De Tunis à l’Ariana : Cadre dégradé, politique de propreté défaillante, mais actions citoyennes louables (Enquête)

17-06-2021

Poubelles qui débordent, rues jonchées de détritus, dépôts sauvages à tous les coins de rue… Le constat est sans appel : Tunis est sale!

Il suffit de se promener à travers la capitale pour observer que les déchets envahissent nos artères. Plastiques, cartons, sachets, déchets ménagers ou industriels et plus récemment masques chirurgicaux, ils sont partout et détériorent de plus en plus le paysage urbain de la ville.

Comment Tunis en est arrivé à ce niveau de saleté ? Comment fonctionne le nettoyage des rues et le ramassage des ordures ménagères ? Nous avons voulu en savoir plus sur une situation alarmante à l’heure ou l’hygiène est plus que de rigueur.

La ville de l’Ariana

La propreté est une compétence relevant des municipalités. Ces dernières sont chargées du nettoyage des rues et du ramassage des poubelles. Nous avons choisi de nous balader dans les rues de la ville de l’Ariana. Une des communes les plus peuplées du Grand-Tunis réunissant à la fois des quartiers résidentiels composés de villas luxueuses et de quartiers plus populaires.

Les bennes situées sur les routes servant a recueillir les poubelles des citoyens sont pour la plupart cassées, parfois même renversées, les sacs en plastiques sont éventrés par les chats, laissant apparaître une odeur nauséabonde qui risque de s’accentuer avec la chaleur de l’été.

Les parcelles de terrains vides sont devenues des décharges pour les déchets industriels ou ménagers, les transformant en points noirs.

Ce constat nous laisse croire parfois que le ramassage et le nettoyage sont quasi inexistants.

Afin de comprendre comment fonctionne les services de la propreté de la ville, nous avons contacté la commune de l’Ariana.

Lotfi Dachraoui, Directeur de la propreté et également coordinateur du réseau des villes tunisiennes sur la question de la gestion des déchets, a bien voulu répondre à nos questions. 

D’abord, il nous explique que la production de déchets est constituée des déchets verts, solides, ménagers, encombrants et saleté des rues. Il y a une manière de traiter, chacun de ces déchets.

Dans un premier temps, il y a le balayage des rues. Il est réalisé de façon manuelle ou mécanique. Faute d’engins suffisants, ce balayage est effectué à 70% de manière manuelle nous indique M. Dachraoui. « Malgré nos efforts nous n’arrivons pas a régler totalement le problème de propreté des rues. D’abord parce que nous n’avons pas les moyens humains suffisants, ensuite les petites poubelles urbaines extérieures sont inexistantes, ce qui pousse les gens à jeter leurs détritus par terre », nous dit-il. A cet égard, il ajoute que seulement 40% de la ville est couverte par les opérations de balayage.

Lotfi Dachraoui / Directeur de la propreté à la ville de l’Ariana

Pour les encombrants (meubles, électroménager et objet volumineux), un programme spécifique a été mis en place par la commune de l’Ariana. Ainsi, un engin a été dédié pour ce genre de déchets et le repassage est effectué chaque dimanche.

Les déchets industriels sont également un véritable cauchemar pour les services de  propreté. En effet, des entreprises sans scrupules n’hésitent pas à déverser leurs gravats et autres matériaux sur les terrains vagues. D’après Lotfi Dachraoui, il faudrait créer des points de dépôt officiels afin de lutter contre ce fléau.

En ce qui concerne les déchets verts, la ville de l’Ariana a décidé d’investir dans des engins de broyage qui permettent de procéder à leur valorisation. Ainsi, il est possible pour les particuliers de faire appel aux services municipaux afin de faire enlever les déchets de leurs jardins. Un service payant qui permet de recycler ces déchets et de diminuer leur impact environnemental.

« Grâce à cette stratégie, aujourd’hui nous valorisons nos déchets verts à hauteur de 40% », affirme Lotfi Dachraoui.

Mais le plus gros des problèmes réside dans la gestion des déchets ménagers. En effet, ils constituent le plus gros de la pollution urbaine de la ville. Leur ramassage s’effectue de deux manières : le porte-à-porte et les bennes présentes sur les grandes artères.

Selon le directeur de service de la propreté de la commune de l’Ariana, la situation est alarmante et il faut absolument élaborer une nouvelle stratégie. « D’abord il faut que l’on trouve une solution pour faire disparaître les bennes en fer qui pourrissent nos rues ». En effet, qui n’est jamais passé devant une poubelle cassée, sale, ou renversée ? Pour Dachraoui, alors qu’elles sont censées contenir les déchets, leur emplacement devient petit à petit un point noir, c’est à dire une zone où le taux d’insalubrité a atteint un niveau maximum.

