Un rapport dévoile les dysfonctionnements des projets PPP (Vidéo)

19-12-2019

Depuis 2011, les principaux projets d’infrastructure en Tunisie ont été réalisés grâce à ce qu’on appelle des « partenariats public/privé » ou PPP. Il s’agit pour l’Etat de financer des programmes, essentiellement liés à l’équipement, avec des fonds émanant d’entreprises privées. Si cette solution apparaît alléchante pour les finances de l’Etat, elle comporte néanmoins beaucoup de risques. C’est ce qu’on tenté d’analyser l’Observatoire Tunisien de l’Economie et EURODAD (Réseau européen pour la dette et le développement) à travers un rapport présenté ce jeudi à Tunis.

Il existe deux types de PPP. Le premier est appelé « Utilisateur/payeur » et il consiste à amortir le coût de l’investissement à travers les usagers (ex: Les autoroutes avec le système de péage). Le deuxième, « gouvernement payeur », comme son nom l’indique, oblige l’Etat à rembourser lui même son projet.

D’après Cécilia Gondard, de nombreuses zones d’ombres planent autour de ce financement pratiqué partout dans le monde.

En effet, elle explique que « depuis 2011, il y a eu des pressions concertées émanant du Groupe de la Banque mondiale pour intensifier les PPP en Tunisie ». D’après elle, les principaux problèmes sont:

Le manque de transparence dans la teneur des contrats qui soulèvent parfois des affaires de corruption
le manque de consultation avec la société civile
L’absence de concurrence. Les Etats ne sont pas en mesure de négocier les contrats face aux hordes d’avocats des multinationales qui élaborent eux même ces contrats
Les impacts sociaux, économiques et environnementaux qui ne sont pas évalués tout le long du projet

Ainsi, le rapport recommande de mettre fin aux PPP qui ne respectent pas les cadres légaux des pays, la reconnaissance par les institutions financière du piètre bilan des PPP, la mise en place de normes de transparence et enfin de consulter les populations dans l’élaboration des projets.

Etude de cas: l’aéroport d’Enfidha
Afin de mettre en lumière les problèmes liés aux partenariats public/privé, les auteurs du rapport ont choisi de prendre pour exemple le cas de l’aéroport d’Enfidha. Il s’agit du premier méga-projet réalisé dans le cadre d’un partenariat public-privé (utilisateur-payeur).

Il a montré que, malgré l’expérience difficile de PPP à l’aéroport d’Enfidha, la Banque mondiale et les bailleurs de fonds n’ont pas tiré les leçons de cet échec, et ont continué à soutenir des réformes visant à faciliter la conclusion de nouveaux PPP dans le pays.

L’experte a souligné que c’est le seul projet de PPP financé par le Groupe de la Banque Mondiale en Tunisie et promu comme exemple pour la région MENA.

D’après l’experte économique de l’OTE, Jihen Chandoul, l’entrée en exploitation de cet aéroport s’est faite dans un contexte économique peu favorable. En effet, la crise économique mondiale de 2008, suivie de la révolution tunisienne de 2011 et plus tard les attentats de 2015, n’ont pas permis à Enfidha d’atteindre les flux de touristes escomptés.

« L’aéroport accueille principalement les avions charters pour les touristes voyageant via des tours opérateurs, ce qui le rend extrêmement dépendant du tourisme contrairement à l’aéroport Tunis Carthage, qui accueille principalement des vols réguliers », nous explique Jihen Chandoul.

Au vue des difficultés, en 2010, le partenaire privé, TAV, a réclamé des ajustements concernant le partage des risques et a demandé à l’Etat tunisien et au Groupe de la Banque Mondiale une renégociation du contrat. « Cet exemple montre que dès l’élaboration du projet, il n’était pas viable. Une situation qui arrive souvent dans les contrats PPP », a-t-elle ajouté.

Le rapport montre également le manque de suivi du contrat de concession de la part de l’Etat tunisien.

Il préconise également une révision du cadre légal régissant les PPP.

A cet égard Atef Majdoub, Président de l’Instance Générale pour les PPP, a expliqué, « qu’un contrat PPP constitue en soi une complexité car c’est une mission globale. Il compte le financement, la construction, la conception, la maintenance et l’exportation. Il réunit au moins 4 à 5 corps de métier différents devant se coordonner entre eux. Il y a aussi des difficultés au niveau de la renonciation des contrats PPP mais cela est toléré dans plusieurs contrats.»

Il a, par ailleurs, confirmé que « les trois attentats terroristes qu’a vécus la Tunisie, ont frappé le tourisme, et ont aussi engendré la renonciation aux PPP. Concernant l’aéroport d’Enfidha, le dernier attentat de Sousse (2015), a entraîné la baisse du nombre de ses passagers. Et n’oublions pas que la phase de préparation de ce projet, n’a pas été étudiée convenablement, ce qui explique les mauvaises estimations qui ont mené à l’échec de ce projet. Â»

Reportage réalisé par Emna Bhira et Wissal Ayadi