La Tunisie se réadapte et ne se reconfinera pas ; mais « l’indiscipline » demeure, selon Dr. Abdelmoula

22-09-2020

La Tunisie vit une phase épidémiologique critique. Elle est passée au stade 3 de l’épidémie, ce qui veut dire que le virus circule activement sur le sol tunisien et le bilan fait état de plus de 8000 cas actifs d’infection au Covid-19, entre le 18 et 19 septembre.
Chose qui a poussé Dr.Habib Ghedira, membre du comité scientifique chargé de la lutte contre la propagation de la Covid-19, à tirer la sonnette d’alarme hier, lors d’une déclaration médiatique. 

Il a averti contre une augmentation des chiffres, pour atteindre les 32 000 cas en octobre 2020. Le relâchement des Tunisiens quant aux gestes barrière, accentuera le rebond de la pandémie dans les prochains jours, notamment avec les défaillances flagrantes dans les milieux hospitaliers, manque de lits de réanimation, de machines respiratoires, et même d’effectif du personnel médical, a-t-il lancé.

Un virage attendu depuis un moment, surtout avec le laxisme des autorités face à la non application des consignes de prévention. Malgré la dégradation de la situation, comment pourrait-on garder le contrôle sur la propagation du virus en Tunisie. Quels conseils sont à suivre pour éviter une éventuelle contamination ? Le reconfinement est-il envisageable par les différents secteurs professionnels ?

Pour répondre à ces questions, Gnetnews s’est adressé au docteur Morched Abdelmoula, médecin généraliste, et ancien médecin major à la CHU Rabta.

Causes de cette poussée épidémique en Tunisie

« La situation épidémiologique actuelle est assez sérieuse  notamment avec le nombre de décès qui augmente. Toutefois, le confinement général n’est pas recommandé. Sinon, ce sera le coup fatal pour l’économie tunisienne, plusieurs secteurs vont être touchés directement, comme la restauration, les cafés, les centres d’esthétique, les petits commerces et les usines…Ceci engendrera également la prolifération du crime. Nous ne pouvons pas fermer non plus les écoles et les universités, sachant que nos jeunes sont restés 6 mois en vacances. Ils risqueraient un retentissement psychologique énorme.»

Comment en est-on arrivé là en si peu de temps?

A cette question, Dr. Abdelmoula a répondu que les citoyens sont malheureusement indisciplinés.

« Pour éviter la contraction du virus, il faut juste appliquer les gestes barrière. La distanciation sociale, le port du masque, et l’utilisation du gel hydroalcoolique. Il a expliqué que ces petites habitudes réduisent la charge virale du virus, éviteront aussi les porteurs du virus d’aller en réanimation.

Des mesures préventives supplémentaires à appliquer

« Les rassemblements de tout genre sont une source considérable de contagion qu’ils soient festifs, religieux, professionnels ou familiaux. Les maintenir dans notre situation est une grave erreur », a souligné docteur Morched Abdelmoula, qui a déploré aussi le laxisme de l’Etat quant à plusieurs dépassements « impardonnables », commis par des citoyens dans ce contexte sanitaire exigeant plus de fermeté.

A ce sujet, il a évoqué certains colloques et conférences qui réunissent un bon nombre de personnes, ne portant pas de masques, dans une totale inconscience de la gravité du contexte.

Le docteur a rappelé certains rassemblements qui se sont tenus à l’indifférence totale des autorités. « Comme les supporters du Club Athlétique Bizertin (CAB) qui se sont regroupés au pont de Bizerte pour fêter leur victoire, en bravant les consignes avec l’absence des forces de l’ordre qui auraient pu les disperser… ».

« Il s’agit de nids de contamination qu’il faut suivre et contrôler », souligne-t-il.

« Même le chef de l’Etat s’est rendu dans les écoles le jour de la rentrée scolaire, a embrassé des élèves, et a circulé sans masque. Quel message tente-t-il de transmettre au peuple quand il se montre laxiste en ce qui concerne les mesures préventives ?  », a reproché l’ancien médecin major au centre de traitement de la douleur au CHU Rabta.

« Il faut bien maintenir une image ferme et rigoureuse, pour que le peuple puisse suivre l’exemple », recommande-t-il à l’intention des hauts responsables de l’Etat.

