La stratégie de communication Covid de la Kasbah : Des experts décryptent et pointent les failles !
La pandémie du Covid-19 est considérée comme une crise, laquelle nécessite une communication adaptée, qui se décline sous le nom de « communication de crise ». Depuis l’apparition du coronavirus en Tunisie, deux gouvernements se sont succédé.
D’abord, celui de Elyès Fakhfakh, qui a du gérer la « première vague » et surtout la période du confinement. Et puis, depuis quelques semaines celui dirigé par Hichem Mechichi appelé à faire face à une deuxième vague plus importante et plus meurtrière. A chacun sa méthode pour communiquer. Afin de comprendre ce qu’est une communication de crise, nous nous sommes adressés à deux spécialistes en la matière.
La communication de crise constitue un ensemble de techniques et actions de communication entreprises pour lutter contre les effets négatifs d’un événement, ici le Covid. Elle nécessite des prises de décision rapides et la mobilisation d’un dispositif humain et financier pour y faire face.
Voici la définition scientifique d’une communication de crise. Qu’en est-il réellement en Tunisie.
La communication n’est pas centraliséeÂ
Nous avons rencontré Kerim Bouzouita, anthropologue et spécialiste de la communication politique. D’après lui, la Tunisie s’est tout de suite mise dans une logique de gestion de crise et non pas dans une logique de communication, en mars dernier pendant la gouvernance de Elyès Fakhfakh. « Il y a eu une volonté de communiquer sur la prévention, sur les gestes barrière, mais surtout sur la promotion de l’action gouvernementale », dit-il. En effet, Bouzouita souligne que les politiques chargés directement du dossier Covid, à savoir le chef du gouvernement et le ministre de la santé de l’époque Abdellatif Mekki, n’ont pas hésité à se mettre en scène quotidiennement dans les médias, notamment lorsqu’il a fallu distribuer les aides alimentaires aux plus démunis. « C’est devenu une communication électorale et cela a éludé la communication sur les gestes barrières », ajoute-t-il.
Par ailleurs, Bouzouita explique que la communication a été plus épidémiologique que politique. A cet égard, le chercheur affirme que le ministère de la Santé a eu un discours purement médical et scientifique au travers des bulletins quotidien.
« Une sémantique contre-productive qui a fini par se banaliser et qui par ce fait à banaliser les contaminations et surtout les morts », dit-il.
Toujours au sujet des rapports journaliers du ministère de la Santé, Karim Bouzouita n’a pas manqué de rappeler que seule la Tunisie a utilisé la technique de comptabilisation des cas locaux et des cas importés. Une différenciation qui, selon lui, a généré une diabolisation des personnes venues de l’étranger. « C’est une menace pour la paix sociale et une manière pour les autorités de se dédouaner et justifier l’efficacité des mesures prises au niveau du pays « , ajoute-t-il.
Ainsi, la communication de crise utilisée par le gouvernement tunisien a été rythmée par un discours triomphaliste mettant l’homme politique au centre de l’action et non le citoyen. Pourtant les cabinets ministériels ne manquent pas de communicants. De plus, les discours et contre discours n’ont cessé de rendre la situation encore plus flou. « La communication n’est pas centralisée en Tunisie », déplore l’anthropologue.
En France, par exemple, l’information gouvernementale n’émane que d’une seule entité. La stratégie de communication est élaborée par des professionnels de la communication travaillant au sein du SIG, Service d’Information du Gouvernement. Ce dernier est chargé de produire les stratégies et les éléments de langage pour la communication du gouvernement.
« En Tunisie, nous n’avons pas ce service et chaque ministère travaille de manière cloisonnée. De plus, nous n’avons pas encore de conseillers et des experts qui peuvent influencer les premiers décideurs. On a une information qui n’est pas contradictoire mais multiple, car elle n’est pas centralisée », souligne l’expert.
Absence des professionnels de communication
Pour en savoir plus, sur l’organisation des services de communication, nous avons pris contact avec Saber Abbes. Ancien membre de l’équipe de communication du cabinet de Elyès Fakhfakh. il a pu vivre de l’intérieur cette crise sans précédent.Â
Diplôme en marketing et communication politique à Sciences-Po Paris, le jeune homme affirme que les services de communication des différents ministères ne disposent pas de communicants. « Il s’agit de journalistes et non de professionnels de la communication », avoue-t-il. Cette situation a crée de nombreux problèmes car il y a de l’incompréhension entre les journalistes et les communicants.
Pour exemple, les informations relayées par les pages officielles des ministères sonnent comme des communiqués de presse alors qu’ils devraient être en direction de la population.
Il semble que la communication soit une histoire de politique. En effet, depuis la nomination de Hichem Mechichi à la tête du gouvernement, et la mise en place d’un exécutif dit de technocrates, la communication de crise a pris une autre tournure.
Pendant le confinement du mois de mars, les sorties médiatiques régulières de Elyes Fakhfakh ont permis d’atteindre un certain niveau de communication accessible à tous les Tunisiens. Un rendez-vous télévisé devenu presque immanquable et surtout pédagogique. « Il fallait expliquer les mesures prises et par dessus-tout rassurer. Nous avions commencé à créer une confiance avec les Tunisiens. C’est cette confiance qui permet à l’action politique d’avoir de l’effet sur le terrain. Nous avions trois mots d’ordre Informer/Rassurer/Corriger», explique Abbes.
Fakhfakh a choisi un style « qu’il maîtrise », selon son ex-conseiller. En effet, l’ex chef du gouvernement n’a pas hésité à utiliser l’arabe dialectal, la langue tunisienne pour s’exprimer. De son côté, Mechichi se pose plus en homme posé, au langage châtier et doté d’une prestance et d’un charisme presque rassurant, mais à la fois pas très convaincant à en croire sa dernière interview télévisée et au vu des critiques qui en ont émané sur les réseaux sociaux juste après.
Il semble que le langage politique et technocrate n’aient pas la même portée. Si Fakhfakh n’a pas hésité à utiliser la télévision comme moyen de communication, Mechichi a décidé, de son côté, d’informer les Tunisiens à coup de communiqués. Comme le dernier en date qui n’a pas fait l’unanimité chez les Tunisiens. En effet, c’est à la veille de la fête du Mouled et en plein milieu de la nuit, que la présidence de gouvernement a décidé de dévoiler les nouvelles mesures restrictives, et non pas des moindre (couvre-feu, interdiction de déplacement entre les gouvernorats et vacances forcées pour les établissements scolaires).
De leur côté, les internautes n’ont pas hésité à accuser Mechichi d’imitateur. En effet, c’est juste après le discours de Emmanuel Macron, qu’il a réuni l’Instance nationale de lutte contre le coronavirus, pour prendre à son tour de nouvelles décisions.
Wissal Ayadi