Tunisie : Visite de Paolo Gentiloni, décryptage de Ezzedine Saïdane

28-03-2023

Aussitôt dit, aussitôt fait ! Il y a à peine une semaine, Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères annonçait la visite de Paolo Gentiloni en Tunisie afin de mener « une évaluation de la situation pour permettre à l’UE d’orienter ses mesures ».

Ainsi, hier lundi 27 mars, Gentiloni s’est entretenu avec le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, le ministre de l’Économie, Samir Saïed, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane El Abassi, la ministre des Finances, Sihem Nemsia, la cheffe du gouvernement, Najla Bouden et enfin le président de la République Kaïs Saïd.

Un marathon express duquel en est ressorti un message fort, celui de l’impératif d’un accord avec le Fonds monétaire international, comme l’avaient déjà signifié nombre de responsables occidentaux, à l’instar de Giorgia Meloni, Emmanuel Macron, ou encore Barbara Leaf.

Ezzedine Saidane, expert économique a bien voulu décrypter cette visite pour Gnetnews.

L’UE n’abandonnera pas la Tunisie…mais sous conditions

Les signaux européens en faveur d’un soutien à la Tunisie se sont multipliés ces derniers jours. Les premiers ont émané de l’Italie, qui a appelé l’Union Européenne à soutenir le pays afin d’éviter l’effondrement sur fond de la crainte des flux migratoires ; l’envoi de Paolo Gentiloni en Tunisie sonne comme une réponse  à ces appels.

« L’Italie a fini par réussir à se faire entendre au niveau de l’UE afin qu’elle prenne en considération sérieusement le cas de la Tunisie sur le plan économique et financier. L’Europe a compris aussi que les défis de la Tunisie sont économiques et surtout financiers », nous dit Ezzedine Saidane.

Paolo Gentiloni ne s’est pas seulement contenté de rencontrer les responsables, il a également fait une proposition, à la Tunisie. Il a déclaré que la Commission européenne était prête à envisager une aide macro-financière supplémentaire à condition que le Fonds monétaire international adopte un nouveau programme de décaissement. Or, les contours d’un accord de prêt avec le FMI demeurent encore flous, alors que les négociations durent depuis deux ans.

« Il s’agit d’un temps particulièrement long. Cette situation est due essentiellement à un problème de crédibilité vis à vis des bailleurs du fond et notamment le FMI. En 2013 nous avions obtenu un prêt avec un programme de réformes qui n’avait pas été respecté entrainant l’annulation du décaissement de la dernière tranche. En 2016, nous étions revenus vers le FMI avec une nouvelle Constitution, un nouveau gouvernement en promettant de respecter les engagements et nous avions obtenu une enveloppe de 2,9 milliards de dollars, mais encore une fois la Tunisie n’avait pas réussi à respecter ses engagements, ce qui à mené à une nouvelle annulation du décaissement de 1,4 milliards de dollars soit près de la moitié du crédit », rappelle Saidane.

Ainsi, avec ces antécédents, la question est de savoir si en 2023, la Tunisie est capable d’exécuter les réformes promises du programme sur la base duquel la Tunisie est parvenue à cet accord de principe signé le 15 octobre 2022.

« Force est de constater qu’il n’y a pas de réponse précise à cela.  D’abord La Tunisie arrive aujourd’hui avec une crédibilité largement entachée. Par ailleurs nous assistons à des discours contradictoires entre le gouvernement, d’un côté, qui négocie d’arrache-pied un accord avec le FMI et le président Kaïs Saïed qui rejette tout en bloc. Est ce que dans cette ambiance la, la Tunisie pourra-t-elle exécuter le programme de réformes? », s’interroge l’expert économique.

Kaïs Saïed doit décider

Contrairement à ce qui avait été révélé par l’agence de presse italienne Nova le lundi 27 mars, et relayé par des médias tunisiens, le  Commissaire européen à l’économie Paolo Gentiloni a bel est bien été reçu, par le président de la République Kais Saied. Fausse information ou rencontre de dernière minute, cette rencontre n’a pas fait l’objet d’aucune communication de la part de la présidence de la république.

Mais la rencontre entre le président Saïed et Paolo Gentiloni était inéluctable. En effet, il est indéniable de constater que l’Union européenne est bien consciente du fait que le dernier mot reviendra au chef de l’Etat tunisien.

« Tout le monde comprend aujourd’hui que tous les pouvoirs sont concentrés au niveau de la présidence de la république, et que donc Kaïs Saied est le seul à pouvoir engager la Tunisie dans un programme de financement avec le fonds. Et c’est pour cela que le FMI insiste aujourd’hui sur la signature du chef de l’Etat », nous dit Saidane.

En outre, les propos prononcés samedi 25 mars par Barbara Leaf, la secrétaire d’État adjointe américaine sur la question du dossier Tunisien au FMI n’est pas anodine. « Nous serions intéressés de savoir quel est le plan B ou C », avait-elle alors affirmé.

« Cette question a été posée au gouvernement à plusieurs reprises. La réponse a été de dire qu’il n’y avait aucun plan, et c’est très choquant sachant qu’on parle ici de l’intérêt d’un Etat. C’est donc la raison pour laquelle Paolo Gentiloni a demandé à rencontrer Kaïs Saïed», souligne Ezzedine Saidane.

La Tunisie ne figure toujours pas sur l’agenda du FMI

Selon Ezzedine Saidane, le dossier de la Tunisie a été « rejeté » et non pas « reporté » par le FMI, tout en insistant sur le fait que cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas revenir sur la table des négociations. « Les rencontres du printemps du fonds auront lieu le 10 avril et la Tunisie ne figure toujours pas dans l’agenda, c’est inquiétant. Je regrette que nous restions encore dans le déni pour des questions aussi importante et vitales », avertit Saidane.

« Le dossier  a été rejeté surtout parce que la Tunisie n’a pas réussi à mobiliser les ressources nécessaires pour compléter le financement du programme du FMI et avoir un total de ressources permettant de couvrir les besoins du  budget 2023. Ceci qui explique aujourd’hui la proposition de Gentiloni qui a annoncé que si la Tunisie parvient à un accord avec le FMI, alors l’UE sera disposée à proposer un macro-finacement supplémentaire. L’Europe comprend parfaitement les difficultés de la Tunisie à mobiliser les ressources nécessaires pour convaincre le FMI de sa résilience», ajoute-t-il.

Selon l’expert, il s’agit d’une proposition qui s’adresse à la fois à la Tunisie mais aussi au FMI et qui devrait faciliter le retour du dossier tunisien devant le fonds mais à condition que la Tunisie s’engage  clairement à exécuter les réformes.

« Sans réformes, un prêt du FMI aboutirait uniquement à faire gagner un peu de temps et à augmenter le niveau de la dette. Le but du FMI c’est d’aider les pays à ne plus avoir besoin du FMI. C’est un prêteur de dernier recours. Il faut donc que les financements soient utilisés de manière efficace pour sortir le pays de ses difficultés et faire en sorte qu’il n’ait plus besoin du FMI et qu’il puisse accéder normalement au marché financier international », conclut Saidane.

Wissal Ayadi