La Tunisie face à une sécheresse durable et un déficit pluviométrique redoutable (explications d’un climatologue)

31-10-2022

A quelques heures du premier jour du mois de novembre, aucune goutte de pluie à l’horizon. L’été semble se plaire en Tunisie. Les températures demeurent sur une pente ascendante, les Tunisiens n’ont toujours pas sorti ni manteaux ni couette ; les plages sont encore envahies par les baigneurs le week-end.

Les agriculteurs, de leur coté, attendent la bénédiction divine de précipitations afin de pouvoir semer et espérer une moisson à la hauteur des besoins.

Pour en savoir plus sur ce phénomène et les futures prévisions, nous nous sommes adressés à Haythem Belghrissi, climatologue et membre de l’Association tunisienne des Changements Climatiques et du Développement Durable (2C2D).

Un anticyclone bloque l’arrivée d’air froid

La Tunisie passe par une longue période de sécheresse qui se poursuit depuis le mois de septembre. L’automne  est connu en Tunisie pour être une saison de fortes pluies voire d’inondations. Nous savons que les plus grandes inondations ont eu lieu historiquement en septembre et en octobre. On se souviendra notamment de celles de Nabeul en 2018, de Tunis en 2003, ou encore de Redayef 2009.

Haytham Belghrissi explique que ces inondations apparaissent à cette période car c’est la saison post-été et que donc la température de la surface de la mer est généralement plus chaude. Ainsi, l’infiltration de l’air froid provoque des perturbations, des pluies orageuses voire torrentielles.

« Toutefois, cette année 2022, nous ne pouvons pas la qualifier d’exceptionnelle en termes de déficit pluviométrique car nous avons déjà connu par le passé des années ou les précipitations étaient en dessous de la normale. Ce qui attire l’attention c’est surtout le fait que les températures n’ont pas baissé. Les moyennes des températures sont élevées, voire très élevées par rapport aux normales de saison, surtout les dix derniers jours d’octobre où il a fait particulièrement chaud », souligne-t-il.

Le climatologue affirme que cette absence de pluies est dû à une situation de blocage anticyclonique, pas seulement sur la Tunisie, mais sur toute l’Afrique du Nord également. « Cet anticyclone empêche l’infiltration d’air froid et donc l’apparition de perturbations de l’atmosphère, ce qui ne favorise pas la formation de nuages et de pluies », nous dit-il.

D’après les centres globaux, que ce soit celui de Etats-Unis ou de l’Europe, les températures de cet hiver seront plus élevées que la normale. Cela ne veut pas dire que nous allons avoir un hiver chaud, mais un hiver où les températures seront un petit peu plus élevées. « Nous aurons des jours froids, voire très froids mais la moyenne générale du climat sera un peu plus élevées que la normale », ajoute Belghrissi.

Changements climatiques

Le constat est clair, la température de la terre est en train d’augmenter en raison des changements climatiques. D’après notre spécialiste, les augmentations des températures maximales ont commencé dans les années 70-80. Par contre, en Tunisie, les températures minimales ont commencé leur tendance haussière dans les années 90. « Et depuis 2015-2016 nous connaissons des étés de plus en plus chauds », note Belghrissi.

D’après les projections climatiques de l’INM sur la base du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui est un organisme intergouvernemental chargé d’évaluer la réalité, les causes et les conséquences du changement climatique en cours, les moyennes des températures maximales et minimales continueront à augmenter, d’ici à l’horizon 2050, voire 2100.

Pour ce qui est des pluies, il n’y a pas de tendance claire. « Pour le scénario d’émission messimiste il y a une tendance à la baisse, mais le grand constat demeure dans la succession des événements extrêmes que ce soit en termes de fréquence ou d’intensité », relève Haythem Belghrissi.

Il ajoute également que le problème en Tunisie, c’est que ce manque de pluies menacent nos ressources en eau aux vues notamment de la situation actuelle des barrages. Les niveaux de remplissage des barrages est très faible et peut impacter négativement l’accès à l’eau potable et  l’irrigation pour les terres agricoles.

Pour rappel, les barrages servent principalement à stocker les eaux pluviales, mais également à  protéger les agglomérations qui sont proches des bassins versants, vulnérables aux inondations et autres ruissellements.

D’après l’ONAGRI, au 19 octobre, les barrages tunisiens  affichent un taux de remplissage moyen de 31,1%. Les réserves sont encore plus faibles que d’habitude (722 millions de m3 seulement contre une moyenne des 3 dernières années de 922 qui étaient également peu pluvieuses) soit un déficit de -270 millions de m3. Alors que la moyenne nationale de la pluviométrie allant du 1er septembre au 19 octobre est de 38,2 mm (sur une moyenne annuelle de 233 mm), la Tunisie n’a reçu jusqu’ici que 17,9 mm, dont moins de 2 mm au mois d’octobre. Une situation qui a poussé les autorités à avoir recours à des coupures volontaires d’eau à partir de 20h dans certaines régions.

« Déjà en Tunisie, nous sommes considérés comme un pays pauvre en ressources en eau. Nous sommes en dessous de la norme mondiale qui est de 1000 litres par habitant  et par an. En Tunisie ce chiffre est de 340 litres. », affirme-t-il.

Avec la succession des années sèches, ce phénomène sera plus accru. Ainsi, il serait temps que la Tunisie repense  un nouveau mode de gestion des ressources ; une tâche qui revient au ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, si l’on veut éviter une vraie pénurie.

Du côté des pouvoirs publics, les communications autour de cet épisode de sécheresse sont quasi inexistantes. Pourtant elles seraient un bon moyen d’expliquer aux citoyens les dangers du gaspillage de l’eau afin de les conscientiser et de les responsabiliser. Pour le moment, seul le ministère des Affaires Religieuses a raégi au déficit pluviométrique en organisant le week-end passé Salat al-Istiska (prière de la pluie), dans l’espoir de prévisions plus positives.

Wissal Ayadi