Torture en Tunisie : Les moins de 35 ans les plus touchés, l’impunité demeure !

26-06-2020

A l’occasion de la journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture le 26 juin, l’Association des Magistrats tunisiens, Avocats sans frontières, la ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), et l’organisation mondiale contre la torture en Tunisie (OMCT), dressent le bilan du chemin qui reste à parcourir pour garantir la préservation de la mémoire et mettre un terme au fléau de la torture et à la chape d’impunité qui le recouvre.

La justice transitionnelle : Un processus en péril

Lors d’une conférence de presse tenue ce vendredi à ce sujet,  le vice-président de la LTDH a confirmé que le processus de la justice transitionnelle en Tunisie reste fragilisé par une absence de « volonté politique » et de moyens nécessaires à son bon déroulement. En effet, plus de deux ans après l’ouverture du premier procès devant les chambres spécialisées en justice transitionnelle, aucun jugement n’a encore été rendu, a-t-il souligné.

« Les audiences ne cessent d’être reportées en raison de l’absence des accusés ou de leurs avocats ou du manque des moyens humains et financiers alloués aux chambres pour mettre en œuvre leur mandat, notamment en soustrayant leurs magistrats au mouvement de rotation annuelle et en les déchargeant davantage de tâches annexes. »

La lenteur des procès n’est qu’un obstacle parmi d’autres auxquels sont confrontées les chambres spécialisées. Des accusés se soustraient à la justice avec l’aide d’agents de la police judiciaire et l’encouragement de syndicats de police, des affaires nécessitent un complément d’enquête…Les défis sont nombreux mais doivent impérativement être surmontés, précise-t-il.

La persistance de la violence institutionnelle

L’usage de la torture est moins systématique qu’avant la révolution, mais elle continue d’être fréquemment employée à l’encontre de victimes aux profils divers, a souligné Ragheb Zouaoui consultant à l’ONG avocats sans frontières.

Ainsi, les cas de torture et mauvais traitements exercés par des agents de la police, de la garde nationale ou de l’administration pénitentiaire à des fins punitives demeurent nombreux.

« Selon l’expérience de nos associations, ces pratiques peuvent concerner n’importe quel citoyen tunisien violenté à la suite d’une dispute avec un policier ou un agent pénitentiaire dans le cadre de l’exercice de ses fonctions (lors d’un contrôle routier, à l’issue d’un match sportif ou en prison), mais aussi en dehors de celle-ci. »

D’autre part, en 2016, l’assemblée des représentants du peuple, a adopté la loi n°2016-5 prévoyant la présence de l’avocat pendant la garde à vue. La mise en œuvre de cette mesure est loin d’être satisfaisante. « La plupart des personnes qui ont été victimes de violences durant la garde à vue, n’ont pas eu accès à un avocat ».

Ragheb Zouaoui a appelé également la classe politique  à changer son discours par rapport à ces violations, dans le but de sortir de sa neutralité et réorienter ses positions, pour encourager la lutte contre la torture.

D’autre part, Zouaoui a indiqué que la lutte contre l’impunité reste un processus jalonné d’obstacles.

« La poursuite des crimes de torture et de mauvais traitements reste souvent caractérisée par une lenteur et un manque de diligence, malgré le fait qu’il s’agisse d’un crime imprescriptible représentant une violation grave des droits humains qui doit faire l’objet d’une enquête immédiate et de poursuites promptes ».

A ce sujet, Mokhtar Trifi, chef du comité de défense de Lina Ben Mheni, a indiqué que dans l’affaire de la violence extrême subie par Lina Ben Mhenni et Amina Sboui en 2016, les deux agents de police qui ont commis ces maltraitances, ont été jugés par contumace, et condamnés à un an de prison en 2020, après 4 ans « .

Les jeunes représentent la majorité des victimes de la torture en Tunisie (OMCT)

Najla Talbi, directrice du programme SANAD d’assistance pour les victimes de torture de mauvais traitements et de violence institutionnelle à l’OMCT a révélé que 350 personnes ont dénoncé ce genre de violence en 2019.

Elle a souligné que SANAD a assuré la prise en charge de torture et/ou de mauvais traitement de 33 femmes en tout, et 50 hommes en 2019.

 Selon le rapport annuel de l’OMCT sur la torture en Tunisie, la majorité des victimes appartiennent à une tranche d’âge de moins de 35 ans. Ces personnes sont particulièrement vulnérables à la torture lors de leurs arrestations, gardes à vue et détentions.

1/3 des personnes qui ont contacté SANAD ont été soumises à des mesures de contrôle administratif (S17) appliquées par le ministère d’intérieur  sur les personnes suspectes durant leurs déplacements sur le territoire national et à l’étranger.

13 ont été soupçonnées par le ministère de l’intérieur d’être en relation avec des affaires de terrorisme. Et, deux autres personnes purgent leurs peines pour des affaires de terrorisme et ont subi de la torture dans le but d’extorquer des aveux et des informations.

Certains jeunes, détenus pour des affaires de droit commun (vol et braquage), souffraient de problèmes médicaux et psychiatriques et n’ont pas eu droit aux soins nécessaires. D’autres bénéficiaires ont subi des violences au sein de leur domicile lors de descentes policières, dans le but d’obtenir des informations sur leurs proches recherchés…

Emna Bhira