Démarrage de la campagne électorale: Comment les Tunisiens appréhendent-ils les élections législatives? (Reportage)

25-11-2022

La campagne électorale pour les prochaines élections législatives a été officiellement lancée ce vendredi 25 novembre. Elle se poursuivra jusqu’au 15 décembre puisque la veille du scrutin est dédiée au silence électoral.

Les électeurs seront appelés à se déplacer aux urnes le 17 décembre pour élire les 161 députés, sur les 1055 candidats déclarés, qui composeront la future assemblée des représentants du peuple, selon un mode de scrutin uninominal, contrairement aux élections précédentes qui se faisaient sur liste.

Comment les Tunisiens appréhendent-ils ces élections? Iront-il dans les bureaux de vote? Quels sont les obstacles qui pourront faire gonfler le taux d’abstention. Reportage.

Une confiance bafouée…

Afin de palper l’ambiance de cette période pré-électorale, nous nous sommes rendus dans un café populaire de l’Ariana. En ce vendredi matin, au lendemain d’une énième hausse du prix du carburant et à la veille d’un match de coupe du monde décisif pour les Aigles de Carthage, les esprits ne sont pas vraiment occupés par le scrutin.

Les personnes attablées préfèrent parler pronostics ou bons plan pour trouver un paquet de lait…

Nous interrogeons un groupe de retraités qui se retrouvent chaque matin entre amis. L’un deux nous dit qu’il ira voter… mais… « Bien sur que j’irai voter parce que c’est un droit et surtout un devoir de citoyen. Mais je glisserai un bulletin blanc », nous dit-il amèrement. Ce monsieur ne sait même pas qui sera candidat sur sa circonscription.

Pendant notre échange, d’autres personnes viennent se joignent. Chacun voulant donner son point de vue sur la question. Mehrez est le propriétaire d’un garage de mécanique automobile. Il affirme qu’il n’a jamais été voté. « Je n’ai jamais voté et je n’irai jamais. Je ne m’intéresse aucunement à la politique. Je vis pour moi et c’est tout. Je suis en règle avec mes salariés et avec l’Etat, mais l’Etat ne l’est pa avec moi. Je ne m’attend à rien des gens au pouvoir », lance-t-il.

A coté de lui, un autre homme d’une cinquantaine d’année. Il dirige un bureau d’étude en faveur des entreprises qui veulent s’implanter en Tunisie. « Moi j’ai toujours voté, je n’en ai jamais manqué une. Pour le référendum, j’ai écourté mais vacances pour aller au bureau de vote. Mais cette fois çi, j’ai décidé de ne pas y aller. « Je n’ai plus confiance. Je ne veux plus participer à ce qui s’appelle une mascarade. De plus le timing est très mal choisi. Sincèrement je préfère regardera coupe du monde plutôt que d’aller voter pour des incompétents, dont on ne connait même pas les noms », nous dit-il.

Tarek, 41 ans, est salarié dans une grande entreprise. Il nous a indiqué vouloir boycotter le scrutin. Malgré un passé de militant politique, il estime que ces élections sont anti-démocratiques dans la mesure où la loi électorale a été selon lui bafouée. « Je ne sais même pas qui sont les candidats de ma circonscription et je vous avoue que cela ne m’intéresse pas de la savoir. Cette élection est déjà faite d’avance alors à quoi cela sert ? ».

Une femme cette fois-çi. C’est déçue et amère qu’elle nous parle. Elle est chef d’entreprise et elle a contribué au « catering ». « Nous avons été choisie par l’Etats pour fournir la nourriture pour les personnes qui ont travailler lors de la consultation nationale et le référendum. Ma société est en faillite et jusqu’à présent on ne m’a toujours pas payé. alors pourquoi j’irai voter ? », nous demande-t-elle.

Une campagne particulière

Ces témoignages que nous avons entendu ce matin ne sont malheureusement pas exceptionnels. La Tunisie vit des moments difficile à cause d’une crise à la fois politique, sociale et économique dont l’issue tarde à arriver. Préoccupés par un pouvoir d’achat, non plus en berne, mais en décadence totale, les citoyens vivent une véritable crise de confiance envers les dirigeants du pays, faisant§ craindre un taux d’abstention, peut-être record.

