Une campagne du CREDIF pour dénoncer la cyber-violence, « un vrai danger », selon une sexothérapeute

22-10-2020

Commentaires agressifs, harcèlement, insultes en ligne, vidéos embarrassantes, propos sexistes, dénigrement basé sur le physique et injures, mots blessants, agressivité, chantages et menaces de mort sur  Messenger…Des actes violents perpétrés par les internautes notamment sur les femmes dans l’espace numérique.

Il s’agit d’une « cyber-violence » qui gagne de plus en plus du terrain sur les réseaux sociaux, faisant ainsi de nombreuses victimes.

Pour lutter contre ce phénomène, le centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (CREDIF) a lancé une campagne digitale de sensibilisation en partenariat avec le Fonds des Nations Unies pour la Population en Tunisie, baptisée « la violence numérique est un crime ».

Cela vient après la publication des résultats d’une étude réalisée par le CREDIF en 2019, intitulée « la violence digitale à l’égard des femmes ». Menée sur un échantillon d’utilisatrices tunisiennes de Facebook, cette étude a montré que 49% des cyber-agresseurs sont des jeunes, et 96% de leurs victimes sont des femmes qui n’ont pas porté plainte.

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Dans ce sens, Najla Allani la directrice du CREDIF a dévoilé lors d’une interview accordée à Gnetnews, que la plupart des internautes femmes se sentent désormais dans un espace virtuel d’insécurité. « Contrairement aux agresseurs, étant cachés derrière leurs écrans, et souvent connectés avec des faux profils sous un pseudonyme, ils se situent dans une position de force. Ce genre d’option encourage ces « inconnus », à multiplier les agressions et le harcèlement en ligne, en toute impunité.

Pour éviter le scandale, généralement les femmes ne répondent pas aux insultes, a expliqué professeur Allani. « Elles optent pour l’évitement des conflits en supprimant l’agresseur de leurs listes d’amis. Ou tout simplement, elles créent un nouveau compte Facebook, et optent aussi pour l’anonymat », analyse-t-elle.

« Avec cette campagne, nous avons pour objectifs, d’informer les victimes  qu’elles peuvent suivre en justice leurs agresseurs. Il existe des procédures judiciaires pour se défendre contre la cyber-violence », a annoncé la directrice du CREDIF.

« Pour freiner ce fléau, les victimes sont appelées à prendre les discussions,  en captures d’écran, ainsi que les photos reçues, contenant des propos violents ou embarrassants, pour les montrer à un huissier-notaire. Ce dernier pourra ensuite poursuivre l’agresseur en justice en se basant sur des preuves solides. ».

Un autre objectif de la campagne « la cyber-violence est un crime », c’est de proposer l’amendement de la loi 58 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

« Cette loi ne criminalise pas la violence numérique. A long terme, nous visons de proposer à l’ARP un projet d’amendement de cette loi, afin de l’adapter à son nouveau contexte ».

« Dans le cadre de cette campagne également, il y aura des ateliers de conscientisation sur les dangers de la cyber-violence dans les milieux scolaires.

La directrice du CREDIF appelle aussi à intégrer dans le cours de l’éducation civique, un chapitre dédié aux retombées judiciaires de ce genre d’actes, afin de sensibiliser autant les agresseurs, que les victimes d’intimidation pour qu’elles dénoncent dorénavant les auteurs de ces actes.

Séquelles psychologiques de la cyber-violence  

En effet, la cyber-violence peut prendre 4 formes très courantes sur les réseaux sociaux. L’exclusion sociale, qu’elle soit volontaire ou involontaire, le « Flaming » (envoyer un message violent ou des insultes), le dénigrement, l’usurpation d’identité (Outing), et le Happy Slapping (une agression perpétrée avec l’intention de filmer une agression pour la montrer à d’autres).

Pour découvrir les séquelles psychologiques de ce genre d’agressions sur les internautes, nous avons fait appel à la sexothérapeute Rana Hamrouni, qui a souligné que les violences les plus commises dans l’espace virtuel et les réseaux sociaux en général sont d’ordre sexuel.

« Le nouveau phénomène sur les réseaux sociaux, c’est d’envoyer des « Nudes » (photos de nudité ou intimes) sur la messagerie privée, Messenger. Un échange très fréquent, et dont les victimes sont des femmes ou encore des hommes de toutes les tranches d’âge, et issues de toutes les classes sociales ».

La sexothérapeute, nous a confié qu’elle reçoit souvent des plaintes anonymes des victimes sur Facebook, qui sollicitent son aide. « Ces personnes n’osent pas se dévoiler. Elles sont bloquées par la culpabilité et la peur », nous indique-t-elle.

« En effet, le harcèlement sexuel dans l’espace virtuel, atteint directement la confiance en soi. De peur d’être dévoilée, ou de voir ses photos intimes circuler sur les réseaux sociaux, les victimes se taisent sous les menaces de leurs harceleurs. Elles s’isolent, plongent dans un sombre état d’esprit et vivent une boucle négative infinie… »

Pour pouvoir dépasser cet état d’esprit et reprendre le contrôle de la situation, Rana Hamrouni recommande aux victimes d’oser en parler à un professionnel.

Ceci leur évitera la dépression, ajoute-t-elle. « Dans la plupart de ces cas, les femmes victimes de cyber-violence ont peur de se confier à un proche, pour éviter les reproches qui ne font qu’aggraver le sentiment de culpabilité. Dans les cas extrêmes, cette réaction mène au suicide. D’autres développent une méfiance maladive dans le milieu professionnel et social en général ».

« Souvent, les patientes ayant vécu ce genre d’expériences, croient que c’est la fin du monde, car elles ne sont pas conscientes de leur pouvoir. Rares sont celles qui savent que la cyber-violence est un crime reconnu par la loi».

D’autre part,  la sexothérapeute a affirmé que les femmes ne saisissent pas clairement comment identifier le harcèlement.

 « Vu qu’elles reçoivent quotidiennement des remarques gênantes et parfois même des insultes dans la rue, venant de personnes de sexe masculin, elles ont appris à vivre avec, et à ne pas lutter. Pour préserver leur sécurité physique, elles préfèrent ne pas y prêter attention. Par conséquent, certaines tombent dans la banalisation de ces actes, et commencent à croire que ces agissements représentent la norme que ce soit dans l’espace public ou digital, d’où l’importance de conscientiser sur le danger de la violence digitale ».

Emna Bhira