85% des Tunisiens pensent que la stratégie nationale anticorruption est instrumentalisée, selon une étude

09-12-2021

A l’occasion de la Journée internationale de lutte contre la corruption célébrée le 09 décembre, la fondation Friedrich-Ebert-Stiftung a organisé un séminaire sur la thématique suivante : « Vers de nouvelles approches de mesure de corruption ».

A cet effet, Kamel Ayadi ancien ministre de la fonction publique et de la gouvernance, a publié une étude  intitulée «  La lutte anticorruption, ou le combat biaisé ». Il s’agit d’une enquête ayant pour objectif est de mettre en évidence les conséquences et les effets de l’approche nationale anti-corruption sur le climat de la gestion des marchés publics, ses avantages et ses effets collatéraux.

Cette étude est basée sur des questionnaires, réalisés auprès d’anciens ministres, directeurs généraux et DGA, qui représentent 65% des personnes interrogées. 35% sont d’autres intervenants sont âgées de plus de 20 ans, et sont issues, de milieux professionnels et sociaux différents.

D’après les résultats de cette étude élaborée par le spécialiste des politiques de gouvernance, il a été confirmé que la stratégie nationale de lutte contre la corruption est défaillante vu que 68% des experts interrogés, pensent que l’approche déployée par l’Etat, n’a pas permis de réduire le niveau de corruption. 71% considèrent que les conséquences de l’approche, dépassent ses bénéfices.

« Le cout dépensé pour lutter contre ce fléau dépasse le cout de la corruption évitée », a conclu Kamel Ayadi.

Par ailleurs, près de 84% des personnes questionnées pensent que le cadre réglementaire a limité la prise d’initiative auprès des entreprises publiques. 68% pensent que la réglementation a introduit plus de rigidité et de bureaucratie. 85% ont peur des conséquences de leurs décisions à cause du contexte général, socio-politique. 78% pensent que le cadre réglementaire a réduit le niveau de confiance dans les structures publiques. Contre une majorité de 90%, qui pense que l’approche réglementaire privilégie le respect des règles au détriment de la réalisation des objectifs

En revanche, la stratégie nationale de lutte contre la corruption, a enregistré des effets positifs sur différents secteurs d’après cette enquête.

Près de 64% des experts pensent que le cadre réglementaire des marchés publics, a un effet important dans la lutte anticorruption. Près de 63.5% pensent la même chose sur la loi sur l’accès à l’information. 59% pensent que la corruption a diminué dans les recrutements et 53% pensent que la corruption a diminué dans les secteurs de contrôle, d’inspection et de magistrature. Pourtant la Tunisie occupe toujours la 69ème place dans le classement international de l’indice de perception de la corruption sur l’ensemble des 180 pays, selon le dernier rapport de l’organisation « Transparency International ».

Instrumentalisation de la lutte anticorruption 

En effet, avec l’absence d’instruments crédibles de lutte contre la corruption, la stratégie nationale mise en place serait instrumentalisée, et utilisée comme étant un outil de mobilisation des troupes, a expliqué le consultant en stratégies de gouvernance.

« Bien qu’elle occupe une place importante dans le débat national, la lutte contre la corruption est devenue une composante d’un discours rhétorique, qui s’appuie sur des jugements irrationnels. Cette gestion par l’émotion a entrainé la perte de crédibilité par rapport aux efforts déployés dans la stratégie nationale. Il s’agit désormais d’une approche biaisée, ayant conduit à un combat biaisée », a-t-il conclu.

Selon l’ancien ministre de la Fonction publique, le début de la dérive a commencé quand l’Etat a décidé d’assouvir la curiosité de l’opinion publique, en dévoilant des informations qui aurait pu rester confidentielles, au lieu de se contenter de dévoiler les résultats des indicateurs de mesure internationaux et des outils d’évaluation.

Résultat, l’opinion publique est restée figée dans des convictions rigides par rapport à l’augmentation de la corruption. Selon la population, c’est une approche contreproductive, qui a des dégâts collatéraux, a déploré Kamal Ayadi.

Selon l’étude « La lutte anticorruption, ou le combat biaisé »,  plusieurs pensent que la stratégie nationale n’est qu’une instrumentalisation politique, utilisée par des personnalités publiques pour atteindre une certaine notoriété, ou pour réaliser des intérêts politiques et personnels.

 D’ailleurs, 85% des  Tunisiens pensent que la corruption est souvent évoquée par les politiques sans la combattre réellement. Ainsi que 53% de ces derniers, pensent que les lois sont déconnectées du contexte économique et socio-culturel tunisien, ou sont conçues d’une manière populiste et non pragmatique. L’absence des chiffres en ait la meilleure preuve, a-t-il conclu.

Emna Bhira