Tunisie/ Utique : Une ville à l’abandon, et pourtant l’aéroport Tunis-Carthage devait être transféré sur ses terres

15-06-2022

La ville d’Utique est située à une trentaine de kilomètres de la capitale Tunis, dans le gouvernorat de Bizerte. Elle est connue pour ses terres agricoles, mais surtout  pour son site archéologique qui abrite une des plus anciennes cités portuaires fondée par les Phéniciens dans l’Antiquité.

Malgré un patrimoine riche et un bon vivre exceptionnel, Utique reste encore à l’écart de tout projet de développement. La jeune municipalité, créée en 2015, lors du dernier scrutin municipal, est bien décidée à à lui redonner toute sa valeur d’antan.

Ainsi, Habib Hammami, Maire d’Utique a organisé ce mardi 14 juin un évènement baptisé la « Journée d’Utique », en partenariat avec la Chambre de commerce et d’Industrie du Nord-Est Bizerte (CCINE) afin de poser les problématiques que rencontre la région et les solutions qui peuvent être envisagées.

Deux grands thèmes ont été abordés : les transports et le tourisme.

Transport: aéroport, port sec, ligne ferroviaire

Le grand débat qui agite la ville d’Utique depuis une dizaine d’années est le projet de transfert de l’aéroport de Tunis-Carthage à Utique. Souvenez-vous, en 2018, ce projet avait été actée lors d’un Conseil des ministres et largement relayé par le ministre des Transports de l’époque, Radhouane Ayara, qui avait annoncé une mise en service d’ici 2030.

Sauf que depuis cette annonce, ce dossier n’a pas été remis sur la table. Présent lors de cette journée, Borhène Dhaoudi président de l’Association Tunisian Smart City, architecte, expert en aménagement urbain, a passé les 5 dernières années à imaginer ce projet d’aéroport, baptisé « Tunis Aéroport City ».  Masterplan en poche, il a réussi à faire ouvrir un bureau dédié aux Smart Cities au sein de l’ITES (Institut Supérieur des Etudes Stratégiques).

Utique est l’endroit idéal pour la construction du nouvel aéroport », indique-t-il. L’architecte se base sur plusieurs éléments. D’abord, le nombre de chômeurs. Il explique que le tiers des sans emplois du pays se situe dans la région du nord de la Tunisie. « La création d’un pôle aéroportuaire c’est 60.000 emplois », rappelle-t-il.

Par ailleurs, Dhaouadi explique que la nature du commerce mondial est voué à changer afin de réduire l’impact environnemental, en écourtant les distances des lieux de production avec la création de « Giga Factory ». Ainsi, pour l’Europe, la Tunisie représente une opportunité. « Le Maroc a très bien compris ce principe et a complètement transformé la ville de Tanger. Utique et le gouvernorat de Bizerte en entier pourraient être une véritable plaque tournante du commerce international ».

Mais pour cela, il faut que les transports se développent. Outre l’aéroport, Borhene Dhaouadi a imaginé la création d’un port sec du côté de Al-Mabtouh ainsi qu’une ligne ferroviaire parallèle à l’autoroute de Bizerte de Al-Mabtouh à Sidi Othman.

Voilà à quoi ressemblerait ce projet qui pourrait transformer le visage de la région :

« Jusqu’à aujourd’hui je n’ai aucune réponse de la part des autorités. Il semble que ce dossier ait été rangé dans les tiroirs. J’ai donc pris acte de cette situation et désormais je travaille avec les autorités marocaines qui ont fait appel à mes services pour la création d’un pôle Smart à Tanger. En ce qui concerne l’aéroport d’Utique et le reste, tous les plans et projets sont à la disposition de l’Etat dans l’espoir qu’il revienne sur cette décision, et ce dans l’intérêt national », conclut Dhaouadi.

Tourisme: Site archéologique, éco-tourisme

L’autre thème abordé lors de la « Journée d’Utique », est le tourisme. Un autre levier qui pourrait développer cette région, totalement abandonnée par l’Etat.

Saviez-vous que le site archéologique d’Utique est plus ancien que celui de Carthage ? En plus des nécropoles puniques particulièrement bien conservées, la ville d’Utique, qualifiée de « splendide » selon une inscription retrouvée à Dougga, comporte tous les éléments archéologiques d’une colonie romaine : amphithéâtre, cirque, théâtres, thermes, citernes, aqueducs, forum, temples, habitations, etc…

Aujourd’hui, le site est presque à l’abandon et les visiteurs sont rares. Saletés, mosaïques détériorées, panneaux signalétiques brûlés par le soleil et illisibles… « Depuis que la municipalité d’Utique a été crée en 2015, trois ministres se sont succédé, promettant la mise à niveau du site. Mais rien n’a été fait », déplore Habib Hammami, Maire de la ville. Il abrite également un musée ne reflétant en rien l’importance de ce site archéologique.

Pour se défendre, l’Agence de Mise en Valeur du Patrimoine, présente lors de cet événement a déclaré que des fouilles étaient en cours par des équipes espagnoles et anglaises. Pour autant cet argument ne justifie en rien le manque d’entretien de l’un des tout premiers comptoirs phéniciens implantés en terre africaine. « Il ne s’agit que d’opération de bricolage », dénonce Habib Hammami.

L’AMVP a reçu les foudres de l’assistance qui accuse l’Etat d’exercer une sorte de « véto » sur le gouvernorat de Bizerte.

Par ailleurs, la ville d’Utique constitue également un pôle potentiel pour le développement du tourisme dit écologique. En effet, la plage « Coco » est d’une splendeur rare qui n’a rien à envier aux plus belles plages du monde. Certains la qualifie de Caraïbes, à seulement 2h30 d’avion des plus grandes capitales européennes. Ce joyaux tend à disparaître en raison de l’érosion provoquée par le rejet des eaux usées des localités de Ras Jbel, Ghar-el-Melh, Ousja et El Alia dans le lac de Ghar-el-Melh.

Autre aspect de l’éco-tourisme, celui du développement des maisons d’hôtes et de l’agro-tourisme.

A cet égard, plusieurs propriétaires de projets de cette nature sont venus partager leur expérience pour le montage de leur projet. « J’ai attendu 3 ans avant de pouvoir ouvrir mon projet à cause des lourdeurs administratives », indique Mme Ilhem Ben Chaouch, propriétaire de Dar Ezzmen.

En effet, en Tunisie, l’écotourisme pâtit encore d’un faible cadre juridique qui pousse de nombreux prolétaires de maisons d’hôtes à exercer en dehors du cadre légal.

Lors de cette conférence, ont été annoncés les ministres des Transports, du Tourisme et de l’Environnement… D’aucuns ne s’est déplacé, ou n’a pris la peine d’envoyer un représentant afin d’obtenir des réponses quant à leur vision pour ce gouvernorat. De son côté, le gouverneur de Bizerte, Samir Abdellaoui, s’est contenté d’un discours vantant les mérites de autorités sécuritaires et de l’administration, avant de repartir en refusant une demande d’interview de notre part.

Wissal Ayadi