A la veille du Ramadan, les Tunisiens mitigés sur la gestion de la crise par le gouvernement (Reportage)

12-04-2021

La Tunisie vit assurément sa pire période, depuis l’apparition du Covid-19 il y a un an. Le nombre de cas de contaminations est de plus en plus grand chaque jour, les décès continuent d’endeuiller de nombreuses familles et les places en réanimation dans les hôpitaux s’amenuisent frôlant la saturation.

C’est donc dans une ambiance particulière que les Tunisiens entameront, demain mardi, le mois saint de ramadan. Un deuxième jeûne sous pandémie. Si l’an dernier, le confinement général a permis de supporter cette ambiance, cette année c’est le raz-le-bol qui semble prendre le dessus.

Après l’annonce d’un couvre-feu à 19h la semaine dernière, le gouvernement a finalement choisi de faire marche arrière sous la pression d’un peuple qui suffoque à la fois économiquement et moralement.

Que pensent les Tunisiens de ce rétropédalage ? Comment jugent-ils la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement ? Nous sommes allés leur poser ces questions sur l’avenue Habib Bourguiba.

En cette veille de ramadan, la principale artère de la capitale est bondée. Le rétablissement du couvre-feu à 22h a rassuré de nombreuses personnes. Une jeune femme nous explique qu’elle est satisfaite de cette nouvelle. « J’aurais même préféré que cela aille jusqu’à 23h », nous dit-elle. Pour elle, il faut désormais vivre avec le virus en respectant les gestes barrières. « Nous ne pouvons pas être enfermés à vie », ajoute-t-elle.

Pourtant, le rétropédalage du gouvernement concernant l’horaire du couvre-feu en dit long sur la gestion de la crise. En effet, cette décision va à l’encontre de l’avis émis par le comité scientifique et pourrait avoir de graves conséquences sur l’évolution de l’épidémie. Mais pour cet homme, salarié dans le privé, le protocole sanitaire ne doit pas s’arrêter uniquement au couvre-feu. « 22h c’est amplement suffisant. Mais le plus grave ce sont les transports en commun qui sont pleins à craquer toute la journée, sans que les gestes barrières ne soient respectés », déplore-t-il.

Une mère au foyer s’inquiète pour son mari. Elle nous explique que ce dernier est chauffeur de taxi et ils ont du mal à joindre les deux bouts ; le fait de ne pas travailler la nuit lui fait perdre de l’argent. Une situation difficile qu’éprouve une grande partie de la population pour qui le travail de nuit est essentiel. « Au moins à 22h, les cafetiers et les serveurs pourront travailler un peu », conclut-elle.

Nous sommes abordés par deux retraités. Pour eux, les décisions qui sont prises par le gouvernement sont une catastrophe. « Ils prennent des décisions dans leurs bureaux sans voir la réalité du quotidien. Ils sont en train de tuer petit à petit le citoyen tunisien », lance-t-il.

Afin de venir en aide aux plus démunis, le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a annoncé samedi dernier, la mise en place d’un fonds de soutien faisant appel à la générosité des Tunisiens. « Cela s’appelle faire du chantage. On vous laisse travailler mais vous nous aidez en contrepartie ! », estime un passant très remonté contre les autorités pour trop demander au peuple, déjà en souffrance…

Nous nous engouffrons dans la médina de Tunis. Là aussi, les rues sont pleines de monde, profitant des dernières heures avant le début du mois de ramadan pour faire leurs dernières courses.

Au coin d’une rue, nous interrogeons un propriétaire de café. Pour lui, la mise en place du couvre-feu à 22h n’est qu’un écran de fumée. « Ce n’est pas rentable pour moi car je dois faire déplacer et payer du personnel pour seulement quelques heures ».

Le serveur de son côté, qui ne travaille qu’un jour sur deux pour 25DT par jour, pense à combler sa perte de salaire en trouvant un autre travail dans le bâtiment.

Un peu plus loin, nous entrons dans le célèbre restaurant « Foudouk El-Attarine ». Ce prestigieux établissement est connu pour ses repas ramadanesques. Le gérant indique que le carnet de réservations est plein depuis de nombreuses semaines. « Nous sommes rassurés de cette nouvelle car sinon nous aurions été obligés de fermer nos portes pendant un mois entier et pour la deuxième année consécutive, cela aurait été une catastrophe », nous dit-il.

En attendant, il y a un secteur qui ne connait pas la crise dans la Médina de Tunis. Il s’agit du marché au cuivre. Ils sont encore de nombreux Tunisiens à venir lustrer et dégraisser leur vaisselle en cuivre à l’occasion du mois de ramadan, pour perpétuer une des traditions de ce mois saint. « A défaut de pouvoir sortir boire un café à l’extérieur, je le prépare moi-même à la maison autant que ce soit dans de belles tasses « , nous dit une cliente.

Retrouvez dans la vidéo ci-dessus notre micro-trottoir.

Reportage réalisé par Emna Bhira et Wissal Ayadi