Initiation à la santé sexuelle : Programmes et méthodologies dévoilés lors d’une conférence nationale

23-12-2019

 « Le taux élevé des agressions sexuelles, que subissent les enfants dans les établissements scolaires, exige un enseignement scientifique de la santé sexuelle, dès les plus jeunes âges», a déclaré le ministre de l’Education, Hatem Ben Salem, lors de la conférence nationale sur « l’intégration de l’éducation à la santé sexuelle dans les établissements et programmes scolaires », tenue ce lundi.

Selon lui, « le programme d’initiation à la santé sexuelle est un pari civilisationnel pour la Tunisie. Il sera intégré à partir de la rentrée scolaire 2020-2021, suivant une approche progressive, dans 13 régions pilotes. Quant aux éducateurs et enseignants, ils recevront des formations diversifiées sur la santé sexuelle, durant l’été 2020 ».

A cet égard, le ministre de l’Education a indiqué que des experts nationaux de l’enfance, des inspecteurs, psychologues, médecins, et des hommes de religion participeront à la mise en place d’une formation dédiée aux enseignants, qui soit efficace, et qui apportera des solutions.

« L’objectif serait de fournir aux enseignants les méthodes pédagogiques nécessaires en vue de construire la personnalité de l’enfant sur des bases solides, de manière à l’aider à protéger son corps, et à garantir son intégrité physique et morale », relate-t-il.

Hatem Ben Salem a, par ailleurs, indiqué que « le ministère de l’Education a pris la décision de ne pas consacrer une matière à part entière, à l’initiation à la santé sexuelle. L’apprentissage sera plutôt intégré dans les cours des langues arabes et anglais, ainsi qu’à travers d’autres matières scientifiques ».

« Ce n’était pas une décision facile à prendre, car c’est un sujet sensible, considéré comme tabou. Mais il est temps qu’il soit traité ouvertement, loin des tiraillements idéologiques et des instrumentalisations politiques », a-t-il dit.

Ben Salem a d’autre part souligné avoir ressenti l’innocence des enfants, victimes d’agressions, à la lecture de leur réponses aux questionnaires réalisés par les inspections de l’enfance.

« Ceci m’a confirmé qu’il y a une grande ignorance du sujet de la sexualité », conclut-il en précisant que « l’objectif des cours serait d’abolir les préjugés et de faire de l’éducation sexuelle un tremplin pour prévenir les violences et les agressions, dues à l’accès précoce à Internet et aux réseaux sociaux ».

L’éducation à la santé sexuelle : programme et thématiques
En 2018, un comité d’experts a été mis en place en vue de développer un référentiel qui s’articule autour de huit concepts clés, destinés à être enseignés ensemble : relations interpersonnelles, valeurs, droits, culture et sexualité, genre, violence et sécurité, compétences pour la santé et bien-être, corps et développement humain sexualité et comportement sexuel,  santé sexuelle et reproductive.

Les objectifs d’apprentissage ont été définis en fonction de l’âge des jeunes. Ils suivent un ordre logique et se complexifient à mesure que les jeunes avancent en âge et gagnent en maturité, selon quatre tranches d’âge : 5-8 ans, 9-12 ans, 12-15 ans, et 15-18 ans et plus.

Le projet de la formation « a pour objectif d’apprendre aux enfants les valeurs humaines, comment réagir face à une agression ou demander l’aide, communiquer et dénoncer l’agresseur, la prise de position saine dans leurs vies sexuelles. Le programme vise également, à instaurer le principe du consentement, la prévention des grossesses non désirées et la sensibilisation aux maladies sexuellement transmissibles. »

Derbel a par ailleurs expliqué que « plusieurs études ont montré que cette approche  contribue à la baisse des agressions. Elle apprend à l’agresseur de se tracer des limites dans son contact avec les autres, et à l’agressé de comprendre les répercussions psychologiques et physiques des abus ».

La vice-présidente de la société tunisienne de sexologie, a également présenté un état des lieux de l’éducation sexuelle, actuelle, en Tunisie.

Le rapport a montré qu’il existe une seule leçon qui  « effleure » la question de la sexualité, dédiée aux élèves de la 9ème année. « Bien qu’il soit consacré à des adolescents, ce cours n’est pas suffisant, car il est focalisé sur la reproduction et le cycle menstruel uniquement ».

L’étude a révélé que la plupart des enfants évoluent dans un environnement, qui classe ce sujet parmi les interdits.

«Cette attitude pousse les jeunes à satisfaire leur curiosité et à obtenir des informations, secrètement de leurs paires. Ou encore ils comptent sur les sites pornographiques pour s’instruire sexuellement. D’autres enfants ont reçu leur première information sur les rapports physiques, d’une manière accidentelle, ce qui a eu impact perturbant sur leur psychologie ».

« Ces méthodes les désorientent malheureusement. Quant aux images et vidéos véhiculées sur internet, ils sont dans la plupart des cas concentrées sur le plaisir et le désir, et non pas sur les sentiments, l’amour et le respect de son partenaire. Elles incitent à la violence contre la femme, considérée comme un objet dans la majorité de ces contenus… », Analyse-t-elle.

Des chiffres alarmants sur l’éducation sexuelle des adolescents
L’analyste du programme jeune, Olfa Lazref, à l’Agence des Nations unies pour la santé et les droits en matière de reproduction, a par ailleurs noté que les adolescents et les jeunes n’ont pas d’informations sur la sexualité. Et, lorsqu’ils s’informent ils le font principalement à travers des sources non structurées.

Selon une enquête sur les connaissances, attitudes et pratiques en matière de protection de l’enfant (CAP), auprès des jeunes sur le Grand Tunis, menée en 2018 par le Groupe Tawhida Ben Cheikh en 2018, 61% des adolescents reçoivent leurs informations de leurs copains, 46% via internet, 30% de leurs enseignants, et 1% à travers les prestataires de santé.

Selon la même enquête, les derniers chiffres publiés entre 2018 et 2019, démontrent que « 18.5% des adolescents ne connaissent aucune méthode contraceptive. Soit 58% des jeunes filles n’ont pas d’informations sur la sexualité et 40%  n’ont pas assisté à un seul cours sur la puberté, les organes sexuels ou la sexualité ».

Selon l’INS, 15% des jeunes connaissent les moyens de prévention VIH. En milieu scolaire, 3.3% ont reconnu avoir été victime de violence sexuelle.

Emna Bhira