Tunisie/ Tourisme alternatif : Enquête sur un secteur plein de promesses, mais en mal d’incitations
Voyager autrement en Tunisie c’est possible ! Si la Tunisie est réputée comme étant une des meilleures destinations pour le tourisme balnéaire… elle recèle pourtant d’autres trésors cachés dans les régions de l’intérieur du pays. Des paysages incroyables et une nature luxuriante situés dans des endroits parfois très reculés, loin des sentiers battus…
La découverte de ces espaces fait de plus en plus d’adeptes. Ainsi, depuis quelques années, des maisons d’hôtes, des gîtes, des hôtels de charme ou encore des aires dédiés au camping fleurissent à travers toute la Tunisie.
Ce secteur est appelé le tourisme alternatif… Alternatif, car il offre de nouvelles expériences, aux antipodes du tourisme classique.
Qu’est ce que le tourisme alternatif ? Où en est-on en Tunisie ? Constitue-t-il un levier de développement touristique pour la Tunisie ? Enquête sur un modèle qui a le vent en poupe.
Un nouveau segment touristique plein d’avenir
Le tourisme alternatif est aussi appelé le « Slow tourism ». Loin des hôtels de masse, des transats collés les uns aux autres et des excursion entassés dans des bus de 50 personnes, ce nouveau type de tourisme a de beaux jours devant lui… Une idée encore plus vraie au moment où la pandémie du Covid-19 contraint à la distanciation sociale et à l’isolement des individus.
Par philosophie ou simplement par choix, de plus en plus de personnes optent pour ces voyages plus respectueux de l’environnement, accessibles et offrant une dimension plus humaine à leur séjour.
Ainsi, la Tunisie dispose de tous les atouts pour développer ce secteur afin de diversifier son offre touristique, cette dernière étant aujourd’hui « mono-produit », avec exclusivement des séjours au bord de la mer.
Sabri Oueslati est belgo-tunisien. Il est le propriétaire d’une célèbre maison d’hôte appelée « Dar Sabri » et située dans la région de Nabeul. Fervent défenseur du tourisme alternatif, il est convaincu qu’il s’agit là de l’avenir du tourisme en Tunisie.
« La Tunisie en est encore à ses débuts dans le domaine du tourisme alternatif… Mais le champ des possibilités est énorme », nous dit-il. En effet, si le tourisme balnéaire est concentré dans quatre villes (Hammamet, Sousse, Monastir et Djerba), l’alternatif, lui peut se faire dans toutes les régions du pays, puisqu’il englobe le tourisme rural, désertique, l’agro-tourisme et les activités outdoor.
D’après Mr Oueslati, le secteur manque de structure et de marketing. Pour pallier à ce défaut, il a décidé de créer l’Association Edhiafa. Cette structure réunit tous les propriétaires d’hébergement de petite taille (maisons d’hôtes, gîtes, hôtels de charme aires de camping). Une des principales mission de l’association est de soumettre des recommandations au gouvernement afin de donner un cadre juridique clair au secteur.
« Pour le moment, nous avons recensé 300 établissements en Tunisie, seuls 50 d’entre eux ont reçu l’agrément de l’Etat. Les autres travaillent dans l’informel ». A cet égard, il souligne que le processus de l’obtention d’un agrément est très lent et comporte beaucoup de zones d’ombre, pénalisantes pour un jeune qui veut investir. Une des plus grosses difficultés réside dans le déclassement des terres agricoles afin qu’elles soient vouées à l’activité touristique.
En outre, la construction d’une maison d’hôte est coûteuse pour l’Etat du fait qu’il doit fournir en parallèle l’infrastructure routière, sanitaire et sécuritaire nécessaires au profit d’une telle structure, située habituellement dans des endroits enclavés.
Une manne pour l’emploi dans les régions
Le tourisme alternatif présente de multiples avantages. Le premier est sa saisonnalité. En effet, si le tourisme balnéaire dépend de la saison estivale, le « slow tourism », lui peut se pratiquer toute l’année.
Il peut donc constituer un levier non négligeable pour l’emploi dans les régions où le taux de chômage atteint des records. Il peut également être une solution pour éradiquer la précarité du travail saisonnier puisque cela même qui travaillent l’été dans les hôtels peuvent travailler le reste de l’année dans les établissements de petite taille.
