L’adoption en Tunisie, selon la loi, la pratique et la religion (Enquête)

13-11-2020

Chaque année, environ 1000 enfants sont abandonnés par leurs parents en Tunisie. Les raisons sont multiples : enfants nés hors cadre du mariage, enfants orphelins suite à la disparition des parents, enfants cédés à l’Etat car la famille n’a pas les moyens de les élever, ou simplement retrouvés à un coin de rue à même le sol…

Dans n’importe quelle de ces situations, ils ne sont pas laissés à la rue. Ils sont pris en charge par l’Etat dans l’espoir de leur trouver une famille qui pourra les élever et leur garantir un avenir meilleur…

Gnetnews s’est intéressé à la question de l’adoption. En effet, la Tunisie dispose d’un arsenal législatif des plus avancés du monde arabo-musulman dans ce domaine. Si dans les pays occidentaux, l’adoption n’est pas liée à la religion, dans les pays musulmans, elle est prohibée par le texte coranique.

Quels sont les modes d’adoption ? Qui sont ces enfants abandonnés par leurs géniteurs ?  Comment sont-ils pris en charge ? Que disent les textes religieux ? Des questions auxquelles nous avons tenté de répondre avec des experts en la matière.

Adoption ou « kafala » : deux régimes juridiques différents

Depuis les réformes du président Habib Bourguiba, la Tunisie fait office d’exception, dans le monde musulman, en ce qui concerne l’adoption, aux côtés de l’Indonésie, de la Turquie, de la Somalie et du Liban. En effet, selon la loi islamique, l’adoption est interdite. On lui substitue le régime de la « kafala », dans lequel l’adopté ne reçoit pas le nom de son adoptant.

La Tunisie, au contraire, reconnaît les liens de filiation entre l’adoptant et l’adopté depuis une loi de 1958, tandis qu’une loi de 1959 reconnaît l’adoption plénière.

Pour le régime de l’adoption plénière, l’enfant embrasse la nom de la famille adoptante. Ses droits sont donc semblables à tous les autres enfants issus d’un mariage. Cette égalité vaut notamment dans l’héritage, principale source de problèmes dans les familles ayant adopté. Dans l’acte de naissance, seuls la date de naissance, le lieu de naissance et le numéro de l’acte sont non-modifiables. Il s’agit pour l’enfant de pouvoir, s’il le souhaite un jour, comprendre ses origines et éventuellement rechercher ses parents biologiques.

De son côté, la « kafala », ou la tutelle en français, est régie par d’autres lois. Ainsi, le prénom et le nom de famille ne peuvent être changés sous aucun prétexte. L’enfant garde ceux qui lui ont été donnés à la naissance. Pour ce qui est des droits, ils sont totalement distincts de ceux d’un enfant issu d’une union civile. 

La « kafala » est  en d’autres termes une procédure d’adoption spécifique au droit musulman qui correspond à une tutelle sans filiation. Un enfant issu d’un milieu économiquement défavorisé ou né hors mariage, par exemple, est recueilli par une famille « adoptive » qui s’engage à l’élever comme son propre enfant. Cependant, l’enfant recueilli n’aura pas les mêmes droits d’héritage qu’un enfant né d’un couple marié.

Par ailleurs, la Tunisie a signé un agrément avec la France qui permet à un couple résidant en France de pouvoir adopter un enfant tunisien. La seule condition étant qu’un des deux parents soit de nationalité tunisienne. Cet accord est régi par la M.A.I (Mission de l’adoption internationale).

Adoptants et adoptés : qui sont-ils ?

Afin d’en savoir plus sur les profils de ceux qui veulent adopter et des enfants qui sont adoptés, Gnetnews s’est renseigné auprès de l’Institut National de Protection de l’Enfance (INPE). C’est l’organisme public qui s’occupe des dossiers d’adoption en Tunisie ainsi que de la prise en charge des enfants. Notre interlocutrice a bien voulu répondre mais sous le couvert de l’anonymat. 

Naissances hors mariage, impossibilité pour les parents de subvenir aux besoins d’un enfant ou encore handicap ou enfants orphelins, les profils des enfants recueillis par l’assistance publique sont variés. Pour autant, ce sont des enfants nés hors mariage qui représentent la majorité des cas.

« Le profil des mères qui abandonnent leur enfant n’est pas limité. Ce n’est pas forcément la pauvreté qui entre en jeu. Il y a des fonctionnaires, des étudiantes, des lycéennes, ou même des femmes victimes d’inceste », explique-t-elle.

En effet, dans notre société à tradition musulmane, le fait de tomber enceinte en dehors du mariage est considéré comme un pêché. Ces femmes, souvent très jeunes, se retrouvent dans des situations difficiles. Surtout dans les régions reculées du pays où l’accès à l’avortement est presque impossible.

