Affaires religieuses : Une réforme nécessaire mais épineuse

29-05-2019

« La réforme des affaires religieuses : la responsabilité de l’état ou de la société civile ? », tel était l’intitulé d’un séminaire organisé samedi 27 mai, par le centre pour les études de l’islam et de la démocratie (CSID.

« Depuis la révolution, la religion n’est plus sous la tutelle de l’Etat, et la liberté de conscience a été instituée par la constitution. Ce changement a mené à un déséquilibre entre l’Etat, la religion et la société, issu de l’incapacité de l’Etat à suivre les transformations rapides du discours religieux, dans les espaces publics », a souligné Sami Brahem, chercheur au centre des études et recherches économique et social (CERES).

« Il est temps de différencier entre la religion, qui est une pratique personnelle, et les affaires religieuses organisées par l’Etat », a-t-il ajouté, en évoquant l’exemple de, « la prière qui est une pratique religieuse personnelle, tandis que le recrutement des imams, le choix des mosquées destinées à l’imâmat, et la mise en place des critères d’éligibilité de l’imam, sont tous « des affaires religieuses », qui doivent être organisées par l’Etat ».

« Dans cette phase transitoire, la création d’une instance de régulation des affaires religieuses est devenue une nécessité, pour clarifier la marge de manœuvre de chaque partie ».

« Le jeûne représente également une affaire personnelle. En revanche, la précision de la période du jeûne, la date d’inauguration du mois saint, la question de I’tikâf (retraite spirituelle dans la mosquée), la considération de l’interruption du jeûne dans la journée, en tant qu’un droit ou une atteinte au sacré, forment tous des problématiques régies normalement par la loi. », a-t-il dit.

« La zakat fait partie aussi de la religion, mais son coût est indexé au coût de la vie par l’Etat. La manière de sa collecte dans les banques, ou dans le cadre d’une pratique personnelle, ou l’investissement de son argent à travers des associations ou autres circuits, sont des paramètres réglés par la loi, et appartiennent aux affaires religieuses.

Religion et politique en Tunisie
Dans son intervention sur les ambiguïtés existantes, dans la relation entre la religion et la politique, le président de la ligue tunisienne pour la culture et la pluralité Ahmed Naifer, a expliqué que « le schéma de transformation en Occident, basé sur la séparation de l’église de l’Etat, ne peut pas être une référence pour le monde arabe ».

« Le triomphe des valeurs des lumières, et l’engagement contre l’oppression religieuse, ne conviennent pas à nos sociétés, car, l’Islam a joué depuis sa naissance un rôle organisationnel chez les musulmans, et il n’a jamais détenu tous les pouvoirs. »

« En Tunisie, la religion était sous l’emprise de l’Etat, depuis l’époque beylicale, et la dynastie des husseinites, bien avant le protectorat français. D’ailleurs, Beyrem premier, dans son livre « الشرعية السياسة», était le premier à séparer la religion de la politique, en appelant à réduire le rôle des « ulamâa » dans les affaires sociales et politiques. Tahar Ben Achour s’est, par la suite, opposé à cette confusion en 1910, et Abdel Aziz Thaalbi, a évoqué le sujet en 1907, dans son journal « Ettounsi ».

« Pendant ce temps, le protectorat français a instauré un programme restrictif, par lequel l’Islam n’avait aucune influence, grâce à la suppression de toutes les institutions religieuses, devenues plus tard sous l’emprise de l’Etat tunisien, une fois la Tunisie est décolonisée. Par ailleurs, la désertion des références religieuses durant des années de colonisation, a facilité pour Bourguiba la nationalisation des affaires religieuses… »

Cette politique de la stigmatisation de la religion maintenue sous le régime de Ben Ali, a conduit à « l’absence de culture religieuse, et d’un fil conducteur clair, qui lie le volet culte et pratiques de l’islam, et le côté populaire édifié par les Zaouias, et la jurisprudence musulmane issue des « Madhab », soit la voie suivie dans l’interprétation des sources traditionnelles prononcées par le conseil islamique supérieur ».

Le directeur des études à l’université Zitouna, professeur Ali Ochi, a indiqué que : « deux contraintes se posent à cette problématique : d’abord la soif de culture religieuse et de liberté d’expression, après 20 ans de musellement, et la menace des idéologies wahhabites, qui se sont répandues grâce aux satellites, et aux réseaux sociaux ».

« Par conséquent, la notion du consensus sur les constantes de l’islam « Thawabet », est devenue aléatoire », déplora-t-il.

« Cette absence de références a mené à l’extrémisme dans les discours religieux, et l’apparition des « Takfiris », adeptes de l’ultra-violence, qui s’arrogent une tutelle sur la religion. Une anarchie qui a rendu impossible de restructurer les discours anti-pédagogiques des imams, en ce moment ».

Emna Bhira