Tunisie/ Sociétés communautaires : Retour sur un concept de développement régional qui fait ses premiers pas

03-01-2023

Parvenir à une justice sociale et à une répartition équitable des richesses à travers l’exercice collectif d’une activité économique, telle est la philosophie des entreprises communautaires ou citoyennes.

Cette notion est régie par le décret présidentiel n°15-2022 qui est entré en vigueur le 21 mars 2022 visant à créer un régime juridique pour ces sociétés, fondé sur l’initiative sociale et solidaire.

Un concept qui paraît semblable à celui des entreprises de l’économie sociale et solidaire qui dispose déjà d’un cadre législatif.

Qu’est ce qu’une société communautaire?

D’après l’article 2 du décret, la société communautaire est « créée par un groupe d’habitants de la région». Son objectif est « d’établir une répartition équitable des richesses par l’exercice collectif d’une activité économique à partir de la zone où elle est installée » ainsi que le «développement régional» en fonction des besoins et des particularités des régions. A noter que la nature des activités est ouverte à tous les secteurs à condition qu’elle soit en cohérence avec les besoins de la région.

Anis Wahabi est expert comptable. Il nous explique les tenants et les aboutissants de ces sociétés citoyennes. Il indique dans un premier temps qu’elles sont ouvertes à la communauté de ladite zone à condition d’avoir un minimum de 50 membres (sans limite dans le nombre maximum).

« Il n’y a pas de majorité car chaque membre ne peut détenir qu’une seule action et dispose donc une seule voix, avec une participation financière égale entre tous. Il y a un conseil d’administration (6 à 12 personnes) qui est choisi par les membres, qui désignent un Directeur Général. Le mini de capital est de 10.000 dinars pour une entreprise à échelle locale et de 20.000 dinars à échelle régionale. Et enfin les règles de gestion sont communes ».

En effet, la loi qui régit ces entreprise impose d’avoir une gouvernance collégiale. D’après Anis Wahabi, il y a un système de reporting organisé par la loi avec un rapport d’activité qui est présenté aux membres mais aussi au gouverneur de la région chaque année, permettant d’avoir un double contrôle.

Partage des bénéfices

La loi précise également le cadre relatif au partage des bénéfices, basé essentiellement sur la répartition équitable des richesses ainsi que l’initiative sociale et solidaire.

Anis Wahabi nous explique dans ce sens que les membres ne pourront se répartir que 35% des bénéfices. « Le reste  à hauteur de 15% maximum et les 50% restants devront servir à financer des activités sociales, culturelles, environnementales ou de développement régional », nous dit-il.

Le premier décret indique que les revenus collectés par le processus de réconciliation pénale serviront en partie aux financements de ces entreprises. 20% des revenus seront attribués aux collectivités locales qui les exploiteront sous forme de participations aux capitaux des entreprises citoyennes.

Une aide foncière et financière de l’Etat

Par ailleurs, le texte prévoit également la possibilité pour les sociétés communautaires d’exploiter des terres ou des biens appartenant à l’Etat, y compris les terrains dits « collectifs » qui sont gérés par des clans, notamment dans les régions de l’intérieur et dont les problèmes juridiques n’ont pu être réglés depuis l’indépendance.

Recevant, à cet égard, le ministre des Domaine de l’Etat le 25 novembre dernier, le président Kaïs Saïed avait déjà dénoncé « les pratiques perpétuées par des personnes influentes qui mettent la main sur les domaines de l’Etat »,  plaidant pour l’élaboration de nouvelles législations afin « de préserver cette richesse nationale, et d’en faire bénéficier le peuple ».

La Tunisie a une longue histoire en matière de foncier, la première loi parue à cet effet est celle de 1885, à l’époque coloniale, dont l’objectif était de faire accéder les occupants aux terres tunisiennes (…) Les biens de l’Etat sont les biens du peuple, et il convient de mettre un terme à cette injustice et cette corruption qui gangrène le corps de la société et de l’Etat tunisien », avait-il alors dit en substance.

Une initiative intéressante quand on connait la quantité de terrains agricoles ou non qui sont inexploités et qui pourraient constituer une réelle chance pour les entrepreneurs et notamment les jeunes lourdement frappés par le chômage et la précarité et dont la seule issue de secours est d’emprunter les « bateaux de la mort » de l’immigration illégale.

Un autre décret fait référence aux entreprises communautaires, celui sur la réconciliation pénale et  l’utilisation de ses recettes. Ainsi, le décret numéro 13 indique que les revenus collectés par le processus de réconciliation pénale serviront en partie aux financements de ces entreprises en attribuant de ces revenus 20% aux collectivités locales qui les exploiteront sous forme de participations aux capitaux des entreprises citoyennes.

Les sociétés communautaires sont-elles vraiment réalisables?

D’après Anis Wahabi, le modèle économique des société communautaires n’est pas viable.

« Imaginons qu’une société arrive a récolter 100.000 dinars de bénéfices (ce qui est difficilement réalisable pour ce type de sociétés), il faudra répartir les bénéfices à hauteur de 35%, soit 35.000 dinars. Si on les répartit sur le minimum de 50 personnes requis, les membres ne recevront que 700DT par an », indique l’expert-comptable.

Il explique par ailleurs, que pour le secteur agricole, notamment, cette loi pourrait venir chevaucher celle régissant les sociétés mutuelle de services agricoles par exemple.

« Cela n’entre pas dans un cadre de développement viable. Pour lutter contre le chômage, il faut créer de la richesse. La question est de savoir si ce genre de projet va créer de la richesse. Il y a beaucoup d’autres formes de sociétés qui fonctionnent et sur lesquelles la Tunisie aurait du travailler en priorité au lieu de plancher sur une loi qui va régir des sociétés qui seront difficilement rentables et viables », conclut-il.

Wissal Ayadi