Elles sont contraintes de poursuivre leur grossesse à l’écart de leur  famille et souvent protégées par leurs maman ou leurs tantes.

«Elles accouchent loin de chez elles. Par exemple, celle qui vient de Sousse, accouche à Gabès, à Sfax ou à Tunis et abandonne son enfant directement après la naissance, parfois sans avoir vu son bébé ou même l’avoir allaité une seule fois », nous dit notre source. Cependant, en cas d’hésitation, la maman biologique peut bénéficier de trois mois de réflexion renouvelables. Ainsi elle place son enfant à l’assistance sociale le temps que sa situation se clarifie.

Les enfants qui sont voués à l’adoption sont abandonnés légalement. C’est à dire qu’au moment où la maman décide de céder son enfant à l’INPE, elle doit signer devant le juge un acte d’abandon qui ne lui permet plus aucun droit sur l’enfant.

Si le père est connu grâce à un test ADN ou à une reconnaissance à la naissance, lui aussi doit signer un acte d’abandon ou est contraint de prendre l’enfant à sa charge. Dans le cas contraire, il peut être poursuivi en justice et redevable d’une pension à l’INPE pour les besoins de l’enfant.

En Tunisie, le nombre de parents qui souhaitent adopter un enfant ou le prendre en charge grâce à la tutelle est de plus en plus important. En effet, nombreux sont les couples qui éprouvent des difficultés à donner naissance de manière biologique.

C’est à l’issue de nombreuses tentatives de fécondation in-vitro, qu’ils se décident à franchir le pas de l’adoption.

Ces couples doivent alors faire une demande à l’Institut National de la Protection de l’Enfance. S’en suit alors une enquête afin de savoir si les candidats à l’adoption rentrent dans les critères demandés.

Le premier critère est l’âge. Le père ne doit pas être âgé de plus de 50 ans et la mère de plus de 45 ans. « Il y a une réflexion au niveau du ministère des Affaires Sociales pour augmenter cette limite car les Tunisiens et Tunisiennes se marient de plus en tard et l’âge de le retraite a également augmenté », souligne la responsable. De plus, de nombreux couples en difficulté pour avoir des enfants naturellement essayent d’en avoir jusqu’à un âge très avancé et dépassent souvent les 45 ans pour la femme.

L’autre critère est celui du projet. « Il faut sentir chez le couple qu’il s’agit réellement d’un projet de vie. Il y a donc un entretien psychologique individuel puis en couple. Parfois il y a des maris qui ne veulent pas adopter mais qui veulent juste satisfaire l’envie de maternité de leur épouse. Nous considérons donc que c’est un projet peu fiable », nous dit notre interlocutrice.

La priorité est l’intérêt de l’enfant. « Quand un enfant est adopté, nous faisons un suivi avec 3 visites de contrôle afin de savoir si l’enfant vit dans de bonnes conditions », ajoute-t-elle.

Par ailleurs, il y a des enfants qui sont en placement familiale. Ils sont actuellement au nombre de d’environ 160 répartis dans des familles d’accueil. Ces dernières sont rémunérées à hauteur de 200dt par mois et l’INPE prend en charge l’approvisionnement en couches, lait en poudre,  vêtements, et paye les frais médicaux et leur scolarité. « Il y a des enfants placés qui passent actuellement le bac », indique-t-elle. Il y a également une soixantaine d’enfants souffrant d’un handicap placés dans des familles.

D’après notre source, aujourd’hui 164 enfants sont pris en charge dans les locaux de l’INPE situé à la Manouba, dont 63 enfants handicapés. Les soins de ces derniers sont totalement pris en charge par l’Etat. Après un certain âge, les enfants atteint de handicaps dits « lourds et durables » sont transférés dans un centre spécialisé à Sidi Thabet, puis adultes dans un autre centre à Ezzahrouni.

Le budget alloué à l’INPE, qui compte  270 employés, est de de 2 milliards de dinars. Grâce à des dons en nature, l’organisme peut augmenter ses capacités a aider de nombreux enfants.

« Darna », une maison d’accueil hors du commun

L’Institut peut également compter sur l’aide la société civile. Ainsi, de nombreuses associations ont décidé de venir en aide à ces enfants. Des enfants qui n’ont rien demandé d’autre à la vie que de vivre normalement.

C’est le cas de l’association « Darna ». Elyès Boussaa en est le fondateur et président. Nous l’avons rencontré.

« Darna est une association qui aide les enfants abandonnés à la naissance. Elle s’occupe d’enfants qui ont été récupérés par l’INPE et qui n’ont pas de famille adoptive ou d’accueil. Ils ont par exemple des problèmes de santé ou des handicaps », nous explique Elyès.