« Nous avons besoin d’un cadre légal afin de gérer le ramassage des ordures ménagères ». Lotfi Dachraoui fait référence aux heures de dépôt des ordures qui n’est pas organisé et qui ne colle pas forcément avec le passage des éboueurs.

A noter que la commune de l’Ariana dispose de 145 agents dédiés à la propreté, 39 engins dont 12 camions de ramassage, 1360 poubelles et 162 points noirs.

Importance de la société civile

C’est ici que le rôle de la société civile prend tout son sens. En effet, le civisme est la première clé pour une ville propre. Faute de stratégie et de politique de propreté émanant du ministère de l’Environnement et des Affaires locales, le dépôt des poubelles se fait de façon anarchique. Pour exemple, il suffirait d’imposer des heures de sortie des poubelles aux citoyens, pour éviter qu’elles s’entassent toute la journée.

Dachraoui nous explique que la collaboration avec les habitants de la ville est essentiel. « Il faut une relation de confiance entre les citoyens et la commune ».

A l’Ariana, il y a un quartier qui a compris ce principe et qui a décidé de s’engager auprès de la collectivité afin d’assurer la propreté de ses rues. Il s’agit de la zone de Riadh El Andalous, composé à la fois d’immeubles et de villas.

Bassem Jmal, est le secrétaire général de l’Association des habitants de Riadh El Andalous. Engagé pour son quartier, il organise plusieurs fois dans l’année des opérations de nettoyage. En deux ans, pas moins de 50 opérations ont été faites afin d’embellir les rues. Cela passe par le nettoyage, le jardinage, la peinture, etc.

Et la collaboration entre l’association et la municipalité est allée encore plus loin. Bassem Jmal nous explique que les deux parties se sont mises d’accord pour éliminer les bennes en fer afin de procéder à un ramassage nocturne. Ainsi, les habitants ont procédé à un achat groupé de poubelles murales, plus esthétiques et plus propres.

Ils ont également eu la possibilité d’avoir les coordonnés des chauffeurs des camions poubelles afin de signaler en cas de non ramassage des sacs poubelles. « C’est un vrai signe de confiance entre les habitants et la municipalité et c’est un système qui a fait ses preuves », nous dit Bassem Jmal.

Peu de moyens et de ressources

La propreté a un coût au niveau des ressources humaines et des équipements. Pour la ville de l’Ariana ces derniers représentent un budget de 4 milliards de dinars.

Ce budget est financé par une subvention de l’Etat et par la fameuse taxe « zebla et kharrouba ». Et c’est cette taxe qui pose le plus de problème. En effet, Lotfi Dachraoui nous explique que seul 30% de la population s’en acquitte faute de contrôle par les services financiers.

Décentralisation et intercommunalité

Le processus de décentralisation engagé par l’Etat a laissé apparaître en 2018, la création de 86 nouvelles municipalités et 187 extensions. Pour autant, les moyens alloués à ces nouvelles villes par l’Etat ne sont pas suffisants.

Adnen Bouassida, est le maire de Raoued et le président du Réseau nationale des villes tunisiennes. Sa ville a connu une extension de son territoire. Il explique qu’il dispose aujourd’hui des mêmes moyens qu’avant l’extension pour assurer les services publics et notamment le nettoyage. « Jusqu’à aujourd’hui, on ne nous a rien donné. Nous manquons cruellement d’effectif et de matériel pour couvrir les 1400 km de voirie », déplore-t-il.

 

Ainsi avec d’autres communes voisines, il a décidé d’entamer une campagne nationale pour une dynamique intercommunale. « Un week-end tous les trois mois, nous allons avec l’aide de la Soukra et de l’Ariana notamment aider une autre ville dans une opération de nettoyage », indique Bouassida. Cette campagne a été appelée « Grand ménage ». « Cette dynamique nous l’avons lancé sans aucune aide de l’Etat », ajoute-t-il.

Il s’agira également de mettre en place des campagnes de sensibilisation, et de financer de nouveaux équipements comme l’installation de tablettes connectées et de GPS dans les camions de ramassage.

L’intercommunalité est un des axes central pour la réussite du processus de décentralisation. Face à l’immobilisme des pouvoirs publics, de nombreuses communes ont décidé de se réunir afin de s’entraider et de mettre un terme à la saleté à Tunis.

Wissal Ayadi