« Les machines de ventilation et les lits de réanimation sont à fournir au plus vite »

Sur un autre sujet qui inquiète les Tunisiens, à savoir l’incapacité de nos hôpitaux de faire face au pic de la pandémie dans les prochains jours, Dr. Abdelmoula a rassuré que jusqu’à maintenant la situation est sous contrôle. « En revanche, dans un mois probablement, les hôpitaux seront peut-être dépassés, à cause du nombre limité des lits de réanimation, et du manque des machines de ventilation artificielle, consacrés aux cas les plus compliqués du Covid-19 ».

C’est ce qu’a souligné ce médecin, en appelant à un partenariat urgent entre les secteurs médicaux publics et privés. « Les patients covid-19 dans les cliniques et les hôpitaux doivent être pris en charge par l’Etat. Un patient coute entre 40 000 et 50 000 dinars, faudrait-il penser à consacrer un budget pour soigner 1000 personnes, soient 50 milliards de dinars, pour les soigner, avec l’argent du fonds 1818 cumulé durant le confinement dont la valeur s’élève à 200 MD en plus des aides étrangères, de la Chine, Italie, la France et l’Organisation mondiale de la santé (OMS)… ».

« Il est impératif de ne pas affecter ces sommes dans le budget de l’Etat, et de les exploiter uniquement pour lutter contre la pandémie et soigner les malades », indique-t-il.

Refus unanime d’un retour au confinement

La question d’un éventuel retour à l’isolement a été posée dernièrement sur la toile, avec des chiffres record des cas actifs de jour en jour.

La peur d’une contamination massive de la population a poussé certains du corps médical ainsi que les internautes à appeler au retour à la case de départ. Fermeture de tous les commerces, des écoles et universités, entreprises, reprise du télétravail et arrêt de la vie économique.

Cela reste néanmoins impensable par plusieurs entrepreneurs, restaurateurs, et commerçants.

Comme ce propriétaire d’un café au centre-ville qui refuse vivement de fermer son local même pour une courte période. « Le confinement a déjà fragilisé ma situation économique. Je n’avais plus de quoi payer mes charges. Et, la reprise était très dure à entreprendre. Un autre confinement me mènera sans doute à la faillite », nous confie-t-il.

« En effet, pour y remédier, je compte sur la rentrée scolaire, seul moyen pour rafraichir mes recettes. Pour mon café qui est situé à deux pas du lycée rue de Marseille, et de l’Institut français et à proximité d’autres centres de formation à l’Avenue Habib Bourguiba, le retour en classe représente mon ultime ressource, vu que ma clientèle est essentiellement composée d’élèves et des jeunes.  Si cet évènement sera annulé aux prochains jours, mon projet ne survivra pas à une telle catastrophe ».

Nous nous sommes adressés aussi à une propriétaire d’un salon de coiffure, qui refuse de se reconfiner. Elle continue d’accueillir ses clientes sans appliquer les gestes barrière. « Les consignes pour la lutte contre la propagation du covid-19 ne peuvent pas être appliquées dans notre travail, qui exige beaucoup de proximité, toucher et contact physique. Je n’ai pas le choix, je dois rattraper le manque à gagner du confinement. Le risque de la fermeture de nos locaux nous guette surtout avec la montée des contaminations. Je dois donc cumuler mes réserves pour pouvoir surmonter une éventuelle accentuation de la crise sanitaire… ».

Retour au télétravail

Gnetnews s’est adressé aussi à une déléguée médicale, travaillant dans une multinationale spécialisée dans le secteur pharmaceutique. Cette jeune femme nous a indiqué qu’elle travaille désormais à distance. « Notre entreprise a pris la décision de nous interdire les visites médicales, et le travail de terrain. Elle estime que la situation est dangereuse. Inutile de mettre en péril la santé de son capital humain  et de l’exposer au danger », nous–dit-elle.

« Notre travail consiste à se rendre dans les cabinets médicaux et les hôpitaux, là où il y a le plus grand risque de contamination. Le contact physique est si important pour faire la promotion de nos produits pharmaceutiques auprès des médecins, pourtant, la direction a décidé d’éviter un scénario chaotique…La solution était donc de nous fournir une plateforme dédiée aux visites médicales à distance. Une sorte de site accessible qu’aux professionnels de la santé, dans lequel ils pourraient naviguer virtuellement, et trouver les informations nécessaires…Nous effectuons des visioconférences quotidiennes. Et, les délégués médicaux travaillent désormais par téléphone. Nous sommes en train de coopérer avec les médecins à distance. Ces derniers semblent apprécier la limitation de nos déplacements… », a confirmé le délégué.

Reportage réalisé par Emna Bhira et Wissal Ayadi