Tunisie/ 01er Mai : Prestige, source de subsistance, valeur sociétale…un sociologue analyse les changements de la notion du Travail

30-04-2024

En ce 1er mai marquant la journée internationale du travail, il est opportun de se pencher sur la valeur du travail et les changements qui l’ont régie. Si le travail incarnait autrefois un accomplissement de soi, aujourd’hui cette notion a vu son sens se développer et changer considérablement.

Le sociologue Walid Omri nous offre un éclairage sur la nature changeante du travail en Tunisie. Pour lui, le travail va bien au-delà de la simple occupation ; il incarne également des notions de prestige et de valeur sociétale.

La valeur de l’emploi : entre prestige et rémunération

« Le travail est une activité destinée à améliorer son bien-être et le bien de la communauté. Cela peut aussi bien être un travail rémunéré, bénévole ou stagiaire ».

A cet égard, Walid Omri souligne l’importance de distinguer la valeur marchande d’un emploi de son prestige social. Il observe que certains emplois, bien que rémunérés de manière élevée, ne bénéficient pas du même prestige que d’autres, malgré leur contribution essentielle à la société. « Par exemple, les enseignants et les professionnels de la santé ne sont pas toujours récompensés à leur juste valeur, tandis que des emplois moins valorisés socialement peuvent être mieux rémunérés », nous dit-il.

« Aujourd’hui dans le monde du travail et le modèle capitaliste dans lequel nous vivons, ce fossé à tendance à se creuser de plus en plus. La société capitaliste donne plus de valeur aux personnes qui ne produisent pas grand-chose et peu de valeur à ceux qui transmettent un savoir ou apportent une vraie valeur ajoutée à la société. En Tunisie c’est le cas notamment des enseignants, du personnel de santé mais surtout les agriculteurs qui ne sont pas rémunérés à leur juste valeur alors qu’ils apportent un élément essentiel de la vie quotidienne qui est la sécurité alimentaire ».

Dans le contexte tunisien, Walid Omri affirme également que dans certains cas le travail est devenu un outil de maintien de la paix sociale. « Les gouvernements successifs ont souvent créé des emplois publics massifs pour apaiser les tensions sociales, reléguant parfois la véritable valeur du travail au second plan »

Évolution de la perception du travail

Walid Omri souligne un changement significatif dans la perception du travail en Tunisie, notamment chez les jeunes. Autrefois considéré comme un moyen d’ascension sociale, le travail est désormais perçu comme un moyen de subsistance, voire de survie, pour de nombreux Tunisiens. « La classe moyenne se désintègre progressivement, laissant place à une génération qui envisage le travail de manière différente, privilégiant la flexibilité, la mobilité et le bien être avant tout.

« Ce qui pousse la jeune génération à se désintéresser de l’école et à vouloir immigrer illégalement est le manque d’espoirs et d’indices économiques et sociaux positifs. Si on prend la génération Y, elle a vécu des changements rapides. Elle a une autre vision du travail et du marché de l’emploi. Si les générations précédentes pensaient qu’il suffisait d’aller à l’école pour avoir un travail, aujourd’hui ce n’est plus le cas car les possibilités se sont décuplées ».

Travail et intelligence artificielle : entre défis et opportunités

La pandémie de COVID-19 a accéléré l’adoption du télétravail en Tunisie, offrant de nouvelles perspectives sur la manière dont le travail peut être organisé et effectué. De nombreuses entreprises ont constaté les avantages du télétravail en termes de flexibilité, de réduction des coûts et de satisfaction des employés. Cependant, cette transition vers le travail à distance soulève également des questions sur la protection des travailleurs, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

« La révolution industrielle a permis la réglementation horaire du monde du travail laissant plus de temps libre aux travailleurs avec la mise en place du travail de 8h par jour que l’on connait encore aujourd’hui. Nous sommes passés d’emploi à une société de travail permettant d’instaurer une barrière entre la vie professionnelle et la vie privée. Or le télétravail qui a connu un développement important avec la crise du Covid-19 a remis en cause cela. Certaines personnes se sont retrouvée à travailler plus en télétravail plutôt qu’au bureau remettant en cause les avantages du télétravail en terme de bien-être », constate le sociologue.

Par ailleurs, l’avènement de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies pose de nouveaux défis pour le marché du travail tunisien. Si certaines professions risquent d’être automatisées, de nouvelles opportunités émergent également. C’est le cas notamment du domaine du commerce électronique. « La pandémie de COVID-19 a accéléré ces transformations, remettant en question les modèles traditionnels de travail et de vie », souligne Omri.

En cette journée du 1er Mai, il est essentiel de réfléchir à l’évolution du travail en Tunisie et aux défis qui se présentent à nous. L’intelligence artificielle et les nouvelles technologies offrent des opportunités passionnantes, mais exigent également une adaptation rapide. Il est impératif de repenser notre rapport au travail, de valoriser les emplois essentiels à la société et de créer un environnement propice à l’épanouissement professionnel et personnel de chacun. Le travail ne doit pas être simplement une nécessité, mais aussi un vecteur de dignité et de réalisation de soi pour tous les Tunisiens.

Wissal Ayadi