Les Tunisiennes face aux violences : les formes, et les raisons, selon une experte

22-06-2020

Peur de l’avenir, espace réduit, promiscuité… Le confinement a provoqué de nombreuses séquelles désastreuses dans certaines familles. Parmi elles, on retrouve les violences à l’égard des femmes. En effet, depuis le début de l’isolement obligatoire en Tunisie, les appels concernant des agressions dans les foyers conjugaux ont ont été neuf fois plus importants que dans une période normale. Qui sont-elles ? Quelles sont les difficultés auxquelles elles ont du faire face pendant le confinement ? Et quelles ont été les solutions pour leur venir en aide ? Hanene Benzarti, chargée de la lutte contre la violence à l’égard des femmes  « Programme Egalité  » au ministère de la Femme a bien voulu répondre à ces questions.

Numéros verts : 9 fois plus d’appels pendant le confinement

« Nous savions que l’annonce du confinement obligatoire allait augmenter le risque de violences conjugales et donc nous nous sommes préparés », nous explique Hanene Benzarti. Ainsi, deux numéros verts ont été mis à la disposition des femmes en cas d’agression. Le 1899 (violences envers les femmes) et le 1809 (violences envers les enfants). Si avant le confinement ces deux numéros fonctionnaient en horaire administratif, dès le mois de février, ils ont été mis en service  24h/24. « Nous avons fait appel à des associations afin d’assurer un service continu », indique Mme Benzarti.

Et les effets de cette décision ne se sont pas fait attendre. Dès le 23 mars (premier jour du confinement), les appels ont été plus importants. Entre le 23 mars et le 31 mai, 9800 appels ont été enregistrés sur les deux numéros, soit neuf fois plus qu’en temps normal. Hanene Benzarti explique que ce phénomène est du au manque d’espace, à la privation de certaines libertés mais aussi à la peur de lendemain, surtout vis à vis du chômage.

Un autre phénomène a été noté pendant le confinement. Celui de l’augmentation du nombre de « lanceurs d’alerte ». il s’agit de personnes qui ont été témoins de violences conjugales. Si à l’égard des enfants, la non-alerte est considérée comme un délit, pour les adultes ce n’est pas le cas.

 

Quelques chiffres

Parmi ces 9800 appels, 2700 ont concerné des affaires de violences. Et ces violences revêtent plusieurs aspects. A cet égard, il a été relevé que 90% des appels ont fait l’objet de violences verbales, 80% de violences psychologiques, 76% de violences physiques, 37% de violences économiques, 22% de violences sur les enfants et enfin 17% de violences sexuelles.

« Nous avons pu établir ces statistiques qui sont très importants grâce à un système de suivi numérique », indique la responsable du ministère.

Il est à noter que 80% des appels proviennent de femmes mariées et dans 78% des cas, l’époux est l’agresseur.

En effet, les violences conjugales n’émanent pas forcément du mari. Dans certaines familles, il peut s’agir d’un membre de la famille, comme le frère, l’oncle ou encore le beau-père ou la belle-mère.

Si dans l’imaginaire collectif, ce genre de situation n’arrive que dans des régions reculées et dans des foyers défavorisé, en réalité la violence à l’égard des femmes touche toutes les catégories. Hanne Benzarti affirme que de plus en plus d’affaires ont lieu dans des milieux aisés et ou la femmes dispose d’un certain niveau d’éducation.

Par ailleurs, notre interlocutrice affirme que depuis le début du déconfinement le taux de signalement des violences contre la femme est revenu à son rythme normal de 2019.

Foyers d’accueil

La Tunisie dispose à ce jour de 4 foyers d’accueil pour les femmes victimes de violences. Pendant le confinement, un cinquième centre a été ouvert. Ce centre sert de transit. Les femmes qui y sont hébergées y passent une période de quarantaine de 15 jours afin d’éviter les contamination lors de leur transfert vers les autres foyers. « Nous avons ouvert ce centre dès le 2 avril et il affichait déjà quasiment complet », nous dit Hanene Benzarti.

Mais l’accueil dans les foyers n’est pas facile a organiser en temps de confinement. L’interdiction de se déplacer entre les gouvernorats a rendu la chose très difficile. Ainsi, un système de coordination entre le ministère de la Femme et celui de l’Intérieur a été mis en place. « Lorsque nous devons aller récupérer une femme, c’est la police qui s’en charge. Nous la conduisons soit vers nos centres ou dans un autre endroit de son choix ».

Dans le centre provisoire, les règles sanitaires sont très strictes pour éviter tout risque de contamination. Les résidentes ont l’interdiction de se rendre visite dans les chambres. Leur seul contact est celui fait lors de la distribution de la nourriture et du ramassage du linge effectué par les bénévoles associatifs qui s’occupent du centre.

« Nous avons même reçu des femmes étrangères. Il s’agissait d’une subsaharienne qui a été virée de son logement par le propriétaire et une algérienne victime de violences conjugales », relève la responsable du ministère.

Une fois la période de « quatorzaine » terminée, s’offrent à elles deux choix : soit elles décident de rentrer chez elles, soit elle est prise en charge dans un des 4 foyers permanents du pays.

« Notre rôle n’est pas de leur imposer une décision, mais de les orienter », insiste Benzarti.

Plaintes et procédures pénales

Une autre problématique de taille s’est posée pendant le confinement, celle d’une éventuelle procédure pénale. De nombreuses femmes se sont retrouvées dans l’incapacité de se rendre dans un poste de police pour porter plainte à cause de l’interdiction de sortir. « Pour celles qui veulent se rendre au poste de police, nous avons aussi coordonner une procédure de transport avec le ministère de la l’intérieur », explique Hanene Benzarti. Encore faut-il que ces femmes aient un accès au téléphone.

Quand celles-ci ont réussi à porter plainte, la partie est encore loin d’être terminée. En effet, avec l’annonce du confinement obligatoire, les tribunaux ont cessé de fonctionner, laissant de nombreux dossiers en attente. Pour autant, notre interlocutrice nous explique, que les plaintes pour violence envers les femmes ont été traitées en priorité dès la réouvertures des salles d’audiences, là aussi grâce à un travail transversal entre le ministère de la Femme et de la Justice.

Donner plus de moyens pour la lutte contre la violence faite aux femmes

Si depuis 2017, la Tunisie est dotée d’une loi relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes, il reste encore de nombreux efforts à faire sur le terrain. Tout d’abord en moyens humains. Hanene Benzarti déplore le fait que seulement 5 personnes sont chargées de répondre aux appels des numéros verts. « Nous devons recourir aux bénévoles des associations pour combler le manque de personnel », dit-elle.

D’après elle, il faut également augmenter le nombre de centres pour femmes en difficultés. Aujourd’hui, il n’existe que seulement 4 centres sur tout le territoire, et une seule personne par gouvernorat est dédiée au dossier des violences faites aux femmes. « Nous avons besoin de formations, de numériser les outils de travail, développer le réseautage et le référencement enfin nous devons travailler de concert avec les différents ministère», souligne Benzarti. Elle ajoute que son département a besoin de plus de budget pour faire de la sensibilisation et de la prévention auprès des femmes.

Wissal Ayadi