D’après Moez Attia, figure de la société civile et chroniqueur politique cette campagne sera très particulière, pour plusieurs raison. « D’abord pour la première fois le mode de scrutin sera uninominal et non un scrutin de liste. Il faut savoir qu’aujourd’hui environ 10% des circonscriptions n’ont pas de candidat, ou alors un candidat unique. De plus ce sont des élections qui interviennent dans un climat socio économique difficile. Les Tunisiens font face à une inflation record avec un pouvoir d’achat au plus bas. Il faut rajouter à cela la coupe du monde », nous dit-il.

Le démarrage officiel de la campagne est une occasion d’aller constater les premier signes. En allant faire un tour devant les murs qui serviront de panneaux d’affichage pour les candidats, force est de constater que les affiches sont quasiment inexistantes. Nous avons au total visité trois écoles. A Riadh Andalous, seul un candidat, sur les deux, a coller son affiche, celle de Ennasr et de Jaafer (Raoued) en sont totalement dépourvu.

Mur d’affichage école primaire Riadh Andalous / Ariana
Mur d’affichage école primaire Jâafer/ Raoued

« Même si les circonscriptions sont plus petites que les précédentes élections, il sera difficile pour les candidats de mobiliser des militants pour faire la campagne. On a déjà vu les difficultés pour récolter les parrainages. De plus, il y a un flou sur le contenu des programmes proposés par les candidats », souligne Attia.

A cet égard, ce dernier rappelle que les programmes ne seront pas axés sur les politiques économiques et sociales qui serviront à faire des réformes législatives dans le pays. « Il y aura des promesses à l’échelle locale mais il n’y aura pas de débat sur des programmes de réformes dont la Tunisie a vraiment besoin. On ne peut donc pas vraiment qualifier cette période comme étant une campagne électorale », poursuit-il.

Moez Attia ajoute également que la campagne sera disparate et inégale entre les candidats. Car rappelons-le, d’après la nouvelles loi électorale, les candidats ne pourront pas bénéficier de fonds publics ou partisans, et seront donc obliger d’auto-financer leur campagne. « Pour ceux qui ont beaucoup d’argent, ils arriveront peut-être à avoir une certaine visibilité, pour les autres, cela risque d’être compliqué ».

Quid de la campagne médiatique

Farouk Bouaskar, le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) a annoncé ces derniers jours que l’ISIE allait assurer un contrôle strict sur la campagne électorale, notamment au niveau des discours. Ce, conformément à la nouvelle loi électorale qui bannit les appels à la haine et à la violence. L’instance surveillera aussi de près le financement de la campagne, en collaboration avec la police judiciaire et le parquet.

Par ailleurs, l’ISIE s’est  arrogée un droit de regard sur les médias, et sur la couverture médiatique de la campagne, en vertu de sa dernière décision réglementaire. Une posture qui a fait naître des divergences profondes, voire une rupture avec la HAICA, ayant rendu impossible la signature d’une décision conjointe, comme il était d’usage lors des précédentes échéances électorales.

Moez Attia

« Pour la première fois, l’ISIE et la HAICA n’ont pas signé d’accord. Je ne pense pas que l’ISIE aura les moyens nécessaire de contrôle sur la couverture médiatique de la campagne au niveau des médias. De plus, il y a plus de 1500 candidats. La question est de savoir comment pourront-ils tous présenter leur programme ou débattre dans les médias. C’est une chose impossible », relève Moez Attia.

Toutes ces données auront vraisemblablement des conséquences indéniables sur le taux de participation au scrutin. « Je pense que le taux de participation sera plus faible que celui des législatives de 2014 et 2019 car il n’y a pas de partis politiques, pas de concurrence entre les différents candidats qui pourraient mobiliser les électeurs. Pour rappel, on a vu une consultation qui est passé avec 500.000 votants et une Constitution approuvée avec seulement 30% de participation », conclut Attia.

Wissal Ayadi