Elyes Boussaa / Président de l’Association Darna

« Ce sont des enfants qui ont besoin de sortir du centre de l’INPE et d’avoir un cadre familial afin d’avoir un projet de vie. Nous voulons que ces enfants vivent normalement dans un environnement sain », ajoute-t-il.

Darna a lancé sa première maison en août 2014 avec trois enfants et une maman de substitution. Cette dernière, qui est rémunérée, a pour rôle d’élever ces enfants. De son côté, l’association assure le suivi sur le plan de la santé, éducation, loisirs et prend en charge toutes les dépenses du quotidien : loyer, nourriture, vêtements, etc.

« Le but est que ces enfants aient un repère familiale. Chacun a sa chambre et ses activités. L’aventure se poursuit encore aujourd’hui pour ces enfants ». D’ailleurs, deux d’entre eux, âgés de 16 ans, poursuivent actuellement un parcours de formation professionnelle.

Une deuxième maison a vu le jour en juin 2015 ainsi que le lancement d’une pouponnière. Dans cette dernière, les bébés y restent de manière temporaire le temps de leur trouver une famille d’adoption ou qu’ils retournent chez leur famille biologique.

En tout l’association subvient aux besoins de 11 enfants depuis 2016 et elle a pu gérer 35 bébés.

« Nous accompagnons ces enfants jusqu’à ce qu’ils volent de leur propres ailes, tout en gardant cette relation de fraternité. La maman de substitution devient au bout d’un certain temps leur maman et des liens forts qui se créent », indique le président de Darna. « Pour les fêtes religieuses, les enfants vont dans la famille de la maman de substitution et le déplacement est à notre charge et strictement encadré par l’INPE. Les enfants ont donc de nouveaux repères. Ils ont tout un cadre familial », ajoute-t-il.

A noter que ces mamans de substitution ont été sélectionnées de manière très rigoureuse et ont été validées par l’INPE.

Pour autant, tous ces enfants demeurent des pupilles de l’Etat. Il y a donc une coordination entre  DARNA et l’INPE. Il existe notamment un suivi psychologique de l’enfant qui permet d’établir des rapports réguliers sur l’évolution des enfants.

« Nous devons les gérer comme si c’était nos propres enfants. Il faut donc surveiller leurs relations en dehors de la maison, les crises d’adolescence, leur mal-être, etc. ».

Avec deux maisons au Bardo et une à l’Ariana, l’association Darna ne compte pas s’arrêter là. Mais pour cela il faut que les dons augmentent. Ainsi, Darna France a été créée il y a peu de temps afin de pouvoir recevoir de l’aide de la diaspora tunisienne qui vit à l’étranger. « Notre ambition serait d’ouvrir une autre maison à l’horizon 2021 et pourquoi pas ouvrir d’autres unités à travers tout le pays », nous dit Elyès Boussaa.

L’adoption en Islam

Comme expliqué plus haut, l’adoption plénière est interdite par la loi islamique contrairement à la « kafala » autorisée par le les textes sacrés. Cette situation a crée un certain nombre de débats d’idées dans la société tunisienne. Pour en savoir plus, nous nous sommes adressés au Cheikh Badri El-Madani, théologien.

Il explique que la « kafala » est issue du droit coranique qui interdit l’adoption plénière et ses effets afin de préserver le nom patronymique de la famille, considérée comme pilier de la société. Il explique également que la « kafala », permet à l’enfant de garder son patronyme d’origine et ainsi d’éviter tout risque qu’il se retrouve marié avec sa sœur sans le savoir.

Pour l’héritage, le Saint Coran explique que l’enfant élevé dans le cadre de la tutelle peut bénéficier du patrimoine de son tuteur à condition que ce dernier lui en fasse bénéficier de son vivant.

« Jadis, avoir beaucoup d’enfants était une forme de puissance dans les familles et ils n’hésitaient donc pas à adopter d’autres enfants afin d’avoir plus de pouvoir », explique-t-il.

Cette particularité de l’interdiction de l’adoption dans l’islam est liée à la vie de Mahomet et de son histoire avec Zeineb, a-t-il ajouté.

A noter que la « kafala » est reconnue par la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989.

Wissal Ayadi

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Hakim

Sincèrement c’est du n’importe quoi, la Tunisie est soit un pays musulman et applique les préceptes soit c’est un pays laïc et fait ce qui bon lui semble mais dire que la Tunisie dispose d’un arsenal juridique le plus avancé des pays arabo-musulmans, là vous tapez à côté, il faut soustraire le terme musulman. L’islam à travers la planète ne reconnaît que la kafala et vous avez donné l’explication car demain un garçon pourrait épouser sa sœur, sa mère ou ses tantes sans le savoir. Si Allah a mis des règles ce n’est pas pour rien, on ne peut pas… Lire la suite »