul le retour des touristes pourra le sauver…

D’autres alternatives pour sauver l’artisanat de la crise

Nous avons rencontré un jeune propriétaire d’une boutique de tapis en laine à la Médina, qui nous a parlé de l’importance d’innover dans ce secteur, dans le but de sortir de la crise. Selon lui, il faut prendre en compte les petites bourses des Tunisiens, qui ont fait un retour vers les produits locaux, préservant ainsi l’héritage culturel du pays.

Mohamed Ben Ghorbel, ce jeune commerçant, considère que le paiement par facilité encourage les clients à acheter et leur épargne le fardeau des grandes dépenses, en une seule fois, même pour les petites sommes. « Cette méthode est bénéfique dans les deux sens, pour le client et le vendeur. Ça nous permet de payer nos charges, loyers, et le cout de fabrication », nous explique-t-il.

Boutique de tapis

Concernant le design de ses tapis, ce jeune trentenaire nous a indiqué, qu’il essaie d’innover et de moderniser ses articles afin de satisfaire tous les gouts. Pour lui, la prochaine étape serait d’exporter sa marchandise vers l’étranger, à travers le E-commerce. En parlant des entraves qu’il a eus à ce sujet, il a indiqué que cela n’était pas évident, car en se lançant dans cette aventure, il s’est avéré que seule la vente en gros est autorisée pour l’exportation. Le fait de vendre par pièce est impossible en Tunisie », déplore-t-il. « Le problème dans le pays c’est que plusieurs lois sont à réviser pour pouvoir aider les jeunes artisans qui souhaitent percer dans le secteur…Sans cela, la reprise du secteur sera lente, et on ne sera jamais en phase avec l’aire de digitalisation… », a-t-il conclu.

Il existe aussi d’autres créateurs qui ont aussi cherché des alternatives pour se sauver de la crise. Comme ces créateurs qui ont tiré leur inspiration des produits traditionnels faits mains, mais revisités avec une touche moderne. Ces créateurs semblent attirer plus les clients locaux, qui préfèrent consommer tunisien exprimant ainsi leur attachement à un héritage culturel ancestral. C’est ce que nous a confirmé l’importante affluence vers ces articles, très sollicités notamment par les jeunes.

Retrouvez dans la vidéo ci-dessus, l’interview de Borhene Ben Ghrobal.

Reportage réalisé par Emna Bhira et Wissal Ayadi