Congeler les gamètes pour préserver la fertilité est possible depuis 20 ans en Tunisie. Le point avec le Dr Olfa Kilani

29-03-2022

Saviez-vous que la Tunisie autorise depuis plus de 20 ans la congélation des ovocytes et des spermatozoïdes? Beaucoup de Tunisiens ignorent cette technique de préservation de la fertilité.

Cette question a fait l’objet d’un débat, après la déclaration de la star des réseaux sociaux et danseuse, Nermine Sfar en février dernier. A 31 ans, elle avait déclaré qu’elle souhaitait congeler ses ovocytes en vue d’une grossesse ultérieure.

Un buzz qui nous a poussé à enquêter sur ce sujet à la fois de santé publique mais également éminemment sociétal.

Que dit la loi?

En Tunisie, la loi sur la congélation des ovocytes, mais également des spermatozoïdes a été promulguée en 2001…soit il y plus de 20 ans, faisant du pays, un précurseur en la matière dans la région d’Afrique du Nord.

Mais cette loi comporte un certain nombre de conditions. « Au départ, la loi n’autorisait que les couples mariés soufrant de problèmes d’infertilité à avoir accès à cette technique », nous explique le Dr Olfa Kilani. Cette dernière est embryologiste et responsable du Centre « Les Violettes » d’assistance médicale à la procréation (AMP ou PMA) situé à Nabeul.

« Quelques temps après, l’article 6 est venu compléter, à titre exceptionnel, cette loi en étendant la congélation aux célibataires souffrant d’une maladie dont le traitement altère la fertilité », ajoute-t-elle.

Toujours selon la cadre juridique et l’article 4 de la même loi, la patient dont les gamètes ont été congelées, ne pourra les utiliser que dans le cadre du mariage.

Ainsi, l’idée d’une congélation dite « sociétal » a complètement été mise en dehors du cadre réglementaire. Et pourtant, cette question a soulevé de nombreux débats dans l’opinion publique après la déclaration de Nermine Sfar. De nombreux internautes ont appelé à une révision de cette loi pour l’étendre à toutes et tous sans conditions d’ordre maritales ou médicales.

Dr Olfa Kilani

En effet avec des couples qui se marient de plus en plus tard, afin de favoriser leur carrière professionnelle, les chances de pouvoir concevoir s’amenuisent elles aussi de plus en plus. L’aptitude à concevoir diminue avec l’âge. La fertilité féminine est maximale entre 20 et 27 ans. Passée 35 ans, elle devient très faible. « Il y a la quantité de gamètes qui diminue mais également la qualité », précise le Dr Kilani.

Chez l’homme l’infertilité est causée, la plupart du temps, par une mauvaise hygiène de vie (tabac, alcool, etc.). Une attitude qui conduit à une altération de la morphologie et de la mobilité des spermatozoïdes.

Ainsi, la congélation (ou vitrification) pour les célibataires, sans conditions, en vue d’une grossesse ultérieure, apparait ici comme une solution aux problèmes d’infertilité.

Le point de vue religieux

Comme de nombreuses lois tunisiennes, celle relative à l’AMP est étroitement liée à la religion. Pour en savoir plus, nous nous sommes adressés au Cheikh Badri Madani, expert en sciences islamiques. Selon, lui le plus important est de préserver les risques d’inceste ou d’adultère masqué. « Dans un premier temps il est important de savoir que l’Islam n’est pas en contradiction avec la science, au contraire. Dans le cas de la procréation médicalement assistée, la première condition est que cela doit impérativement s’établir dans le cadre du mariage », nous dit-il.

Il explique par ailleurs, qu’avant de se tourner vers les techniques, scientifiques, il faut essayer de procréer de manière naturelle, avec l’aide de médicaments. Si cette étape est infructueuse, alors le recours aux techniques de la PMA dans leur ensemble peuvent être envisagées, parmi elles la congélation des gamètes, mais toujours en envisageant la grossesse dans le cadre d’un mariage.

Enfin, Cheikh Badri Madani, n’a pas omis d’objection du point de vue religieux quant à l’extension de la vitrification de gamètes aux célibataires sans conditions. « Il faut juste s’assurer que l’utilisation des gamètes congelées sera faite dans le cadre du mariage et s’assurer également qu’il n’y ait aucun risque d’échanges de gamètes et ce par la garantie d’un cadre médical sérieux et expérimenté », conclue-t-il. Enfin, il a souligné que la GPA (gestation par autrui) ou le don de gamètes était totalement prohibé à cause du risque de filiation.

