La Tunisie caresse le rêve de l’autosuffisance, l’état de sa céréaliculture le rend lointain (Reportage)

13-01-2023

Après plusieurs mois de sécheresse intense, la pluie de ces derniers jours est un soulagement pour les agriculteurs. Dans la région de Bizerte, connue pour être une zone humide, si ces précipitations sont une bonne nouvelle, les céréaliers pâtissent tout de même de nombreux problèmes liés à la fois aux changements climatiques mais aussi à l’absence de politique agricole en Tunisie.

Gnetnews est allé à la rencontre de ces agriculteurs en proie à des difficultés structurelles qui pèsent de plus en plus sur leur activité et l’avenir de ce secteur le plus important de l’économie nationale.

Peu d’optimisme pour la saison à venir

C’est dans le gouvernorat de Bizerte que nous sommes allés à la rencontre de Aymen Lachkar, Adel Baccouri et Imed Ouadhour. Le rendez-vous a été pris du côté d’El Khitmine, plus précisément dans la localité de Tsela.

C’est là bas que Aymen Lachkar cultive des céréales sur la terre de ses ancêtres, eux aussi agriculteurs. Bien que ravi de cette pluie providentielle, il nous explique souffrir d’autres problèmes récurrents qui minent son activité de céréalier. « Chaque année c’est de pire en pire. On ne trouve pas d’ammonitrate en quantité et à temps, ni de DAP et les semences sélectionnées sont très difficiles à avoir. Comment voulez-vous que l’on puisse travailler dans de bonnes conditions ».

De son côté, Imed Ouadhour, agriculteur et président de la section régionale de Bizerte du syndicat des agriculteurs tunisiens SYNAGRI affirme ne pas être vraiment optimiste quant à la récolte à venir. « En ce qui concerne les précipitations, c’est pire que l’an dernier dans une région connue pour être une zone humide, alors que dire des autres régions. Les plants souffrent et suffoquent », a-t-il affirmé.

A cet égard, Imed Ouadhour précise que les plants n’ont pas poussé normalement et que leur taille est très petite par rapport à d’habitude. Une situation qui pousse ainsi les agriculteurs à reporter la période d’ajout d’azote dans les sols en raison de la faiblesse des pousses. De plus, la sécheresse a affaibli la densité des semences. La photo ci-dessous montre des terres clairsemées et peu denses. 

Des maladies qui arrivent trop tôt en raison de la hausse des températures

Autre fléau qui fragilise les cultures, celle de l’apparition de maladies sur les plants de fèves qui servent à fertiliser les sols. Adel Baccouri, lui aussi céréalier nous explique à cet égard que les maladies surviennent désormais de plus en plus tôt en raison des changements climatiques.

En nous montrant un plant fève, dont les feuilles sont dévorées par de petits insectes, il souligne qu’il s’agit normalement d’un phénomène qui arrive au printemps au moment où les températures grimpent. Or aujourd’hui, c’est en plein mois de janvier que l’on peut les observer.

« A cause de cela, nous sommes désormais obligés d’utiliser des insecticides deux fois pour gérer ce problème. Et cela engendre des conséquences sur le coût de production. A 80DT le quintal, nous vendons dans la plupart des cas à perte », nous confie-t-il amèrement.

Un Etat absent, des politiques agricoles inexistantes et des agriculteurs à l’abandon

Tous les trois s’accordent à dire qu’il est de nos jours de plus en plus difficile d’être agriculteur. Amen Lachkar déplore le désintéressement total de la jeune génération envers le secteur agricole.

« Il faut que l’Etat encourage les agriculteurs. Nous voulons sentir qu’il est là et qu’il peut nous aider. Or ce n’est pas du tout le cas. Les prix de vente du blé fixés ne sont pas assez intéressants, compte tenu de la hausse des intrants, des carburants et de la vie en général. Nous ne pouvons plus continuer comme cela ».

A cet égard, Imed Ouadhour rappelle que l’Office des céréale rachète aux agriculteurs le blé dur à 130DT le quintal alors que ce prix devrait être en réalité de 180DT afin de s’offrir une marge digne de ce nom.

« Quand je vois que l’on importe du blé tendre à 250DT le quintal et qu’on nous propose 180DT, j’ai l’impression que nous sommes pour l’Etat une sorte de caisse de subvention », lance-t-il.

Le président du SYNAGRI Bizerte ajoute également que l’augmentation des taux d’intérêts qui peuvent atteindre les 14% sont une vraie souffrance pour les agriculteurs. « Dans les pays européens qui respectent les agriculteurs ces taux ne dépassent pas les 3% et nous ici en Tunisie on nous tue à petit feu. Qu’on ne vienne pas nous parler d’autosuffisance. Si on continue à ne pas avoir de stratégie et de politique agricole, nous n’atteindrons jamais cet objectif », conclut-il.

Pour en savoir plus, vous trouverez dans la video ci-dessus, un reportage complet dédié aux agriculteurs.

Wissal Ayadi