Développer le tourisme dans les zones les plus reculées du pays contribue aussi à mettre en valeur le patrimoine de celles-ci. Histoire, gastronomie, terroir, culture…autant de vecteurs qui participent à faire marcher toute une chaîne : de l’artisan à l’agriculteur, aux employés de maisons.
Pour autant, le tourisme alternatif n’a pas vocation à faire de l’ombre au tourisme classique. D’après Sabri Oueslati, les deux peuvent très bien marcher en toute harmonie. « Les voyagistes peuvent développer leur offre en proposant par exemple un combiné… Une semaine dans un hôtel en bord de mer et une autre en pleine nature dans des gîtes ou des maisons d’hôtes ».
Ce nouveau mode de consommation touristique est également une manière de mettre en valeur la Tunisie. Les plages, les souks remplis de souvenirs pour les touristes, etc ne conviennent plus aux touristes venus de l’étranger qui recherchent, plus aujourd’hui, une meilleure qualité de vie, un retour à des choses élémentaires, au bien être et à une alimentation biologique plus saine. « Il faut que les mentalités changent en Tunisie. Il n’y a pas que la mer… Le tourisme de masse est une mise en scène qui ne représente pas la vraie Tunisie », indique Sabri.
Si pour l’instant la pandémie du Covid-19 a stoppé net l’afflux des touristes étrangers, il n’en reste pas moins les touristes locaux. Les Tunisiens sont de plus en plus demandeurs de ce genre d’expérience.
Les Tunisiens de plus en plus adeptes du tourisme alternatif
Issam Miladi est un des pionniers dans le tourisme alternatif. Il a monté une des première agences dédiées à l’organisation d’activités culturelles et sportives « outdoor ». Bateau, kayak, paddle, randonnées, VTT, séjours paysans… Il s’adressent aux amateurs de nature et de déconnexion.
Il a également crée le Gîte du pêcheur. Une charmante maison d’hôte située à El Haouaria dans le gouvernerat de Nabeul. Il nous explique que ses clients sont principalement Tunisiens en quête de calme, de nature et qui veulent découvrir leur pays. « Il y a beaucoup de Tunisiens qui ne connaissent pas leur propre pays. Pour ceux-là , le tourisme alternatif est une solution.
Pour la plupart, ce sont des jeunes couples avec des enfants. Afin de faire profiter au maximum ses clients, Issam propose lors d’un week-end, une randonnée pédestre, un pique-nique en pleine nature et des ateliers d’arts créatifs pour divertir les enfants. Il y a également des balades en calèches pour découvrir les alentours.
Le professionnel nous indique que ce genre de séjour est aussi l’occasion de faire découvrir le terroir du coin. Ainsi, des matinées « cueillette » sont organisées sur le domaine, pour récolter ses propres fruits et légumes qui seront ensuite cuisinés par des femmes originaires du coin.
« Pour un week-end avec 2 adultes et 2 enfants, il faut compter 400DT », nous dit-il. Pas plus cher qu’un séjour dans un hôtel.
Tabarka : zone privilégiée pour le tourisme alternatif
Nous avons essayé de rentrer en contact avec le ministère du tourisme afin d’avoir leur stratégie de développement pour ce secteur en pleine extension dans le monde entier. Malgré nos relances, nous n’avons obtenu aucune réponse de leur part.
Le 27 janvier dernier, une séance de travail s’est tenue au ministère au sujet de la diversification du produit touristique.
Selon la page Facebook du ministère, le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Habib Ammar, a souligné à cette occasion l’importance de la révision du cadre juridique qui régit les établissements de petite taille afin d’encourager la création de projets et d’emplois dans les régions rurales.
A cet égard, il a précisé que la nouvelle loi permettra d’organiser le domaine des résidences touristiques alternatifs et l’investissement dans ce domaine, et d’éviter les projets anarchiques.
Ammar a également appelé à accélérer la régularisation des projets bloqués, en coopération avec les ministères et les structures concernés notant l’apport des projets des gîtes ruraux dans la mise en valeur des zones agricoles et la préservation de l’environnement et de la nature.
Par ailleurs, dans une déclaration médiatique, Habib Ammar a fait part de son souhait de développer le tourisme alternatif dans la région de Tabarka.
Tabarka est une région très riche en patrimoine naturel, historique et culturel. Cependant, ce potentiel n’est aucunement exploité comme il se doit », a-t-il dit.
Wissal Ayadi