Un processus coûteux

Le Dr Kilani, nous explique que les demandes pour la préservation de la fertilité (congélation d’ovocytes), de nature sociétales,  ne cessent d’augmenter. « Il y a peu de temps j’ai eu une maman qui est venue se renseigner pour la vitrification. Elle souhaite que sa fille de 17 ans, puisse avoir accès à cette technique afin qu’elle puisse préserver sa fertilité, car cette dernière envisage de longues études à l’étranger », nous a-t-elle confié.

Mais la loi tunisienne, comme expliqué plus haut, ne l’y autorise pas.  » De nombreuses femmes n’hésitent pas à se rendre à l’étranger où la préservation dite sociétal est autorisée. D’autres font même dons de leurs gamètes en échange d’une compensation financière. Des pratiques qui sont bien sur interdites en Tunisie », nous dit le Dr Kilani.

L’embryologiste nous explique que la vitrification notamment des ovocytes pour la femmes n’est pas une décision à prendre à la légère. Son processus est long, lourd et surtout coûteux car il comporte plusieurs étapes.

D’abord, les femmes désireuses de congeler leurs ovocytes doivent consulter un gynécologue qui les enverra vers un des 14 centres de PMA répartis sur le territoire. Le couple ou le/la célibataire qui opte pour cette technique est ensuite soumis à un entretien préliminaire explicatif, à l’issu duquel un consentement est signé par les deux conjoint (dans le cas d’un couple marié) ou la personne seule (en cas de célibataire).

Une fois cette étape passée, la femme doit entamer une stimulation ovarienne d’une durée de 10 jours, prescrite par son gynécologue, pendant laquelle elle doit s’injecter plusieurs piqures afin de stimuler les ovaires et de créer le maximum d’ovocytes.

Après un contrôle sous monitoring et une fois la maturation des ovocytes atteinte, il faut attendre 36 heures pour réaliser la ponction ovocytaire, sous anesthésie générale dans le centre d’AMP par son médecin. Une fois ponctionnés les ovocytes sont placés, par les biologistes du centre, dans une pipette  de quelques millimètres qui est plongée directement dans une cuve d’azote liquide à -196 °C, avec des produits appelés cryoprotecteurs.

Pipette où sont entreposées les gamètes

« Les gamètes peuvent être conservées à vie, et nous demandons un renouvellement de contrat tous les 5 ans ». En effet, le centre de PMA recontacte les patients au bout de 5 ans pour savoir s’ils souhaitent toujours vitrifier leurs cellules, les utiliser ou les détruire. », nous explique le Dr Kilani.

Dans les établissements privés le coût du processus complet peut atteindre les 5000DT, environ le même prix que pour une fécondation in vitro (FIV)…le renouvellement du contrat de congélation est de l’ordre d’environ 350DT, renouvelable tous les 5 ans.

Dans le secteur public, seul un centre pratique la vitrification des ovocytes…celui de Aziza Othman à Tunis où l’attente pour suivre le parcours de préservation de la fertilité peut être contraignant. Le prix y est nettement moins onéreux, puisqu’il atteint environ 1300DT. Toutefois, la prise en charge  d’une patiente en pré-traitement stérilisant est considéré comme une urgence et peut être pris en charge par l’assurance maladie.

La vitrification chez les adolescents impubères

Le Dr Olfa Kilani, nous explique que la vitrification des gamètes mâles ou femelles est également possible chez les enfants et les adolescents impubères. En effet, certains développent des pathologies hématologiques qui peuvent avoir un impact sur leur futur fertilité, comme la leucémie ou le cancer du sang. Ceux là seront soumis à un traitement stérilisant et auront donc la possibilité de préserver leur fertilité. Chez les fillettes, par exemple, il est possible de vitrifier le cortex ovarien en enlevant un fragment de la surface de l’ovaire puis de le réimplanter et de stimuler, si la patiente, une fois guérie et en âge de procréer, souhaite avoir un enfant, toujours dans le cadre du mariage.

Pour les petits garçons qui seront sujets à un traitement stérilisant, la technique de préservation de la fertilité consiste en un prélèvement de la pulpe testiculaire pour la congeler et la réutiliser au moment où il voudra et pourra avoir des enfants avec sa future épouse.

« Ces techniques chez les enfants et les adolescents ont été mises en place en Tunisie il y a seulement quelques années. Même si l’attente des résultats est longue, je pense que nous avons dans le pays les compétences, les moyens et la volonté pour pouvoir offrir des prestations de qualité », indique le Dr Olfa Kilani.

« Tous les médecins tunisiens, toutes spécialités confondues, qui agissent dans le domaine de la PMA travaillent de concert. Nous assistons ensemble aux congrès et conférences afin de rester à jour des dernières techniques quant à la préservation de la fertilité. Ce qui fait qu’aujourd’hui en Tunisie, nous sommes à la pointe dans ce domaine », conclue-t-elle.

Wissal Ayadi