Tunisie : La société civile présente son rapport alternatif sur les droits civils et politiques

27-02-2020

« La justice transitionnelle, la torture, la surpopulation carcérale, l’indépendance du pouvoir judiciaire sont les sujets du rapport alternatif élaboré par la société civile à l’occasion du passage de la Tunisie devant le Comité des droits de l’Homme de Genève dans le cadre de l’examen du sixième rapport périodique en application de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques », a annoncé Jamel Msallam, président de la ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), lors d’une conférence de presse tenue ce jeudi à Tunis.

«Ce rapport alternatif a pour objectif de dénoncer les manquements de la Tunisie concernant la mise en œuvre de la convention contre la torture, notamment l’inéquation du cadre législatif, la persistance de la pratique tortionnaire, moins systématique qu’à l’époque de l’avant révolution, mais qui demeure tout de même préoccupante », a souligné Hélène Legeay consultante des droits humains à l’association Avocats sans frontières (ASF).

Selon elle, « des améliorations ont été constatées depuis 2016, comme l’adoption de la loi sur les gardes à vue qui donne le droit à un avocat en cas d’accusation de crimes. Aussi, la mise en place des mécanismes de plainte au sein des prisons, et l’amélioration  de la communication entre la société civile et les administrations, l’instauration d’un véritable dialogue avec le Ministère de l’intérieur, la condamnation des agents des forces de l’ordre pour les violences policières, des accusations de délit de violence… »

« En revanche les violences policières se perpétuent dans l’impunité », déplore-t-elle en  signalant que « le cadre législatif demeure inadéquat. L’article 101 bis du code pénal qui incrimine la torture perpétrée par les agents de l’Etat présente une définition des crimes de torture qui n’est absolument pas conforme à la définition internationale prévue par la convention contre la torture ».

 « C’est un détail significatif et qui a de lourdes conséquences », prévient-elle.

Legeay a par ailleurs expliqué que «  la définition nationale des crimes de torture limitent ces actes aux sévices exercés à des fins d’obtention des aveux et ceux exercés dans un contexte de discrimination raciale ».

« Malheureusement en Tunisie, les sévices perpétrés à des fins punitives ne sont pas considérés comme étant une la torture mais comme une violence qui est un délit, passible de 5 ans de prison », ajoute-t-elle.

La consultante de l’ASF a évoqué la question « des personnes soumises à de mauvais traitements par des agents de police soit dans la rue, à la suite de dispute entre citoyens tunisiens et policiers et à l’encontre de la population LGBT ».

D’autres cas ont été documentés par l’ASF, comme le recours au harcèlement policier à l’encontre de personnes non seulement soupçonnées d’activités terroristes, mais aussi accusées de constituer une menace à l’ordre public.

« Dans le cadre de prévention du terrorisme, des dizaines de milliers de Tunisiens fichés en raison d’appartenance/contact avec un mouvement terroriste, sont soumis à des mesures de contrôle administratif, des mesures restrictives de liberté, assignation à résidence, et sont empêchés de voyager et privées de papiers d’identité. Elles subissent aussi des perquisitions durant la nuit, des arrestations dans le cadre du contrôle routier ou dans la rue, des convocations au poste de police…Ces violations s’inscrivent sur l’état d’urgence », a suligné Hélène Legeay.

Quant à Ragheb Zouaoui membre aussi de l’ASF, il a rappelé « qu’afin de faire aboutir le processus de justice transitionnelle, les chambres spécialisées doivent mener à leur terme les procès en cours et le rapport de l’IVD, contenant des recommandations visant la non répétition, doit être publié au JORT ».

Dans son intervention, le secrétaire générale de l’OCTT, Mondher Cherni, a affirmé que « la torture persiste en Tunisie et qu’elle est alimentée par une impunité quasi-totale. Il a aussi expliqué que l’arsenal juridique existant doit être révisé afin d’améliorer les conditions de détention et alléger la surpopulation carcérale ».

Il a évoqué également « la situation des enfants accusés de terrorisme qui souffrent de stigmatisation dans les centres de réhabilitation, pourtant selon la loi, tout détenu âgé entre 13 et 18 ans, est considéré victime quel que soit le cas de figure ». Cherni a également déploré l’absence de spécialistes pour les interrogatoires et enquêtes.

A noter que, ce rapport a été élaboré par quatre ONG : LTDH, Avocats sans frontières (ASF), l’organisation mondiale contre la torture (OMCT), et l’organisation contre la torture en Tunisie(OCTT).

Emna Bhira