Entretiens avec des « influenceuses littéraires », Sarah et Zeyneb militent pour la démocratisation de la culture sur Instagram

15-04-2021

Alors qu’on pensait qu’internet allait tuer le livre, les créateurs de contenu, appelés aussi « influenceurs » ont prouvé le contraire via les réseaux sociaux qui nous font désormais découvrir des pépites littéraires…La plupart sont des femmes, appelées aussi « influenceuses littéraires » ou encore « Bookstagrameuses », dont certains affichent plus que 10 000 abonnés. Leur objectif est de démocratiser la culture, inciter à la lecture, pousser à la réflexion sur des sujets de fond, de société, politique, écologie, art et actualités…Rencontre avec quelques-unes de ces instagrameuses !

Sarah Ben Ali, « Bookstagrameuse », 10.7K

Cette jeune femme de 28 ans, est l’une des personnalités les plus suivies sur l’application Instagram, avec une communauté virtuelle de 10 700 abonnés. Diplômée en droit international à l’Université Lille 2 (Paris), elle a lancé son compte Instagram en 2018, lorsqu’elle a obtenu son second diplôme, de l’École supérieure de journalisme (Paris).

A travers son compte, Sarah partage ses revues littéraires, parle de livres qu’elle a lus et qui l’ont marquée. Elle se penche sur des sujets audacieux, fait découvrir à ses abonnés des concepts nouveaux apparus dans la société moderne, comme la misandrie, la question de l’égalité entre les sexes, et d’autres causes politiques en lien direct avec la réalité tunisienne.

En l’interrogeant sur son idée de départ pour lancer son compte culturel, elle affirme que son objectif n’était pas du tout de générer le plus de « vues » possibles sur ses stories et devenir « influenceuse ».

« J’avais l’intention de développer mes compétences de communication, la prise de parole en public dans de courtes stories éphémères, pour réussir mon métier d’avocat consistant à faire des plaidoiries, ainsi que mon métier de journaliste socio-culturel dans lequel interviewer ses interlocuteurs est un passage nécessaire. Mon premier défi était donc d’oser parler devant une caméra, s’adresser à un public et pouvoir l’impacter », nous confie-t-elle.

En parlant de son deuxième défi qu’elle s’est tracée, Sarah voulait également partager son amour pour la lecture, en se basant sur  son bagage intellectuel, qui lui permit  de construire une approche instructive pour parler de problématiques concernant les droits humains,  les normes sociales, la sexualité, des concepts de psychologie, le cinéma engagé, et même quelques courants musicaux ayant marqué l’histoire.

Contrairement aux « instagrameuses » qui exercent le métier de commerciale via instagram avec la promotion de produits issus des grandes industries alimentaires, de la mode, les bookstagrameurs travaillent sur une seule niche, celle de la culture.

« Sachant que le secteur  du livre est fragilisée par la crise économique, lire est devenu un luxe, d’une part à cause de la cherté des bouquins, et puis il faut trouver le temps, le calme et la concentration pour pratiquer cette activité intellectuelle d’une manière continue… », nous explique l’influenceuse.

Il faudrait peut-être penser à changer les mentalités, grâce aux influenceurs littéraires pour revaloriser la place de la culture chez les générations futures.

A ce sujet, Sarah Ben Ali est revenu sur un évènement qui a suscité la colère des internautes, celui de l’invitation d’une instagrameuse de mode et de beauté, très suivie sur Instagram, pour faire la promotion de « la foire de la ville de Tunis pour la littérature et  le livre ».

En nous expliquant la source de la polémique qu’a engendrée cette apparition, la bookstagrameuse nous a dévoilé qu’il s’agit d’une personnalité publique controversée ayant publié des propos misogynes, xénophobes… incitant à la haine, sur sa chaine Youtube.

« Dans un Etat où l’égalité entre les sexes, ainsi que la lutte contre la violence faite aux femmes sont constitutionnalisées, c’était une faute grave de faire ce choix d’invité »,a-t-elle déploré.

Zeyneb Hammi, Bookstagrameuse, 12.4K

Zeyneb est aussi une influenceuse littéraire ayant lancé son compte Instagram en janvier 2018. Elle a obtenu un master 2 en littérature française de l’Institut supérieur des Sciences Humaines de Tunis. Actuellement, elle occupe le poste d’enseignante de langue française dans un établissement scolaire privé.

Après son intégration dans la vie professionnelle, elle a voulu reprendre goût à la lecture et y consacrer du temps malgré ses nouveaux engagements de femme active. Son idée, était de rejoindre cette communauté virtuelle, passionnée par les livres et la culture en général, pour se remotiver.

 A sa surprise, les interactions avec les internautes étaient très positives. Zeyneb a même reçu l’encouragement de plusieurs personnalités publiques et d’intellectuels notables en Tunisie, sur ses revues littéraires et ses analyses d’ouvrages. Avec le temps, elle a cumulé 12 400 abonnés !

Cette jeune lectrice nous a dévoilés aussi que sa communauté est composée en majorité de femmes.  Un constat confirmé également par l’influenceuse Sarah Ben Ali, qui nous a indiqué aussi que les hommes s’intéressent plus aux revues cinématographiques et aux supports audiovisuels…

Le public de Zeyneb est âgé de 20 à 40 ans, ils lisent plus en arabe ou encore en anglais. Ce qui n’est pas le cas de Sarah, qui s’adresse à un public plutôt composé de Tunisiens francophones. Chacune ayant une communauté à part entière, dont le contenu définit son profil.

Dans notre entretien avec Zeyneb Hammi, elle nous a confié qu’elle a réussi à inciter plusieurs de ses abonnés à lire. « Je reçois des messages tous les jours qui me remercient d’avoir recommandé un tel ouvrage ou un tel film. D’autres me contactent pour discuter des idées d’un bouquin, ou pour s’informer sur d’autres ouvrages.

Le plus important, c’est que notre génération est en train de lire, nous rassure-t-elle, contrairement à ce que disent les préjugés. « Malgré la cherté de ce produit culturel, notamment les dernières sorties des maisons d’édition étrangères, les jeunes dénichent leurs livres chez les bouquinistes, ou bien s’inscrivent dans des bibliothèques publiques pour accéder à une certaine bibliographie… ».

Zeyneb a  créé aussi son blog littéraire, dans lequel elle archive ses avis sur différents livres qu’elle a eu le plaisir de lire. « Cette passion pour l’écriture me rattrape toujours, d’où mon ambition de devenir un jour journaliste », nous confie-t-elle. A force d’avoir autant de choses à partager, cette passion m’a permis également, d’attirer cette communauté des milliers de gens, qui sans eux, je n’aurais pas cette notoriété, même si elle demeure virtuelle, conclut la jeune « bookstagrameuse ».

Emna Bhira